Dette: l’Apocalypse n’aura pas lieu

L’hystérie collective face à la dette est dangereuse. Encore plus périlleuse que la dette elle-même. Elle reflète une incompréhension profonde de la nature et du niveau des dettes publiques.
La France s’enfoncerait inexorablement dans un «marécage de la dette» ? Ses 3’300 milliards d’euros de dette publique brute la mèneraient au bord du gouffre ? Elle serait condamnée à des coupes budgétaires drastiques afin d’éviter une faillite partielle à la grecque, ou complète à l’Argentine, voire confrontée à la menace du F.M.I. ?
Cette rhétorique catastrophiste, ce vent de panique, nourris par des sermons d’experts démonétisés et d’un autre temps, attisés par des agences de notation décrédibilisées par leurs multiples erreurs de jugement du passé, font fi des principes macro économiques.
La dette : faux monstre mais vraie construction politique
Car elle n’est pas – la dette – une carte de crédit dont il convient de solder d’un coup la facture. Une dette publique se refinance en permanence, à des dates d’échéance différentes, dont seule une fraction arrive à son terme en un trimestre ou en une année donnés. Par définition, un Etat comme la France se refinance sur des périodes longues. Une exemple certes extrême, mais qui permettrait de faire baisser la tension est celui de l’Angleterre ayant remboursé en 2015 une obligation dite «perpétuelle» émise par Walpole en…1751 ! Les obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises sont parmi les plus liquides au monde, le marché de la dette française l’un des plus profonds globalement, considéré (toujours en 2025) comme l’un des actifs ultimes de référence dans la zone euro, et bien au-delà. Fait considéré par les pessimistes comme un risque pour la France mais qu’il faut au contraire analyser comme marque de confiance des investisseurs internationaux, cette dette est détenue pour moitié par des investisseurs étrangers. Car la France est -de fait- un des émetteurs les plus robustes au monde. Peu versés dans la philanthropique, les marchés financiers, car parfaitement conscient que le service de cette dette d’environ 53 milliards par an est certes conséquent, mais très loin d’être insoutenable pour une économie de 2’800 milliards d’euros. Ce n’est en effet pas tant le stock de cette dette qui importe que son coût, lequel restera dans des ordres de grandeur absorbables même en cas de hausse des taux.
Mais alors pourquoi cette panique organisée ?
Que les oiseaux de mauvaises augures étudient l’Histoire, car ce n’est – de loin – pas la première fois que la France connaît un endettement élevé. Celui-ci se situait à 113 % du PIB (comme aujourd’hui) après la guerre de 1870, pour être réduit à 68 % en 1914 grâce à l’industrialisation et à la croissance. Dans l’entre-deux-guerres, la dette de la France atteignait des sommets à plus de 300%, pour être progressivement résorbée après 1945 jusqu’à 150%. Loin de damner la France, cette dette fut le terreau fertile des Trente Glorieuses qui autorisèrent une croissance moyenne de 5 % l’an et la réduction en dessous de 20 % en 1980 de ce ratio.
Nous ne sommes pas une exception, car les déficits français ne sont pas inédits. La dette britannique a dépassé 250 % du PIB après la Seconde Guerre mondiale. Depuis une trentaine d’années, le Japon reste une des premières puissances mondiales en dépit de ses 230 %. Les États-Unis pour leur part sont à 122 %, l’Italie à 138 %. La France est donc non seulement dans la moyenne des économies avancées. Elle bénéficie de deux atouts majeurs: une économie diversifiée et une monnaie forte.
Tactiques de peur populistes
Le danger, en somme, n’émane pas tant de la dette que de la manière dont nous choisissons d’y répondre. Prenons garde aux décisions suicidaires – et pour moi populistes ! – qui consistent à assener continuellement de l’impérieuse nécessité de faire des dizaines de milliards d’économies. Moins de dépenses publiques, c’est moins de croissance, c’est moins de recettes fiscales, c’est une dette qui in fine pèsera encore plus lourd. La dette n’est jamais réduite par l’austérité, mais seulement par la croissance. Tout au long de notre longue Histoire, chaque pic d’endettement a coïncidé avec une crise majeure (guerre, pandémie, choc énergétique), et chaque décrue durable à un cycle d’expansion économique. Croire que la dette sera maîtrisée par la seule compression des dépenses est une illusion, un crime même : pour les pauvres que l’on peut taxer davantage, comme pour les riches que l’on pousse méticuleusement à fuir le pays. La dette publique française n’est ni un gouffre, ni une bombe à retardement : c’est un instrument. Le passé, les comparaisons internationales, les données actuelles, attestent que nous avons les moyens de la gérer. Le danger qui nous menace est la panique et les discours populistes pavloviens qui nous précipitent droit vers l’austérité, vers la stagnation, vers le déclassement.
