Faut-il avoir peur de l’Etat ?

Faut-il avoir peur de l’Etat ?

mars 28, 2021 7 Par Michel Santi

 

L’Etat a toujours fait peur et ceux que l’on nomme désormais « libertariens » ont toujours vu avec appréhension les pouvoirs publics prendre de l’ampleur car l’accroissement des attributs d’un Etat était interprété par nombre de citoyens à travers le monde occidental comme un rétrécissement de leurs propres libertés. Pour les adeptes de cette école de pensée – disons-le – assez complotiste, les marges de manœuvres privées sont inversement proportionnelles à la taille de l’Etat. Milton Friedman, Nobel d’économie en 1976 et qui fut quand même le père du monétarisme ayant un temps rayonné à travers le monde, n’aurait pas renié le Bitcoin car la pensée libertarienne fut au cœur de sa thèse économique.

Voilà en effet un économiste majeur qui s’appliqua, tout au long de sa carrière, à confectionner des théories dont le but essentiel fut de limiter les pouvoirs étatiques et de promouvoir les initiatives privées dont il était persuadé qu’elles étaient bridées par les pouvoirs publics. Les Etats-Unis d’Amérique ont certes un lourd passé jalonné d’une guerre civile, notamment provoquée par le refus de certains Etats de reconnaître un pouvoir fédéral. Cette histoire et même cette scission sont toujours plus que jamais d’actualité de nos jours et restent largement représentées au sein des deux grands partis politiques. Friedman, pour sa part, transcendait dans ses pensées économiques l’aspect politique et allait encore plus loin en prêtant des intentions machiavéliques à un Etat qui – selon lui – profite des crises pour soutenir son économie afin d’accroître subrepticement et progressivement son emprise. Une récession et même un taux de chômage très élevé ne justifiant en rien, selon Friedman, que l’Etat intervienne, il préférait de loin soulager une économie déprimée grâce à la politique monétaire des banques centrales.

Cette approche – ayant il est vrai consacré dès les années 1980 la toute-puissance de la politique monétaire – est à mettre en perspective avec notre conjoncture actuelle où les banques centrales semblent à bout de souffle en dépit d’un activisme et d’un interventionnisme sans précédents depuis 2007.  Milton Friedman ne pourrait plus, aujourd’hui, se cacher derrière elles dans le but de tenir l’Etat en laisse car les taux d’intérêt ne peuvent passer sous la barre du zéro. Désormais parvenus au niveau plancher, nul ne prêtera à autrui à des taux négatifs, tout comme nulle expansion de liquidités n’est plus réalisable par leur seul fait d’une banque centrale qui rafle obligations et Bons du Trésor. John Maynard Keynes avait – avant Friedman – bien identifié ce hiatus et l’avait formulé comme d’habitude simplement en expliquant que l’injection d’argent dans une économie n’aurait aucun effet stimulatoire en l’absence d’investissement et de consommation. C’était, disait-il, « comme tenter de grossir par le simple fait d’acheter une ceinture large »…

Nous nous retrouvons donc en 2021 à la croisée des chemins car des politiques publiques largement expansionnistes – et une intervention massive de l’Etat qui ferait frémir Friedman – sont vitales afin de contrer la dépression qui nous guette. Voilà des années que nos banquiers centraux – Mario Draghi en tête – exhortent les responsables au pouvoir en ce sens car ils sont pertinemment conscients qu’une politique monétaire n’est pas capable, à elle seule, de juguler une crise, encore moins de relancer une croissance au long cours. On le constate, cette confrontation entre ces deux théories économiques – celle de Friedman et celle de Keynes – est plus que jamais d’actualité aujourd’hui. Du reste, Friedman lui-même – qui avait pleinement conscience de la nécessité impérieuse de l’Etat en certaines circonstances – avait signé le 31 décembre 1965 un article dans le « Times » où il reconnaissait que « nous sommes tous keynésiens maintenant ». Puissent nos responsables politiques contemporains l’écouter.

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