Peut-on encore faire confiance à l’Etat ?

Le Koweït purge ses citoyens. Voilà quelques mois que cet Emirat publie des listes de nationaux déchus du jour au lendemain de leur nationalité. Certains sont même pris par surprise lorsqu’ils tentent d’embarquer à destination d’un vol international, croient pénétrer dans l’enceinte de l’aéroport en qualité de Koweitiens, mais en ressortent apatrides, non sans avoir été détenus au préalable par la police. Une masse d’heureux bénéficiaires de ce qui fut encore il y a peu un des passeports les plus solides du Moyen-Orient en sont réduits aujourd’hui à frénétiquement scanner le nom de leurs proches, de membres de leur famille et de leurs amis, y compris le leur propre, afin de savoir s’ils figurent sur ces listes infâmes publiées régulièrement par leurs autorités.
C’est ainsi que l’Etat a unilatéralement supprimé la nationalité de 42’000 citoyens Koweitiens au cours des 6 derniers mois, soit 3% de sa population dans un pays qui en compte 1.5 millions. Autant dire que chaque Koweitien est désormais touché, et connaît une personne ayant subi cette déchéance de nationalité, justifiée par les autorités qui prétendent que deux tiers d’entre eux l’ont acquise de manière «frauduleuse». L’article 8 du code de la nationalité Koweitienne stipule pourtant sans équivoque que l’épouse d’un Koweitien est en droit d’accéder à la nationalité après 10 ans de mariage. Mais voilà qu’un décret arbitraire les rend apatrides du jour au lendemain car une écrasante majorité de ces femmes – naturalisées depuis plusieurs décennies pour certaines – ont dû renoncer à leur nationalité d’origine pour adopter la Koweitienne.
Dans une nation où 80% du budget de l’Etat est consacré au secteur public et aux programmes sociaux, ces 42’000 individus privés de leur nationalité subissent une double, voire une triple peine, puisqu’ils sont dès lors privés de leurs ressources financières, de leurs pensions, et d’autres services essentiels assurés par un Etat dont l’extrême générosité a pour but d’acheter la paix civile. L’anxiété et la stupeur qui en résultent s’avèrent d’autant plus exacerbées que les enfants de ces femmes privées de nationalité se retrouvent également déchus de la leur. Est-ce pour ce même pays que le monde Occidental s’est sans hésitation mobilisé et battu en 1991 ?
Son Prince régnant, l’Emir Sheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, avait suspendu le Parlement de son pays le 10 mai dernier pour une durée minimale de 4 ans, interdit les élections étudiantes et les conseils coopératifs, étendu ses propres pouvoirs exécutifs. Comme ce fut – et c’est toujours – le cas à travers les âges et les nations, cet arbitraire est légitimé par la démocratie laquelle «ne doit pas être exploitée pour détruire l’Etat», pour reprendre les termes du souverain Koweitien.
Dans le monde de 2025, la citoyenneté devient un levier de contrôle politique et social dans un cadre général d’affaiblissement volontaire des institutions démocratiques. Ces stratégies réfléchies qui ne doivent rien au hasard s’alignent sur des pratiques autoritaires, comme en Inde où la Citizenship Amendment Act (2019) a légalisé la citoyenneté indienne aux migrants de plusieurs pays voisins, à l’exception des musulmans. L’apatridie devient ainsi une arme politique et sert en quelque sorte de moule à une tentative de précarisation mondiale des plus vulnérables. Sous la première administration de Donald Trump, une Task Force fut même instituée pour faciliter la dénaturalisation de certains citoyens américains . Plus de 100,000 visas concernant des citoyens de certains pays l’ayant régulièrement obtenus furent par ailleurs révoqués du jour au lendemain, comme son administration s’apprête du reste à le re faire très prochainement. Mais il semblerait que nous ne soyons qu’aux prémisses de ce glissement autoritaire global où l’État redéfinit arbitrairement l’appartenance à la communauté nationale, et où les minorités (au Kuwait les femmes, en Inde les musulmans, aux Etats-Unis les latinos/musulmans…, en Syrie peut-être très prochainement les chrétiens) servent encore et toujours de boucs émissaires institutionnels. Combien de milliers de serviteurs de l’Etat les Etats-Unis de Trump et de Musk planifient-ils de licencier ?