Libérer la croissance
Ce faisant, tordons le cou aux contre-vérités. Nos descendants n’hériteront pas de créances abstraites, mais d’infrastructures, d’hôpitaux, d’universités, d’investissements dans la transition écologique. La dette d’hier a financé l’État-providence, les routes, le TGV, le nucléaire, les écoles : autant de richesses dont nous jouissons aujourd’hui. Ce n’est vraiment pas du montant brut de cette dette dont il faut se préoccuper, mais de son usage. Une dette orientée vers la seule consommation courante est discutable. Pas une dette qui finance la recherche, l’innovation, l’éducation, la transition verte, qui génèreront revenus et qualité de vie futurs. Cessons de trembler face à des chiffres sortis de leur contexte. Le courage politique ne consiste pas à brandir des coupes aveugles pour rassurer les marchés, ou pour être reconnu par la postérité…Le courage consiste à investir dans l’avenir.
Le ratio dette/PIB n’est qu’un rapport : si le numérateur (la dette) progresse de 3 % mais que le dénominateur (le PIB) croît de 4 %, eh bien le ratio baissera mécaniquement. Espérons qu’une femme ou qu’un homme d’Etat nous exhorte à miser sur la croissance plutôt que sur la peur. Qui ait compris que la dette n’est pas une menotte, mais un levier. À nous de choisir si nous l’utilisons pour construire, ou si nous laissons ceux qui se prétendent très sérieux nous enchaîner à une austérité sans fin. Investissons, puis laissons la croissance faire le travail.
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Message d’un lecteur:
“Cher Monsieur Santi,
Vous avez raison et vous le dites bien : Nous ne devons pas laisser la dette nous dicter notre politique, surtout si c’est pour imposer une austérité qui produira l’effet inverse de ce que l’on veut, une augmentation du ratio dette/PIB.
Permettez moi de rajouter quelques remarques.
1 – Si il est vrai que le système actuel de financement de l’État peut se poursuivre, sa réforme me parait néanmoins hautement souhaitable. En roulant sa dette l’État verse une rente perpétuelle aux quelques investisseurs qui ont eu la bonne idée de lui prêter, il y a longtemps, quelques euros. Le contribuable que je suis n’apprécie pas d’avoir à verser cette rente perpétuelle dont le taux est fixé en fait par ses bénéficiaires. Autrement dit : ceux à qui on n’a pas osé demander l’impôt en temps voulu ont pu avancer cette somme et en tirer un revenu éternel. Ce n’est pas normal.
2 – Vous rappelez le paiement des intérêts est aisé quand le taux servi est inférieur au taux de croissance. Or inlay aura bientôt plus de croissance, faute de ressource pour l’alimenter. Je crois même que la faible croissance que nous observons depuis quelques années est une création de notre manière:re de mesurer et non une croissance réelle. L’autoroute Bayonne-Bordeaux était gratuite depuis sa construction dans les années ’70; Elle est devenu payante ce qui augmente notre PIB, mais est-ce vraiment une croissance ? De même le parking de la clinique voisine de chez moi est devenu payant. Je paye quand je rends visite à un patient en garant mon véhicule au même endroit. Là encore augmentation du PIB sans aucune amélioration de la réalité vécue. Et que dire des EPHAD ! L’organisation sociale qui permettait de garder ses vieux à domicile a disparu et maintenant nous payons pour que d’autres s’en occupent. Est-ce de la croissance ?
Et il y a plus important. Pourquoi laisser l’argent, une simple convention sociale, nous dicter nos actions? Ses règles de circulation peuvent être modifiées. On l’a bien vu en 2008 quand la FED a créé des milliards de dollars en quelques heures pour maintenir le système dollar en vie.
Par contre les désastres présents et à venir causés par le dérèglement de notre environnement sont des réalités physiques absolues.
À ce propos j’aime à rappeler la formule qui courrait à Paris en Août 14 : les gens bien informés disaient :” la guerre ne durera pas plus de quatre (ou 5) mois car le gouvernement n’a pas assez d’argent pour la mener plus longtemps ». On sait ce qui suivit….Le gouvernement a trouvé de l’argent magique.
