
L’austérité fait-elle une politique ?
La consolidation fiscale est une fable morale. Du reste, l’un après l’autre, tous les arguments – ou prétextes – en sa faveur tombent, comme dans un jeu de quilles. Les déficits seraient une charge supplémentaire qui pèse sur les générations futures ? Ceux qui le prétendent n’ont toujours pas compris qu’augmenter la dette aujourd’hui n’est nullement un transfert inter générationnel, mais intra générationnel, car c’est les débiteurs – demain – qui devront en effet rembourser les créanciers – de demain. Les déficits nuiraient à l’investissement ? En période de déprime du secteur privé, l’Etat se doit précisément de prendre intensivement le relais en arrosant de liquidités les acteurs de son économie. Ces mêmes déficits conduiraient à l’envolée des taux d’intérêt ? C’est en fait tout le contraire que l’on constate, en tout cas dans des pays lourdement endettés néanmoins bénéficiant d’une monnaie «souveraine», à savoir les Etats-Unis et le Japon… Bref, l’Etat doit au contraire s’endetter davantage et creuser ses déficits dans le but de rétablir le plein emploi, même si nos gouvernants actuels refusent catégoriquement de faire appel à la dette pour relancer l’activité économique.
Leur seul et unique objectif – ou obsession ? – étant donc d’équilibrer leur budget, tandis que les femmes et les hommes qui nous dirigent devraient plutôt avoir pour ambition de stimuler l’investissement et de réduire les inégalités. Comment défendre encore la rigueur comptable – et donc l’accélération du chômage – quand ils peuvent à la fois user judicieusement et équitablement du levier de la fiscalité ? Les dépenses publiques sont drastiquement revues en baisse alors que les efforts et énergies devraient être concentrés sur la hausse de la taxation des classes aisées, et sur la contribution active de la banque centrale à la reprise de la croissance. A moins que l’argumentation fallacieuse derrière laquelle se dissimulent les tenants de l’orthodoxie ne serve à détourner les attentions de leur motivation réelle, qui reviendrait à faire encore et toujours plus régresser l’Etat. C’est donc au nom des «réformes structurelles» et des «il n’y a aucune alternative à la rigueur» que l’on sabre allègrement les dépenses sociales, et que l’on oppose un veto dédaigneux à toute création d’emplois qui serait redevable au stimulus étatique. A l’instar de l’ancienne Présidente du MEDEF qui professait que, comme «la vie est précaire, l’amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ?» Ainsi, les ardents défenseurs d’une finance et de comptes sains exigent que le niveau de l’emploi soit dépendant du seul degré de confiance qui prévaut dans le milieu des affaires, quand il a été maintes fois attesté ces vingt dernières années que la spéculation boursière et financière était la principale raison de la dégradation de la conjoncture économique.
Sous couvert d’une argumentation économique, cette obstination jusqu’au boutiste qui se bat farouchement contre la doctrine du plein emploi masque pourtant de moins en moins bien ses vrais motifs politiques, voire idéologiques. Circonscrire les dépenses publiques strictement aux revenus engrangés par l’Etat n’est en fait ni plus ni moins qu’une fable morale contée par celles et ceux qui s’érigent en donneurs de leçons ès responsabilité. Derrière leur storytelling qui abuse le commun des mortels à qui l’on fait croire qu’il faut gérer le budget d’un Etat comme les cordons de la bourse d’un ménage, ces pourfendeurs des déficits préservent très prosaïquement les intérêts de la classe dominante. Celle-là même qui, en voyant tout sous le prisme de l’accumulation et de l’enrichissement matériels, se voyait qualifiée par Keynes de «semi criminelle» et de «semi pathologique»… Tout en étant symptomatique de la domination des rentiers sur nos économies, ce diktat de l’austérité révèle également une classe dirigeante et intellectuelle qui ne parvient décidément pas à aborder les fondamentaux économiques sous le bon angle. Pourquoi ne pas en effet intégrer à cette équation de la dette des paramètres aussi déterminants que le niveau des taux d’intérêt et de l’inflation ? Et pourquoi s’obstiner à considérer qu’une économie saine doit forcément être à l’équilibre (budgétaire et comptable) quand une activité économique – par essence dynamique, c’est-à-dire instable – requiert épisodiquement l’intervention lissante des fonds publics ?
