Pour réussir, la BCE devra se montrer irresponsable !

Pour réussir, la BCE devra se montrer irresponsable !

mai 7, 2014 0 Par Michel Santi

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Le taux d’intérêt est l’arme par excellence à disposition de la banque centrale lui permettant de mener à bien sa mission. Bien plus qu’une mission en réalité: un devoir qui consiste à régler ce même taux et à en optimiser tant le niveau que l’usage dans un objectif macro économique double et crucial pour le pays dont elle a la charge. A savoir d’assurer la stabilité des prix et de maintenir le quasi plein emploi au sein de l’économie dont elle est responsable.

Dès lors, comment ne pas être choqué par l’attitude de certaines banques centrales majeures pour lesquelles “stabilité des prix” se résume à lutter contre les pressions inflationnistes, même si ces dernières sont inexistantes? Tandis que la déflation, qui constitue une calamité au moins aussi grave que l’inflation, est systématiquement minimisée par ces mêmes banques centrales. Et comment ne pas être scandalisé par ces mêmes impératrices de l’orthodoxie qui se disent subrepticement que le chômage est un mal nécessaire s’il permet de contenir les pressions inflationnistes ?

Toujours est-il que les conditions économiques exigent parfois une réduction drastique de ce taux d’intérêt qui doit tomber à zéro, mais qui ne peut cependant être négatif. Confrontée à ce plancher, la banque centrale se doit dès lors de ressusciter son économie par d’autres moyens, en faisant appel à d’autres types de munitions. C’est là qu’interviennent les baisses de taux quantitatives qui conduisent la banque centrale à acheter tout une palette d’actifs allant du Bons du Trésor du pays étant sous sa tutelle, à des obligations émises par des entreprises et parfois même à des actions en bourse et à de l’immobilier!

Cet activisme de la banque centrale reflète là son implication totale en faveur de l’économie de son pays et a pour objectif affiché d’augmenter la valorisation des actifs, c’est-à-dire des entreprises, des capitalisations boursières et de l’immobilier. En d’autres termes, les “QE” sont un engagement volontariste de la part de la banque centrale qui “se mouille” en rendant son taux négatif – et qui brise donc tous les tabous! – pour stimuler l’investissement et la dépense, grâce à la courroie de transmission de l’inflation qu’elle cherche activement à promouvoir et qui, seule, est à même de ramener la croissance.

Ne ré ouvrons pas aujourd’hui le débat du bien fondé de ces baisses de taux quantitatives par la Banque centrale européenne : elles ne sont que trop appelées de leurs vœux depuis plusieurs années par un très petit nombre d’économistes. La situation en est effectivement parvenue aujourd’hui à un stade tel que, même mises en œuvre dans les jours ou dans les semaines à venir, les baisses de taux quantitatives européennes n’auront quasiment plus d’impact! Sans un authentique changement de mentalité au sein même de cette institution qu’est la BCE, sans une volonté affichée de sa part de promouvoir l’inflation, de relancer la demande et de résorber le chômage : les baisses de taux quantitatives seront suivies d’un effet minimal, consistant tout au plus à faire baisser l’euro.

Si elle cherche à être crédible, pour réellement être en mesure de motiver l’investisseur et le consommateur, la banque centrale devra savoir convaincre qu’elle n’hésitera pas à se montrer “irresponsable”, pour reprendre le terme de Paul Krugman. Seule en effet cette irresponsabilité annoncée de la banque centrale déterminée à peser de tout son poids, et à exploiter sa force de frappe quasiment illimitée, autorisera la reprise de l’économie dont elle a la charge. Car, comprenons-le bien, la réduction du taux d’intérêt comme l’achat d’actifs dans le cadre de “QE” ne sont que des instruments. Ou plus précisément des messages émis en direction des entreprises, des ménages et des consommateurs qui sont destinés à les amener à ré évaluer leur diagnostic sur leur propre économie.

Ce n’est donc que si le message est clair et sans équivoque que ces divers intervenants reprendront graduellement confiance et pourront anticiper avec sérénité une amélioration de leurs revenus autorisant la relance des investissements et de la consommation. Les instruments dont fera usage la banque centrale sont certes déterminants. Pour autant – et pour se révéler d’une efficacité optimale-, l’emploi du levier du taux d’intérêt et, à plus forte raison, d’une arme aussi peu conventionnelle que les baisses de taux quantitatives, exige une manipulation tout en subtilité. Ce dont la BCE semble être totalement dénuée…

Voilà pourquoi la BCE est condamnée à échouer et, ce, même si elle devait se résoudre à appliquer les baisses de taux quantitatives. En fait, précisément parce qu’elle devra s’y “résoudre”, dans le sens où elle le fera sans conviction aucune, mais seulement contrainte et forcée par les circonstances et par une irrésistible pression. Comme ces armes non conventionnelles que sont les baisses de taux quantitatives ne sont qu’un levier permettant de conditionner les attentes et le moral des entreprises et des ménages, leur simple mise en place par une BCE dont on saura qu’elle ne le fait qu’à reculons suffira à en neutraliser les effets bénéfiques. Notre Banque centrale européenne n’est hélas plus crédible, et les divers intervenants économiques – de l’entreprise cotée en bourse au consommateur ultime – doutent sérieusement de sa volonté de casser la spirale récessionniste et de résorber le chômage.

Et pour cause! N’est-ce pas elle qui, au climax de la crise européenne en 2011 et à un moment où elle devait impérativement injecter des liquidités…devait au contraire remonter son taux directeur en prétextant d’un regain des pressions inflationnistes ? N’est-ce pas elle qui fut si lente à réduire par la suite ses mêmes taux alors qu’il était limpide que la préoccupation immédiate était d’ordre déflationniste? N’est-ce pas encore la BCE qui n’en finit plus de tergiverser à propos de l’emploi d’une politique monétaire peu conventionnelle, alors qu’elle doit faire face et rendre des comptes à près de 20 millions de chômeurs européens ?

Pour être efficaces, des QE se doivent d’être renforcés et accompagnés d’une volonté inébranlable de la part de la banque centrale de poursuivre cette politique tant qu’un certain objectif macro économique n’aura pas été atteint. Comme la Réserve fédérale américaine et comme la Banque d’Angleterre qui se sont fixées des objectifs chiffrés en matière de chômage et de P.I.B. avant d’interrompre leurs programmes de rachats d’actifs. Comme la Banque du Japon qui a promis un usage illimité de ses munitions tant que l’inflation n’aurait pas atteint 2%. Autant de postures déterminées – voire agressives – ayant persuadé les entreprises comme les consommateurs de modifier leur approche et d’améliorer leurs anticipations quant au redressement de leurs économies respectives.

Après des années d’attitude velléitaire, d’obsession inflationniste, de tergiversations et de diagnostics économiques erronés, n’attendons aujourd’hui nulle détermination ou innovation de la part de la BCE. Qu’elle se lance demain dans des baisses de taux quantitatives n’y changera rien, car le cœur n’y sera pas! Et son conservatisme est fermement ancré dans la perception que se font d’elle les européens.

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