La méthode appliquée à l’époque pourrait resservir : faire tourner la planche à billet au profit de l’État pour qu’il achète armes et munitions, tout
en imposant contrôle des prix et rationnement pour stabiliser la production civile. Cela revenait à interdire aux riches d’utiliser leur argent pour leurs plaisirs puisque tout était contingenté.
On a alors vu que l’argent était, en temps de paix, un instrument utile pour déterminer via le marché ce qui devait être produit et assurer la répartition de cette production, mais changeait de rôle en temps de guerre car c’était le ministère de la guerre qui déterminait la production en passant des commandes à l’industrie d’armement.
Tôt ou tard nous en viendrons à une organisation semblable pour nous adapter à la raréfaction des ressources naturelles et adapter notre société l’environnement moins clément et changeant qui nous attend.
Nous vivons dans un certain cadre fondé sur des théories économiques qui ne s’intéressent pas à ce qui est produit mais à la meilleure façon (la moins coûteuse) de le produire. Tout change quand a société décide pour des raisons exogènes, non économiques, de produire telles ou telles choses. L’économie de guerre dirigiste se met alors en place. Elle a permis de produire des canons dans les cas passés, elle permettra bientôt de produire des barrages pour mieux utiliser l’eau, des isolations thermiques pour résister aux températures extrêmes et bien d’autres choses qui s’avéreront nécessaires quand nous prendrons la mesure des évolutions environnementales.”
“Tout change quand a société décide pour des raisons exogènes, non économiques, de produire telles ou telles choses. L’économie de guerre dirigiste se met alors en place. Elle a permis de produire des canons dans les cas passés, elle permettra bientôt de produire des barrages pour mieux utiliser l’eau, des isolations thermiques pour résister aux températures extrêmes et bien d’autres choses qui s’avéreront nécessaires quand nous prendrons la mesure des évolutions environnementales.”
Staline n’aurait pas dit mieux!
C’est donc un pb de dénominateur.
La croissance est en berne depuis de nombreuses années en France et donc l’accroissement de la dette fait redouter le pire. Les agences de notation émettent simplement des doutes quant à la possibilité de la France de créer les conditions de la croissance. Un cancre depuis des années peut il devenir un bon élève? la situation politique actuelle et à venir n’est pas très rassurante à ce sujet; les Français n’ont jamais bien saisi les mécanismes de base de l’économie ce qui permet à leurs gouvernants de leur faire avaler un peu tout et n’importe quoi dans ce domaine. Et pourtant, les Francais sont travailleurs et plein de bonnes volontés et ont déjà prouvé par le passé leur puissance mais que voulez vous ils restent des lions menés par des ânes (qui viennent souvent de l’ENA).
Il est vrai cependant que la France peut encore emprunter car son niveau d’endettement est encore tolérable tant que le service de la dette reste contenu dans un budget raisonnable MAIS nous avons des partenaires économiques et surtout “monétaires” qui ne voient pas d’un bon œil que la France s’affranchisse des règles européennes certes contestables mais que eux s’efforcent de respecter.
La France est le dernier pays communiste d’Europe où la taxation des riches fait partie de la panoplie des mesures qui ne rapportent rien (et qui coutent cher) mais qui font du bien au peuple et aux politiques juste pour la forme ou le plaisir de rappeler à ces gens-là qui est le véritable maitre.
M.S: “Nos descendants n’hériteront pas de créances abstraites, mais d’infrastructures, d’hôpitaux, d’universités, d’investissements dans la transition écologique…”
Et qu’elle était la contrepartie promise par les décideurs d’autrefois?