Il ne faut donc surtout pas confondre économie et morale, car celles et ceux qui ont besoin d’être soutenus n’ont commis nul pêché. Avant – bien avant – que de chercher à équilibrer ses comptes, l’Etat doit avoir pour seule préoccupation de remettre ses citoyens au travail.
“Comment expliquer un tel virage d’analyse d’économistes réputés proches d’Emmanuel Macron et pointant les déséquilibres européens, et principalement allemands, comme centraux dans leur rapport ?
Leur discours est un discours économique on ne peut plus mainstream. Il n’y a la rien de choquant pour qui adopte un raisonnement macroéconomique standard. Donc ce n’est pas un virage, mais la volonté de rappeler des réalités. Volonté qu’on retrouve dans diverses pétitions pour finir la zone euro, dans un contexte de populismes, de difficultés économiques qui se profilent, d’une récession qui va arriver avec une BCE sans munitions.”
https://www.atlantico.fr/decryptage/3571034/ce-rapport-du-conseil-national-de-productivite-redige-par-des-proches-d-emmanuel-macron-prefigure-t-il-le-vrai-tournant-du-quinquennat–christophe-bouillaud-alexandre-delaigue
Oui, et l’on n’est pas près de nous en sortir car les Présidents se suivent, changent et leur politique reste la même: mainstream.
En fait, si vous lisez bien l’article que je cite, les économistes disent que précisément la politique en UE n’a rien de mainstream ni d’orthodoxe, contrairement à celle menée au Japon :
“Les abenomics ne sont donc pas exactement ce qui était affiché. C’est une politique plus orthodoxe qu’on ne le dit : un peu d’austérité budgétaire compensée par une politique monétaire expansionniste (qui a bénéficié aux exportations en faisant baisser le yen) joint à un peu de réformes structurelles. Si vous lisiez un manuel d’économie complètement orthodoxe, c’est exactement ce que vous y trouveriez comme préconisation.”
https://blog.francetvinfo.fr/classe-eco/2018/03/08/peut-on-sinspirer-du-succes-japonais.html
peut-être mais pas la politique ultra expansionniste de la Banque du Japon. Elle ferait tomber en syncope tout tenant de l’orthodoxie.
Bonjour Edgell Oliver,
En lisant bien, voici ma propre étude du premier article qui m’amène, comme Michel Santi, à croire que l’on n’est pas près de nous en sortir car les Présidents se suivent, changent et leur politique reste intrinsèquement la même: Mainstream.
« Or, là, par un ironique retour du destin, le premier Rapport français porte dans sa conclusion la trace d’une vision UN TOUT PETIT PEU KEYNÉSIENNE TOUT DE MÊME : il serait bon que l’Allemagne et les pays en excédents dans leur balance courante relancent »
« En fait, à lire ces conclusions (sic. le rapport) on n’est pas très loin de se dire qu’un économiste aussi sulfureux que Jacques Sapir va finir par être mainstream à sa grande surprise sans doute, tout au moins sur la description de la situation, pas sur les remèdes (ndrl. pas sur les remèdes) ».
« Cette demande, très explicite d’une relance (dixit: pas essence budgétaire) mais aussi d’un ajustement à la hausse des salaires et des prix, dans les pays en excédent de balance courante, est donc effectivement une grosse pierre jetée de l’autre côté du Rhin » (dixit : politique contracyclique keynésienne et non ordo-libérale / frange du néo-libéralisme français, d’où l’expression du pavé dans la mare).