D’où la question : peut-on encore faire confiance à l’État ? Autrefois marginale dans les démocraties libérales, elle s’impose aujourd’hui face à l’érosion des garanties juridiques, à la montée des pratiques autoritaires, à la remise en cause de certains droits fondamentaux. Naguère principe du droit visant à garantir aux individus et aux entreprises prévisibilité et stabilité dans l’application des lois et des règlements, la sécurité juridique assurait jusque-là la clarté des règles, leur accessibilité, leur application de manière cohérente. Prévisibilité, stabilité, protection contre l’arbitraire, la sécurité juridique protégeait contre les décisions incohérentes des autorités, garantissant ainsi équité et justice. L’État deviendrait-il acteur de l’insécurité juridique ? Dès lors, la fameuse formule de Reagan : «L’Etat n’est pas la solution, l’Etat est le problème», déclamée lors de son discours inaugural le 20 janvier 1981, doit être comprise sous un angle bien plus sinistre.
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Merci Michel pour cette chronique ô combien instructive🙏
H.A.L.L.U.C.I.N.A.N.T !
Fondamentalement, les principes économiques ont toujours supplantés les principes moraux, même au prix d’arrangements sociaux ou grâce à ces derniers. À cet égard, Robert Solow n’avait-il pas suggéré y a quelques décennies qu’une “lecture attentive de l’histoire économique peut offrir à l’économiste une idée des différents types d’arrangements sociaux et de leurs interactions avec le comportement économique”? Mais à présent, certes, nous pouvons être étonné avec quelle vélocité le glissement sémantique de la Démocratie se réalise en Occident à l’aune d’une autre décennie perdue. Suffit-il de jeter un simple coup d’œil en direction du soi-disant porte-étendard de la “Liberté” dans le monde – les États unis d’Amérique – ou vers la Patrie récipiendaire de la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789”, la France, pour s’en convaincre.
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RAYMOND – 14 février 2022 à 14 h 27 min
(…) En ce jour de la Saint-Valentin marquant l’année 2022 – puisant dans mon hémérothèque quelques-uns de mes posts datés de 2018 – je ne suis pas surpris de constater (une énième fois) à quel point la démocratie libérale s’est imposée dans la vie politique en “triant ce qui est ou non acceptable pour les institutions internationales de la finance et du commerce en désavouant les souverainetés populaires et nationales”. Selon un psychanalyste français, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’Université Aix-Marseille, le diagnostic apparaît clair : “Quand la police des pensées et des comportements est assurée par les nouvelles formes sociales de l’évaluation qui réduisent la notion de valeur à la conformité et au calcul”; quand “la concurrence économique n’est qu’une manière de poursuivre la guerre par d’autres moyens” (…) “on retrouve les caractéristiques principales du fascisme: parti unique, un contrôle social sévère et un expansionnisme guerrier”.
Karl Popper (La Leçon de ce siècle, 1993) n’estimait-il pas que “la Démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité” ? Quant à Jean-Jacques Rousseau (Le Contrat social), lui, distinguait la Démocratie de l’Ochlocratie, en ce sens qu’il préjugait que la Démocratie dégénère suite à une dénaturation de la “volonté générale” qui cesse d’être générale dès qu’elle commence à incarner les intérêts de certains, d’une partie seulement de la population. Cette différence est de taille puisque les thèses de Karl Popper, tout comme celles de Milton Friedman (père fondateur de l’École de Chicago) ou Friedrich Hayek, ont non seulement bouleversé le domaine de l’économie politique mais également modifié la perception de la Démocratie par le plus grand nombre (…)
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RAYMOND – 20 octobre 2022 à 11 h 56 min
“Voyage dans le temps et l’espace”
Saison (9): Nos démocraties restent malheureusement court-circuitées afin de nous piloter vers la stupidité.