Ces ascendants d’hier et d’avant-hier – alors que la dette publique française n’était que de 20% du PIB en 1970 – auront dans les faits laissés aux descendants d’aujourd’hui une désindustrialisation du pays au profit d’une économie “casino” axée principalement sur les services; un réseau routier mal entretenu; un service de santé délétère et progressivement mis au tapis depuis la réforme ONDAM; un réseau électrique filaire vétuste et un parc nucléaire laissé en jachère comme tant de biens communs abandonnés à la gestion du secteur privé pourvoyeur de dividendes; un effondrement du réseau ferré attendu dans les dix ans avec 10 000 km de voies menacées, faute de sous-investissements hérités depuis des décennies; un système éducatif nationale déjà au fond du gouffre qualitatif; une armée qui n’est plus qu’une vulgaire peau de chagrin, sans compter le manque cruel de moyens dont supporte la sécurité intérieure du pays. Évidemment, mieux vaut ne pas parler dans quelles poches, in fine, auront atterri toutes les subventions fiscales et autres crédits impôts recherches comme autant de misère aujourd’hui vis-à-vis de l’économie réelle, alors que le taux de chômage est à des années lumières d’être enviable. Tout ça pour ça? [septembre 12, 2024 à 10:08 pm]
M.S: “La dette d’hier a financé l’État-providence, autant de richesses dont nous jouissons aujourd’hui…”
Sauf ton respect, mon cher Michel, la France n’a pas traversé un seul cycle économique [avec un seul courant de pensée] de 1950 à aujourd’hui, en 2025. Pas plus que le “capitalisme de connivence” ou de copinage [Crony-capitalism] à la française n’est un héritier en ligne directe du capitalisme “fordien” d’antan. Par analogie à son fardeau de dettes à ce jour. Sans compter en sus les effets pervers du phénomène de monétisation des dettes souveraines durant cette dernière décennie perdue. Faut-il également rappeler au quidam que l’accroissement du fossé des inégalités demeure un frein à la croissance économique et que la dette a comme pendant l’argent? Ou devons-nous encore s’interroger de savoir dans quelles sphères ce medium [la monnaie] a-t-il disparu au profit des dettes? Non, bien sûr! Bien évidemment que l’austérité n’a jamais produit de croissance pérenne, et évidemment que le budget d’un Etat – sous l’angle économique – n’est en rien comparable à celui d’un ménage. Tout comme il est aussi évident que la gouvernance des Etats a succombé au diktat des marchés financiers, via la loi du marché [avec ses idéologies et dogmes] et faute de réformes en profondeur de nos systèmes économiques/financiers/politiques. Les gouvernements portent en effet une responsabilité du moins aussi lourde que les marchés financiers débridés. Autant dire tout de suite et en toute franchise que les rentes de situation du pouvoir politique [réf. “PUBLIC CHOICE”] sont devenues aussi improductive que les rentes indécentes du Capital alors que ces dernières décennies en témoignent suffisamment au biais de l’empirisme. Elles restent totalement décorellées de la méritocratie!!!
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Raymond dit : mars 28, 2019 à 12:34 pm
Bonjour Edgell olivier,
En parlant de dette, il ne faut surtout pas tomber dans le travers en faisant une confusion (volontaire ou non) entre le budget d’un ménage et celui d’un État. Les fondamentaux sont diamétralement différents.
Il y a deux parallélismes importants entre le travail et le revenu national. Le premier concerne leur lien de causalité, c’est-à-dire que le revenu est produit par le travail humain. Avec la digitalisation de nos économies (et avec elle, l’alibi Schumpetérien de la « destruction-créatrice »), ni les robots ni les équipements de toute sorte ne peuvent être à l’origine d’une valeur ajoutée, parce qu’ils sont eux-mêmes le résultat du travail humain, qui est le seul véritable facteur de production comme l’avait déjà expliqué J.M. Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Suite au processus de digitalisation croissante des activités économiques, en effet, le nombre de places de travail diminuera de plus en plus dans l’ensemble des économies nationales et cela aura pour conséquence, entre autres, une polarisation toujours plus marquée de la distribution du travail et des revenus sur le plan macroéconomique. Le deuxième parallélisme entre le travail et le revenu national est donné par le fait que tous les deux sont distribués de manière fort inéquitable et très problématique dans l’ensemble des systèmes économiques.