« En Allemagne beaucoup d’économistes ont le sentiment de vivre sur une autre planète, dans laquelle le fait d’exporter massivement est vu comme la plus grande des vertus, dans lequel renoncer à des investissements publics pour rembourser une dette contractée à taux négatif est une bonne idée » (dixit, heureusement que certains économistes ont enfin saisi qu’en dehors du dogme des monétaristes, couplé aux vieux démons du Luthérianisme rhénan, un autre modèle existe bel et bien. Les hétérodoxes ont tout de même patiemment et quelque peu bousculé l’idéologie « mainstream »).
« Par ailleurs, du strict point de vue de l’analyse économique, LE TEMPS PASSANT, il n’est plus guère possible de douter que les déséquilibres internes à la zone Euro doivent aussi voir l’Allemagne faire sa part dans le rééquilibrage. Nous sommes en effet en 2019. L’ajustement des pays du sud de la zone Euro a désormais eu lieu. Ces pays ne peuvent guère aller plus loin sans mettre en cause le fonctionnement de leur démocratie, ou amener au pouvoir des partis radicaux » (dixit : l’orthodoxie et l’austérité sont l’antithèse des hétérodoxes, de surcroît des politiques économiques contracycliques suffisamment développée par les travaux Keynes).
« Par ailleurs, si l’on regarde les noms des économistes qui participent au Rapport, force est de constater qu’ils sont ceux de personnes engagés dans des carrières passant par le monde des économistes anglo-saxons (dixit, c’est- à- dire néo-libéral) les plus dominants (sic. « mainstream » avec prédominance à l’idéologie du monétarisme propre à l’École de Chicago). L’ordo-libéralisme est un produit allemand qui s’exporte finalement plutôt mal sur les marchés académiques internationaux (dixit : et pour cause compte tenu de son élément central, le Luthérianisme, qui dicte un modèle économique hybride).
« Leur discours est un discours économique on ne peut plus mainstream (dixit : et pour cause comme relevé). Il n’y a la rien de choquant pour qui adopte un raisonnement macroéconomique standard (dixit : et pour cause, l’économie réelle est encore bien éloignée des mesures contracycliques préconisées par les hétérodoxes). Donc ce n’est pas un virage, mais la volonté de rappeler des réalités ». (dixit : effectivement, ce n’est pas un virage, simplement une volonté de rappeler certaines réalités).
Bonjour Edgell Oliver,
En lisant bien, voici ma propre étude du deuxième article qui m’amène à affirmer, aussi, que la politique ultra expansionniste de la Banque du Japon ferait tomber en syncope tout tenant de l’orthodoxie.
« La politique de Shinzo Abe face à ces problèmes pouvait se résumer simplement : tout essayer pour soutenir l’économie. Certains économistes (dixit : ceux qui surfent sur différents courants de pensées et au gré des vents de la politique politicienne, c’est-à-dire les économistes qui passent tantôt du Monétarisme au Keynésianisme à la vitesse de l’éclair) considèrent que la politique monétaire est le meilleur moyen de soutenir l’activité d’une économie déprimée… »
« Pour d’autres économistes, la politique monétaire devient inopérante à un certain niveau (si en l’abscence d’un levier budgétaire suffisant, l’inflation va se localiser dans les actifs financiers et immobiliers) : la banque centrale ne peut pas beaucoup baisser les taux d’intérêt en dessous de zéro, et cela peut avoir des conséquences négatives. Il vaut mieux (dixit : la relance monétaire doit avoir pour corollaire la relance budgétaire) soutenir l’économie par une politique budgétaire, c’est à dire, de forts déficits publics pour redresser la demande globale ». (Dixit : les Keynésiens / respectivement les Hétérodoxes)
« Enfin, certains considèrent que les politiques macroéconomiques (monétaires, budgétaires) ne sont au mieux que des expédients, l’essentiel pour faire croître une économie est de mener des réformes structurelles pour rendre l’économie plus efficace, augmenter le taux d’emploi, accroître l’efficacité des entreprises et la concurrence, etc ». (Dixit les Monétaristes)
« Les économistes passent beaucoup de temps à discuter des mérites respectifs de ces différentes approches ». (Pourtant et paradoxalement, bien qu’une guerre des chapelles sévit dans le champ des sciences molles, c’est-à- dire des « sciences économiques et sociales », chacun aura tout de même appris dans son cursus de base qu’une relance monétaire non couplée à l’usage du levier de la relance budgétaire, ça ne fonctionne pas véritablement. Ceci dit, la guerre des chapelles a toujours eu pour effet à dévoyer une discipline isssue des sciences molles en tentant de la permuter, à l’aide de la mathématisation, en science dure. C’est-à-dire en une science exacte, qui plus est, politisée à dessein)
« Pourrait-on s’en inspirer en France et en Europe? Il faut avant de répondre à cette question noter qu’il y a un écart entre la réalité des abenomics et ce qui était prévu ».