L’opinion de Wilhelm von Humboldt (1767 – 1835) le fondateur du libéralisme classique, était que l’éducation est un problème visant à dérouler un fil suivant lequel l’enfant se développera, mais à sa manière. Vous pouvez guider un peu. C’est ce que l’éducation sérieuse devrait être, du jardin d’enfants jusqu’aux études secondaires. C’est ce qui se passe dans les sciences avancées, parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais la majeure partie du système éducatif est très différente. L’éducation de masse fut conçue pour “transformer les fermiers indépendants en instruments de production dociles et passifs”. Si cela était son premier objectif, le concept était aussi compris par les élites. Emerson a dit une fois quelque chose sur la façon dont “on les éduque pour les empêcher de nous sauter à la gorge”. “Si vous ne les éduquez pas”, ce qu’on appelle l’éducation (et non pas l’instruction), “ils vont prendre le contrôle” – [ils] étant ce qu’Alexander Hamilton appelait la “grande Bête”, c’est-à-dire le peuple, car les sociétés démocratiques sont tout bonnement féroces. À l’image des “foules”. Et à juste titre, puisque plus la société devient libre, plus dangereuse devient la “grande bête” et “plus vous devez faire attention pour la mettre en cage d’une manière ou d’une autre”. Croyons-nous que les choses ont fondamentalement évoluées depuis?
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RAYMOND – 02 novembre 2020 à 12 h 42 min
(…) Non seulement la pensée unique, d’ordre néolibéral chez les économistes “mainstream”, a gangréné le pluralisme des sciences économiques mais le modèle éducatif conditionné a aussi porté sa pierre au grand édifice. Le non moins éminent professeur au MIT, Noam Chomsky, mondialement reconnu pour ses travaux, n’a t-il jamais mis en lumière les effets négatifs, voir pervers, du modèle autoritaire de l’école qui, en imposant des pratiques éducatives autoritaires ne privilégient plus la compréhension, le talent et la créatvité? Penser autrement. Pour illustrer son propos, il cite l’exemple du programme éducatif américain “No child left behind de 2001” (dès lors exporté sur le Vieux continent) qui vise avant tout à enseigner pour réussir un examen. De son point de vue, ce système scolaire qui impose l’ignorance a plutôt tendance à favoriser l’endoctrinement et la formation d’individus qui seront formatés pour être à la solde d’une idéologie de nature “coercitive qui vise à empêcher le peuple d’exercer un contrôle sur le processus décisionnel dans le but de le concentrer entre les mains des aristocrates, ces individus qui méprisent le peuple et cherchent à l’éloigner du pouvoir”. Pour le professeur Chomsky, ces intellectuels formeront à leur tour des individus qui s’attacheront à légitimer et à perpétuer les valeurs d’une société industrielle dominée par le modèle technocratique où le culte des experts occupe une place centrale. Par ailleurs, il y dénonce le nouvel esprit du temps, c’est-à-dire le système dominant de nature anti-démocratique promu par les politiques et le patronat qui privilégient la production et l’accumulation de biens ainsi que la formation “d’outils à la solde des employeurs.“ Tout en critiquant ce modèle de société, Chomsky dénonce “la trahison des clercs”, ces universitaires, intellectuels, médias et tous les défenseurs de ce nouvel esprit du temps qui glorifient, propagent et légitiment ce système de valeurs dont l’objectif est de conditionner et d’opprimer les individus et d’entraver l’avènement d’une société “libre, juste et démocratique.” (…)
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Pour conclure, on peut aussi reprendre une expression d’Adam Smith toujours d’actualité presque 250 ans après la publication de son œuvre clé – La Richesse des nations (1776). De gros efforts sont (toujours) nécessaires “pour arriver à rendre les gens aussi stupide et ignorant qu’il est possible de l’être pour un humain”. Cela à donc un prix !