Comme j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de développer le sujet des effets pervers de la « supply side economics », et le leurre de la «trickle down theory », les théoriciens de la théorie économique dominante – de matrice néolibérale – restent pourtant et toujours cimentés dans leurs certitudes. Cette pensée dominante persiste à véhiculer le dogme qu’en réduisant la charge fiscale des entreprises (et des sociétés cotées), celles-ci augmenteront les investissements afin de produire et vendre davantage ; cela étant censé faire augmenter aussi – pour ces prophètes – les recettes fiscales permettant ainsi au secteur public de compenser les pertes fiscales initiales suite à la réduction successive des barèmes d’impôt. Par analogie « compétitive », à encourager l’augmentation des concessions fiscales sur les entreprises cotées tout en sachant que la vélocité du capital n’a d’égal au facteur travail. Pourtant, l’évidence empirique ne corrobore pas du tout la vision théorique dominante. Lorsque la demande sur le marché des produits est insuffisante pour absorber toute la production – comme cela est le cas en cette décennie de crise – les entreprises n’ont aucun intérêt à investir leurs bénéfices nets. Elles ont en revanche intérêt à placer ces bénéfices sur les marchés financiers, faisant augmenter les prix des titres cotés à la bourse (avec pour effet mécanique « une exubérance irrationnelle ». R. Shiller/ R. Thaler) en générant un « price earning ratio » totalement déconnecté des fondamentaux afin d’accroître le patrimoine financier que les entreprises possèdent à l’avantage de leurs propres actionnaires. Un phénomène économico-financier à très court terme (spéculatif) qui s’oppose aux tâches régaliennes de l’État censées s’inscrire dans une logique à long terme.
Postulant de ce secret de Polichinelle, il n’est pas inintéressant de rappeler que la dette publique, contrairement à un capital qui représente du travail passé progressivement accumulé, la dette publique représente aussi un prélèvement sur le travail futur. Plus spécifiquement, le créancier de l’État lui prête avec de l’épargne du travail (du travail accumulé dans le passé), tandis que l’Etat (le débiteur) rembourse sa propre dette grâce à un prélèvement fiscal sur le travail futur. C’est logique, la dette publique est garantie par la capacité de l’État à lever des impôts portant, entre-autres, sur les revenus professionnels futurs. En s’endettant, l’État demande donc à ses créanciers (par le truchement des marchés financiers) de lui faire crédit au motif qu’il sera capable d’exiger un prélèvement sur la création de richesse de ses futurs contribuables. Dès lors, en suivant la ligne de conduite des dogmatiques de la pensée dominante, une dette publique excessive devient l’écueil principal à une fluidité du capital et à l’allègement du coût du travail. En effet, si la dette publique est refinancée par l’impôt, c’est immanquablement le travail qui est frappé.
Et si l’injustice fiscale manifeste entre Capital et Travail se pérennise – exacerbée par nos sociétés mercantiles couplées à une digitalisation exponentielle – alors il ne reste plus qu’aux États autistes à réduire leurs prérogatives d’Intérêt général, c’est-à-dire à détricoter progressivement le filet de sécurité sociale, alléger ses investissements dans les infrastructures (ponts, autoroutes, hôpitaux, éducation, système des retraites etc) ou poursuivre la vente de son âme au secteur privé (aux tenants du Capital) en détruisant implicitement son patrimoine. Mais n’est-ce pas la situation à laquelle nous assistons depuis des lustres, celle où les États ont choisi de faire le jeu de Lucifer qui se mord la queue ?
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* [Raymond dit: septembre 12, 2024 à 10:08 pm] avec interventions et links…
https://michelsanti.fr/crise-europeenne/une-europe-des-divergences#comment-13675
La masse monétaire mondiale a augmenté de 9,3 % en glissement annuel en juillet, pour atteindre un record de 140 000 milliards de dollars. Cette mesure couvre 169 pays et territoires, représentant 99 % du PIB mondial. Depuis le début de l’année, la masse monétaire en dollars américains a bondi de +10 000 milliards de dollars. La masse monétaire mondiale a augmenté de manière MASSIVE de +40 000 milliards de dollars depuis la pandémie de 2020. Cela représente un taux de croissance annuel composé (TCAC) de +7,0 %.
https://pbs.twimg.com/media/G0f2iFiWYAA1pGN?format=jpg&name=small
La liquidité mondiale reste donc en plein essor en 2025, tandis que la dette publique mondiale atteignait un niveau record à 102 000 milliards de dollars en 2024, contre 97 000 milliards de dollars en 2023 [d’après le rapport “un monde de dettes” publié le 26 juin 2025 par la CNUCED – Département commerce & développement]. Les dividendes mondiaux ont aussi connus des versements records ces dernières décennies alors même que la mécanique infernale des rachats d’actions propres a connu un essor fulgurant sur la même période, accroissant par effet de levier la richesse privée de toute une génération d’Aristocrates au détriment de la richesse nationale. Autant de “profits sans prospérité” que l’économiste William Lazonick alertait, en septembre 2014, à l’aide d’une éclairante étude de la “Harvard Business Review”. Ceci sans compter les nombreuses publications de l’organisme “Statista” qui, depuis des années, mis particulièrement en exergue l’économie “administrée” de la France avec son lot vertigineux et indécent de subventions publiques concédées au secteur privé, notamment celui coté en bourse.