« Effectivement la politique monétaire du pays, menée par Haruhiko Kuroda, a été très expansionniste »
« Reste la politique budgétaire. Dans ce domaine le gouvernement japonais a été loin de ses annonces de soutien massif à l’activité. En pratique, il a mené en 2014 une réforme fiscale augmentant les taxes sur la consommation et réduisant les impôts sur les bénéfices des entreprises dont le résultat a été une amélioration des recettes fiscales au détriment de la demande des consommateurs. Au bout du compte la politique budgétaire a varié entre austérité avec cette réforme fiscale et neutralité le reste du temps ». (En conséquence, chacun aura saisi que le carquois de Shinzō Abe à une prédominance monétariste. C’est-à-dire, qu’une des flèches propre à la relance budgétaire – politique Keynésienne – n’a pas été usitée à bon escient)
“Les abenomics ne sont donc pas exactement ce qui était affiché. C’est une politique plus orthodoxe qu’on ne le dit : un peu d’austérité budgétaire compensée par une politique monétaire expansionniste – qui a bénéficié aux exportations en faisant baisser le yen – joint à un peu de réformes structurelles. Si vous lisiez un manuel d’économie complètement orthodoxe, c’est exactement ce que vous y trouveriez comme préconisation ». (Dixit : et pour cause)
« Il n’empêche : le Japon était un test. Et le test est concluant (dixit : même en considérant la faiblesse de la relance budgétaire) . Il est possible, avec une politique monétaire appropriée (Dixit : en l’occurence une relance monétaire ultra-expansionniste) d’absorber le choc de la situation actuelle dans les pays riches – démographie vieillissante, gains de productivité lents, autrement que par l’austérité et l’acceptation passive de la dégradation, ou en sombrant dans le populisme économique » .
« La raison pour laquelle on ne prend pas la mesure de cette leçon est qu’elle ne rentre que difficilement dans les schémas idéologiques habituels » (Dixit : schéma idéologique « mainstream).
« En fait, si vous lisez bien l’article que je cite (dixit : Edgell Oliver), les économistes disent que précisément la politique en UE n’a rien de mainstream ni d’orthodoxe, contrairement à celle menée au Japon ».
Si vous lisez bien mes interventions, Edgell Oliver, que vous prenez le temps d’analyser les nuances des deux articles (écrit à dessein?) vous auriez décrypté que la politique en UE est bel et bien mainstream et orthodoxe et que la politique menée au Japon a bel et bien une orientation Keynésienne mais nuancée (relance monétaire ultra expansionniste mais toutefois dotée d’ une relance budgétaire manquant d’ambition par son manque de soutien massif. Et si l’on tient compte des mesures de relance monétaire, en faisant abstraction d’une relance monétaire ultra expansionniste – ce qui n’est pas le cas dans les faits – que l’on y intègre la réforme fiscale de 2014 augmentant les taxes sur la consommation et réduisant les impôts sur les bénéfices des entreprises dont le résultat a été une amélioration des recettes fiscales au détriment de la demande des consommateurs, alors nous avons bien une prédominance « mainstream et orthodoxe ».
Merci pour ces deux articles très révélateurs de la « guerre des chapelles ».
Bien à vous.
PS: Et en ce qui me concerne, pour répondre à la question de MS, OUI…l’austérité est une politique non économique mais politicienne