Au fil du temps et de l’espace, tout à l’image de “la monnaie”, le capital confiance et l’État ne sont que des concepts !
Une Banque centrale en Occident – de surcroît la plus influente de la planète – qui n’aura hésité à manipuler la “relique barbare” au grand satisfecit du Trésor public [et aux profits de ses banques commerciales domestiques] et par analogie à la “monnaie de réserve mondiale” (guerre des monnaies $ guerre commerciale). Avant que la vérité n’éclate au grand jour – post 2013 !
https://www.centralcharts.com/fr/gm/1-apprendre/10-dossier-economique/37-analyse-actualite/836-la-manipulation-des-cours-de-l-or-par-la-fed
Une autre Banque centrale en Occident qui anticipera – en 2022 – une probable capture en devenir ?
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Raymond – février 14, 2023 à 11:33 am
À l’instar de la Fed et de la BCE, vu le contexte géopolitique Russo-Ukrainien et le rôle joué par la “monnaie” – comme médium des échanges au sein de cette “troisième guerre mondiale commerciale” où l’instabilité du système monétaire et financier international n’est plus à démontrer – la banque centrale de Suède avait annoncé en avril 2022 la fin de la deuxième phase de test de l’e-couronne (monnaie numérique de banque centrale ou “Central Bank Digital Currency”). Cette monnaie numérique serait techniquement prête à être intégrée dans les systèmes des banques et des “prestataires de services de paiement”. Les clients des banques devraient ainsi pouvoir échanger leur argent physique enregistré dans leurs comptes bancaires, contre de la monnaie numérique de banque centrale.
La deuxième phase du projet pilote de la MNBC (monnaie numérique de banque centrale) a également permis de tester les possibilités d’utilisation hors ligne de l’e-couronne. Cette phase de test visait en outre à apporter des réponses concernant certaines questions juridiques liées à l’e-couronne. La conclusion des études est que la monnaie numérique pourrait également “être considérée comme une forme électronique d’argent liquide”. Un système dual. Le projet est ainsi rentré dans sa phase 3. La Banque de Suède n’a toutefois pas confirmé officiellement son intention d’émettre effectivement (mais elle le fera sans doute) une e-couronne au grand public. Et malgré les études réalisées lors de la phase 2, l’institution n’a également pas encore révélé le cadre juridique de cette MNBC dans le nouvel ordre monétaire mondial. La Banque de Suède continue donc ses tests sur l’e-couronne et elle n’est d’ailleurs pas la seule à adopter cette position. La banque centrale du Japon continue également de s’intéresser à un yen numérique. Toutefois, elle n’est pas pour autant pressée de suivre les pas de la Banque populaire de Chine et son yuan numérique.
https://www.bis.org/press/p220621_fr.htm
Reste à savoir si la banque centrale des banques centrales (la banque des règlements internationaux) jouera le rôle de régulateur supranationale. Si certains pensent encore à présent que le nouvel ordre monétaire mondial (par ailleurs un outil à juguler les récessions) reste du domaine de l’utopie, il me semble qu’ils peuvent déjà s’enlever l’idée de la tête!
https://michelsanti.fr/or-2/neoliberalisme
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Qui sait alors, au delà de l’aspect répressif exercé sur l’identité numérique (passeport) des citoyens nationaux au Koweït, notre concept à l’occidental pourrait tout aussi bien s’opérer avec une privation de liberté de circulation de nos avoirs enregistrés sous M2, voir une répression plus musclée et facilitée par les mécanismes des “monnaies numériques” centralisées.
Le privilège exorbitant de la libre circulation des capitaux (en sursis?) vs la libre circulation des personnes…
https://pbs.twimg.com/media/GmRkb4MXYAAf0yb?format=jpg&name=small
La grande bascule trumpienne !
Le privilège exorbitant de la libre circulation des capitaux (en sursis?) vs la libre circulation des personnes…
https://pbs.twimg.com/media/GmRkb4MXYAAf0yb?format=jpg&name=small
La grande bascule trumpienne !