Et après, à sa façon, la France s’étonne en 2025 d’un “Grand Détournement” ? Un peu de sérieux ! Pourtant, c’est à partir d’un modèle économique incongru que les élites dirigeantes s’inspirent depuis quelques décennies pour dicter les choix publics !!! En effet, si la politique évolue par vagues, en économie, on parle depuis un siècle du modèle ondulatoire du cycle économique, tel que théorisé dans les vagues K [40 à 50 ans] dont parlait l’économiste Nikolaï Kondratiev. Des périodes historiques d’environ un demi-siècle associées à un certain consensus idéologique [courant “mainstream”; dominant] se sont succédées dans l’histoire moderne; ces périodes commencent généralement par une “pars destruens” qui ébranle les hypothèses de l’ère idéologique précédente, atteignent un point d’hégémonie maximale, puis s’accommodent progressivement de leurs propres contradictions, ouvrant ainsi la voie à un nouveau cycle. On en trouve d’ailleurs de nombreux exemples historiques.
A l’ère Libérale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a succédé l’ère sociale-démocrate de l’après-guerre, un courant politique et économique qui tendait à incorporer certains éléments du socialisme [la modération] dans une économie capitaliste et libérale. Puis, à partir du début des années 1970/80, l’ère néolibérale qui incorpore plusieurs éléments de l’ultralibéralisme – un temps marqué par le triomphe de l’idéologie du libre marché sur les cendres du libéralisme modéré. Une ère chère aux économistes de la pensée dominante et aux spin-doctors de la politique pour qui le bien commun et l’Intérêt général n’allaient devenir que de vulgaires concepts – tandis que les travailleurs, une simple variable d’ajustement – avec le concours actif des plus hauts responsables politiques de l’époque, comme Georges Pompidou en France, Margaret Thatcher au Royaume-Uni et l’Américain Ronald Reagan.
La France peut ainsi pleurnicher d’un côté et gesticuler de l’autre aujourd’hui, mais elle ne demeure toujours pas disposée à une grande réforme fiscale. C’est-à-dire une correction – même un tant soi peu – de l’injustice fiscale opposant Capital vs Travail. Une inéquité qui n’est ni source de croissance économique ni de maîtrise budgétaire.
“Investissons, puis laissons la croissance faire le travail”
De prime à bord, ça apparaît terriblement séduisant et logique si l’on fait une totale abstraction du levier fiscal à l’aune du progrès technique et de l’évolution des règles de la comptabilité moderne.
Bien évidemment que les gains de productivité ont été importants à partir de la première révolution industrielle dès l’instant où le facteur Travail fut amélioré, même considéré ensuite au prisme des années 1950/60 comme un capital Humain communément admis. Pareil avec le leitmotiv postulant qu’une population mieux formée sera plus productive à l’heure du progrès. Cependant, les gains de productivité et leurs répartitions dans l’architecture économique prendront un chemin diamétralement différents par l’inscription du Court-Termisme et de la financiarisation au sein de nos économies modernes. Tout d’abord, la rédaction des règles comptables, en particulier, fut autrefois déjà été abandonnée par les États à des organismes privés [le FASB pour les États-Unis et l’IASB pour le reste du monde]. Peut-on ignorer que la comptabilité moderne aura évolué en trois étapes comme autant de progrès là aussi? Au début du XIXe siècle, des bénéfices n’étaient comptabilisés que lorsqu’ils étaient véritablement apparus ; tandis qu’au milieu du XIXe siècle on faisait apparaître prématurément des bénéfices en “enkystant” le passif et, ceci, pour ne pas décourager les petits investisseurs. À partir des années 1980 [ère de la financiarisation et prémisse du numérique] les sociétés se mirent à distribuer des bénéfices anticipés [“marking-to-market”] avec pour résultat un partage entre soi de la moindre ombre de bénéfice, et s’il manquait de l’argent pour des “choses accessoires” comme refinancer l’entreprise ou la recherche et le développement, eh bien les sociétés cotées n’avaient qu’a l’emprunter auprès des nouveaux actionnaires par le truchement des bourses. Dans les années 1975, le cabinet d’études McKinsey s’attaqua déjà à un problème d’envergure, car les intérêts des investisseurs et des dirigeants des grosses entreprises n’étaient pas alignés : d’une certaine manière ce