
L’illusion européenne
Le tristement célèbre Traité de Versailles imposé à l’Allemagne à l’issue du premier conflit mondial la contraignait de s’acquitter de la somme astronomique de 132 milliards de marks or. Ce traité inique devait provoquer l’occupation de la Ruhr en 1923 par la France mécontente des retards de paiement allemands. En 1924, le Plan Dawes, concocté par les Alliés, permit quand même de restructurer et d’alléger quelque peu le fardeau de cet endettement. Pour autant, l’Allemagne – qui devait emprunter toutes ces sommes à rembourser aux Alliés à des créanciers étrangers – ne parvenait toujours pas à honorer une telle charge à l’évidence hautement nuisible à sa reconstruction et à son développement économique. Un nouveau compromis dut donc être signé en juin 1929 à Paris qui devait réduire à 112 milliards de marks cette dette dont le remboursement était désormais censé s’étaler jusqu’en…1988. En l’absence d’excédents commerciaux lui permettant d’engranger de nouvelles liquidités, la seule manière pour l’Allemagne de s’en acquitter était de contracter de nouvelles dettes vis-à-vis de créanciers étrangers. Ce n’est qu’à la faveur de la faillite retentissante et dramatique de la Creditanstalt en mai 1931 que le «moratoire Hoover» (du nom du Président américain de l’époque) permit de suspendre ces règlements, qui furent enfin annulés à l’occasion de la conférence de Lausanne de 1932.
Dès la signature du Traité de Versailles, Keynes –présent et impliqué dans ces tractations avec la délégation britannique- avait déploré les termes de ces réparations dont il pressentait bien qu’elles mèneraient à la ruine de l’économie allemande. Son ouvrage – Les Conséquences économiques de la paix- spécialement rédigé pour l’occasion devait tellement aller contre la pensée dominante débilitante de l’époque exigeant du sang et des larmes allemands qu’il dut – faute d’éditeur courageux- le publier à compte d’auteur. A son tour, le gouverneur de la banque centrale allemande, Hjalmar Schacht, devait plaider la cause de son pays dans un article publié en 1934 dans le magazine «Foreign Affairs» où il expliquait qu’»une nation endettée ne peut payer que si elle dégage un excédent commercial». Problématique qui devait à nouveau se poser à la fin de la seconde guerre mondiale où les vainqueurs durent à nouveau composer et trouver un accord à Londres en 1953 pour restructurer la dette de la RFA de l’époque. Pourtant, la leçon fut apprise car les remboursements allemands furent indexés aux excédents commerciaux de ce pays. L’Allemagne de l’Ouest n’était en effet tenue de régler se dette que dans la mesure où elle bénéficiait de surplus commerciaux et selon un plafond limitant ces remboursements à 3% de cet excédent!
Le parallèle avec la période actuelle est immédiat et l’on se demande bien pour quelles raisons l’Union Européenne ne s’inspire pas de ces expériences du passé? Pourquoi les pays européens dits «périphériques» doivent-ils aujourd’hui subir les expéditions punitives des nations européennes créditrices? Les critères européens – dont l’Allemagne contemporaine se fait le champion et le garant en rejetant d’un revers de main toute mansuétude à l’égard des pays endettés néanmoins membre de la même union monétaire – empêchent de fait toute restructuration des dettes intra-européennes. L’euro a permis de créer et d’entretenir l’illusion insensée selon laquelle les membres créditeurs seraient toujours et systématiquement repayés, alors que les lourdes et douloureuses leçons du passé exigeraient flexibilité et ré échelonnements des dettes intra européennes. Aujourd’hui, il est crucial de corréler les remboursements des dettes souveraines au sein même de l’Union Européenne aux excédents commerciaux générés, ou à générer. Les deux parties, –créanciers et débiteurs– membres de la même union monétaire, se doivent de travailler en partenaires car la restructuration des dettes intra-européennes est une obligation politique, et devrait même être un réflexe naturel.
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Michel