Remettre les banquiers centraux dans leur case ?
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Bien sincèrement,
Michel
Bonjour Michel,
Merci pour cette vidéo fort intéressante. Je m’arrête sur un point le “seigneuriage”. Au-delà de la définition que vous donnez et des calculs mathématiques que l’on donne sur la toile, pourriez-vous nous répondre si le droit de seigneuriage a un rapport avec l’inflation, ou encore avec le taux de refinancement d’une Banque centrale.
Ne perdons pas de vue que le taux de refinancement (ou taux refi pour la BCE, taux repo pour la Fed) est le principal taux directeur des banques centrales ; il permet de réguler l’activité économique par l’apport ou le retrait de liquidités.
Et ne serait-ce que pour donner un exemple, lorsqu’une Banque centrale relève son taux d’intérêt directeur, ce qui rend difficile l’octroi des crédits par les banques secondaires puisqu’elles répercutent ce taux sur les entreprises et les ménages. D’autre part, en prenant la Fed pour l’exemple, une hausse du taux directeur substantielle attire forcément des capitaux du monde entier. Le dollar s’apprécie par rapport aux autres monnaies internationales.N’est-ce pas là un droit de seigneuriage ? Et pourtant vous le définissez ainsi:
“Comme les espèces ne rapportent aucun intérêt, et comme sa rentabilité sur le seigneuriage égale au différentiel entre ce qu’elle touche sur cette obligation figurant à son bilan et le billet émis, la banque centrale US gagne donc 4% sur chaque dollar imprimé. Les bénéfices d’une banque centrale sont donc proportionnels à la quantité d’espèces qu’elle émet : son seigneuriage augmente logiquement en même temps que la masse des billets en circulation.”
A mon sens, le droit de seigneuriage d’une Banque centrale est bien plus grand qu’il ne paraît, on peut certes le calculer que sur un versant, et encore de manière très approchée.
Comment voyez-vous, Michel, le rapport entre le droit de seigneuriage, le taux d’inflation et le taux refi ?
Surtout la théorie des complots, les superpouvoirs dont vous faîtes état relève précisément de ce manque de clarté sur le seigneuriage qu’exercent les Banques centrales sur leurs nations, et le quatuor (Fed, BCE, BoE, BoJ) sur l’ensemble du monde.
A mon sens, Michel, vous avez trop dit ou pas assez. A vous de voir, et à ceux qui vous lisent d’apporter une lueur rationnelle. Parce que c’est assez obscur dans le fond le “droit de seigneuriage” ou “seignorage” à moins qu’il faut remonter au temps médiévaux pour comprendre.
Merci d’avance pour la (ou les) réponse (s).
Puisqu’il n’y a pas de réponse à mes questions, j’apporte un éclairage sur le seigneuriage plus substantiel, plus palpable.
Si on veut comprendre la quintessence du « seigneuriage » ou du temps médiéval appelé « seigniorage », considérons un Etat du Moyen-Âge, un royaume. Et le roi qui gouverne a le « pouvoir régalien de la frappe monétaire ». Chaque année, le pouvoir royal frappe de la monnaie, en contrepartie de la production de richesse par les paysans (blé, élevage bovin, ovin…, scieries de bois, etc.). Chaque année, la masse monétaire créée doit correspondre à la production de richesse créée et mis en vente, et aux besoins du souverain pour financer ses dépenses royales qui ne sont pas couvertes par la levée de l’impôt.
Mais comme la plupart des richesses produites sont consommées, la nourriture, le bois brûlé pour le chauffage, l’usure de l’habillement, etc., une grande partie de la richesse produite aura disparu, alors que la quantité de monnaie est restée en l’état. Le cycle recommence, et la quantité de monnaie émise par le souverain n’aura à augmenter qu’avec le nouveau surplus de production de blé, de viande, de bois, etc., par rapport à la production passée. Si la nouvelle production de blé, etc., a diminué, logiquement, il doit détruire de la monnaie pour l’ajuster à la production réelle qui a diminuée. Bien sûr y compris en prenant en compte les dépenses du roi avec la nouvelle année qui auront augmenté ou diminué.
Il faut que la création monétaire soit neutre. Et ainsi chaque année. Il se produit donc un juste équilibre entre la production annuelle et des dépenses royales (train de vie du royal, solde de l’armée du roi, aménagements territoriaux, etc.).
Si les besoins de la royauté sont stables, et la production de biens et services par la paysannerie aussi, l’équilibre du royaume est préservé. On peut penser que les services du roi peuvent ajuster le budget du roi par un plus ou moins de création de monnaie selon que « la balance royale des dépenses et recettes d’impôts présente un déficit ou un excédent ».