que les uns obtenaient dans le partage des bénéfices, les autres en étaient privés. Cet antagonisme larvé bénéficiait essentiellement aux salariés. Il y avait donc là un problème urgent à résoudre et ce cabinet le résolu. À savoir que les dirigeants des entreprises se verraient attribuer des options sur l’achat d’actions de leur compagnie au cours du jour où ces “stock-options” leur seraient attribuées. Si le cours de l’action grimpait, ils bénéficieraient de la hausse en fonction du nombre de leurs options. De quoi encourager le phénomène de l’économie “casino” sur le court-terme. Les dirigeants, tout comme les actionnaires auront dorénavant les yeux fixés sur le cours des actions de l’entreprise, s’efforçant de booster son bilan de trimestre en trimestre par tous les moyens possibles avec la “comptabilité créative” rendue possible par la grâce de toute une panoplie d’instruments financiers atypiques que la crise financière de 2008 aura mis au grand jour. Par cette manœuvre et avec la bénédiction des gouvernements, le court-termisme était désormais inscrit dans l’économie avec ces deux “révolutions” [comptable et financière]. Ce cabinet de conseil avait donc réussi son formidable pari, celui de sacrifier l’avenir au présent [Pour une meilleure compréhension du phénomène, j’encourage le lecteur à lire ou relire mon post ci-dessus/mars 28, 2019 à 12:34 pm].
Évidemment qu’il nous faut aussi aborder l’aspect fiscal et non des moindres de cette architecture du transfert des richesses – avec la bénédiction des gouvernements successifs [gauche comme droite] donc du législateur – à savoir le statut du sujet fiscal. Le ménage comme “personne physique” avec un régime sérieusement dissocié [en sa défaveur] de l’entité économique privilégiée et abritée sous le statut de “la personne morale”. D’autant plus que les nouvelles constructions de sociétés sous l’égide de la Holding [avec pléthore d’arbitrages de type “Leveraged buy-out”] posent également de sérieux soucis à l’angle du “Moral Hazard”, c’est-à-dire aux risques qui pèsent vis-à-vis de l’Intérêt général et du bien commun abandonnés sur le tapis des paris.
Investissons, puis laissons la croissance faire son travail? Certes. Mais n’est-ce pas cette même vision qui a conduit à sa manière les États-Unis où ils en sont à présent. Par la grâce de la financiarisation dérégulée – au nom de la croissance sans borne – une architecture fiscale indécemment pilotée en faveur des entreprises cotées en bourse [“personnes morales”] où déjà la seule vélocité de circulation du capital suffit à générer du capital neuf sans impérativement recourir au facteur Travail; tout en comptant un régime fiscal et des impôts sur les sociétés et les multinationales [Holding] rendus à des niveaux si dérisoires qu’ils en sont toujours à compter sur “le prix du sang et des larmes” pour faire la différence.
https://michelsanti.fr/financiarisation/cash-is-king-industrie-en-ruines
Investissons, puis laissons la croissance faire son travail? Certes, je peux le concevoir au prisme de “la politique de la charrue avant les boeuf” si caractérisée en France. Alors cocorico la French Tech ! Toutefois, passablement d’optimistes de la révolution numérique l’ayant vénérée comme une authentique “destruction-créatrice Shumpétérienne” 2.0 sont déjà revenus sur leurs pas: non pas sous l’angle du progrès technique, mais sur ceux du facteur Travail appelé à disparaître et du volet fiscal [recettes]. Jusqu’à aujourd’hui en 2025, aucune personnalité juridique, aucun nouveau statut fiscal, ni aucun régime spécifique n’a été attribué à l’intelligence Artificielle et aux robots, pourtant [eux aussi] destructeurs du facteur Travail.
https://michelsanti.fr/chomage/taxer-robots-eviter-chaos
Comment et qui va, en France – en suivant la tendance telle que décrite par mes posts et les tiens, cher Michel – où les fruits de la croissance sont déjà détournés depuis des décennies, où le bien commun est déjà saccagés et où le Travailleur moyen demeure toujours rémunéré à coups de lance-pierre, où le filet social de protection se détricote à contrario d’une monstrueuse et coûteuse architecture au service de la démocratie représentative française – honorer ne serait-ce que la charge de la dette? Et par quel biais si rien ne change fondamentalement dans ce cercle vicieux? Et je ne suis pas une personne de gauche comme tu le sais.