Mais, compte tenu de la misère des paysans et le recouvrement difficile de l’impôt, les services du roi opèrent certainement plus par la création monétaire le financement des dépenses royales non couvertes par l’imposition. Ce surplus monétaire crée ex nihilo, se substituant à l’impôt, constitue un prélèvement indirect de richesses. Un impôt qui n’apparaît pas dans les comptes mais qui peut être fortement ressenti par les paysans si la création monétaire n’est pas maîtrisée.
Cet « impôt monétaire » constitue le « droit de seigneuriage » du souverain. C’est un impôt complémentaire à la levée des impôts pour financer les services que le pouvoir royal doit à ses sujets. En termes de paix sociale (rétribution de la police du royaume), défense du royaume (financement de l’armée au service du royaume), aménagements du royaume, etc.
En période de croissance, la situation économique ne doit probablement pas poser de problèmes au souverain. Mais, en situation particulière, par exemple un train de vie royal plus dépensier (festivités fréquentes, mobilisation des paysans pour des travaux royaux au détriment des travaux agricoles, etc.), une période de disette, de guerre avec un autre royaume, le budget royal nécessite forcément plus d’impôts. Le recours à la création monétaire devient alors une nécessité pour le financement des nouvelles dépenses.
Mais la situation n’est pas simple. Un recours à la création monétaire donc à un « droit de seigneuriage soutenu » crée une situation conflictuelle avec la population. Des troubles politiques peuvent éclater et créer une situation dangereuse pour le royaume.
D’autant plus qu’au Moyen-Âge, et même à une époque récente, au XVIIe siècle, le « blé » était une donnée stratégique pour le pouvoir royal. Vu les insuffisances de vivres à l’époque, les famines fréquentes, le souverain, pour éviter des troubles sociaux, obligeaient ses sujets, producteurs de blé, d’entreposer leurs récoltes dans ses magasins. Les services du roi ensuite les vendaient à un « cours forcé » aux sujets. Pour une distribution équilibrée au sein de la population.
Mais en cas de mauvaise récolte, de guerre, etc., qui commandait plus de monnaie pour couvrir les dépenses, il s’ensuivait une « augmentation du prix du blé qui se répercutait sur les autres produits. Le savetier par exemple qui répare les souliers, payant plus cher le blé, augmente le prix de ses réparations. Le marchand de lait, de viande aussi. Et tous les produits sont touchés par la hausse des prix. Si l’inflation prend des proportions, il se produit des troubles graves dans les royaumes médiévaux. La hausse des prix amènera beaucoup de paysans à se retrouver dans une situation d’extrême misère. C’est ainsi que le royaume est frappé de famines, disettes qui provoqueront une hécatombe parmi la population (morts, maladies, épidémies).
Le Moyen-Âge a été fortement marqué par la famine, les émeutes et les jacqueries (révoltes paysannes) dont une grande part provenait des dérèglements monétaires. Le « droit de seigneuriage » favorisait rois, princes, courtisans au détriment d’une population asservie au servage.
Ce que nous appelons aujourd’hui l’« inflation » n’est autre que ce qui relève du « droit régalien de seigniorage » des souverains médiévaux. L’inflation donc permet à l’État d’endosser à la population le coût de la décroissance économique en les paupérisant ».
Ce bref rappel des systèmes financiers et monétaires des Etats médiévaux nous permet de mieux comprendre l’organisation du système monétaire international comme elle s’articule aujourd’hui. Le système monétaire médiéval est bien l’« Ancêtre du Système Monétaire International ». Et le problème avec le droit seigniorage ou seigneuriage est qu’il n’y a pas de solution que l’on soit au Moyen-Âge ou aujourd’hui. Pire, aujourd’hui, relever simplement un taux d’intérêt de 10% à 20%, comme cela s’est passé avec Paul Volcker, a provoqué l’endettement d’une grande partie du monde dont l’Afrique, l’Amérique du Sud et une grande partie de l’Asie, et surtout a provoqué le délabrement de l’Union soviétique, l’éclatement du bloc Est et la fin de l’URSS et de la Yougoslavie.
Et tout cela par le pouvoir régalien qu’ont les grandes Banques centrales occidentales, à l’époque, Les Banques centrales américaine, allemande, française, japonaise, britannique et suisse.
Ce petit écrit éclaire, je pense mieux, le sens réel et surtout redoutable du seigneuriage dans la marche du monde. Merci de m’avoir lu et compris
P. Lesens: merci de ce complément précieux, qui apporte en effet un nouvel éclairage. Le seigneuriage est un parasitage…