LE MONDE : Une monnaie unique sans gouvernement ?

février 8, 2010 0 Par Michel Santi

La Grèce va devoir réussir les douze travaux d’Hercule. Son plan d’austérité prévoit une baisse du déficit public de 10 points de produit intérieur brut (PIB) sur trois ans ! Il doit être approuvé par les ministres européens des finances le 15 février, comme les mesures prises pour mettre fin à l’irrégularité des statistiques grecques, dont la révélation a accentué la crise. Mercredi 3 février, la Commission européenne a donné son feu vert au plan grec, tout en le soumettant à un strict contrôle. La Banque centrale européenne (BCE) l’a approuvé le lendemain. Son président, Jean-Claude Trichet, a jugé “d’une importance capitale” que tous les pays de la zone euro mettent en place des stratégies pour revenir dans les normes budgétaires.
Les tensions sur les marchés financiers s’accroissent aussi au Portugal et en Espagne, déjà sous pression, comme l’Irlande, depuis 2009. Ces quatre pays, rebaptisés les “PIGS” (“cochons”, S pour Spain), devraient rester en récession en 2010 alors que le chômage explose. Une politique de rigueur leur permettra-t-elle de sortir de l’ornière ? Certains experts mettent en garde contre le risque de dépression sévère, comme en Irlande. Pour l’économiste Michel Santi, “les mesures d’austérité en Grèce y provoqueront vraisemblablement une spirale déflationniste”.

Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a d’ailleurs suggéré aux pays de la zone euro, jeudi 4 février, “d’aider d’une façon ou d’une autre” la Grèce. Et il a offert l’assistance du FMI.

La crise grecque est ainsi déjà celle de la zone euro, soulignant ses limites institutionnelles et politiques et les failles de ses règles ou de sa politique monétaire.

Cette crise comprend aussi des dimensions géopolitiques. De même que l’éclatement de la bulle financière et immobilière a révélé les fragilités de l’Irlande ou de l’Italie, le krach des matières premières a mis fin à l’afflux de capitaux d’origine russe – liés à l’envol antérieur du prix du pétrole – dont disposait la Grèce, au titre de la solidarité “orthodoxe” dans la région, comme Chypre ou la Bulgarie.

Par ailleurs, pour l’économiste Jacques Delpla, membre du Conseil d’analyse économique (CAE), la résolution de la crise grecque devrait passer – outre les mesures classiques de rigueur – par un accord de paix à Chypre : “Les Grecs doivent terminer cette “guerre de Troie” qui les oppose aux Turcs depuis si longtemps.” Citant des données de la CIA, l’agence de renseignement américaine, M. Delpla estime les dépenses militaires en Grèce à environ 4,3 % du PIB, contre moins de 1,5 % pour les pays comparables de l’Union. “Si le gouvernement grec ramène son budget dans la moyenne européenne, il pourra récupérer l’équivalent de 3 points de PIB, soit un tiers de l’ajustement”, dit-il. Mais rien n’est moins sà»r. A ce stade, la baisse des dépenses militaires prévues est limitée à 0,2 point de PIB…

La mauvaise gestion grecque est souvent mise en avant comme une bonne raison de la “punir” en la contraignant à une rigueur exemplaire. L’argument est savoureux, au moment o๠tous les grands Etats viennent massivement de voler au secours de leurs banques en difficulté. De surcroà®t, Athènes avait déjà dà» reconnaà®tre, en 2004, avoir embelli ses statistiques de déficit public pour entrer dans l’euro trois ans plus tard, sans que beaucoup de leçons en soient tirées par ses partenaires.

Les Européens ne peuvent pas perdre de vue qu’une faillite de la Grèce risquerait de faire vite tache d’huile : “L’Allemagne était sans doute initialement démangée par l’idée de punir le mauvais élève. Mais elle doit faire attention au risque de contagion. A mesure que la crise grecque se prolonge et s’accentue, d’autres pays se trouvent attaqués à leur tour : le Portugal aujourd’hui, demain l’Espagne et l’Irlande. Après-demain, ce peut même être le tour de l’Italie”, prévoit l’économiste Antoine Brunet, président d’AB Marchés. Pour M. Santi, l’Espagne est “le prochain gros domino, car une “configuration astrale” très défavorable s’y met en place, avec un déficit budgétaire de 11,4 % du PIB, un endettement global public et privé de 300 % du PIB – nettement plus grave qu’en Grèce, un chômage également plus important, à 20 % (4,5 millions de chômeurs) et, surtout, un système bancaire excessivement fragilisé !”

“Les analystes tendent à enfermer la Grèce dans une alternative”, souligne M. Brunet. Ou bien respecter ses engagements et “faire du thatchérisme” en s’exposant à l’explosion sociale. Ou bien échouer, voire renoncer, et prêter le flanc “à des taux d’intérêt durablement extrêmes et à une crise financière patente. Mais une troisième option risque en réalité de tenter les autorités grecques : sortir de la zone euro et rétablir une drachme très sous-évaluée contre l’euro et contre les monnaies méditerranéennes. Cela lui redonnerait de la compétitivité – en particulier dans le secteur du tourisme – et stimulerait donc sa croissance, même si la Grèce serait alors obligée de renégocier une dette extérieure qui, exprimée en drachmes, serait encore plus insupportable”, analyse M. Brunet. Cette hypothèse est généralement écartée par les experts, qui la jugent impossible. Mais la crise argentine n’avait pas non plus prévenu : le lien fixe entre le peso argentin et le dollar a pourtant été bel et bien abandonné quand l’Argentine a estimé que “c’était encore la moins mauvaise solution pour elle”, explique M. Brunet.

Pour éviter une déflagration majeure et son extension rapide, les Européens pourraient donc avoir à intervenir, sauf à imaginer que le FMI ne sauve seul un Etat membre de l’Union !

Ils pourraient par exemple garantir la dette des pays attaqués.

Certes, Berlin a longtemps traité avec morgue les pays du Sud ou l’Irlande, les jugeant seuls bénéficiaires de l’euro car ils émettaient de la dette à faible taux grâce à leur arrimage à la crédibilité germanique. Mais l’Allemagne bénéficie aussi de forts excédents commerciaux au sein de la zone, o๠la France, l’Italie ou l’Espagne ont perdu toute capacité de déprécier leurs monnaies, contrairement au Royaume-Uni, qui a accéléré en 2009 la chute de la livre sterling afin d’amortir le choc de la crise : la Banque d’Angleterre a notamment créé de la monnaie pour acheter de la dette publique… En revanche, la compétitivité des “PIGS” a beaucoup souffert de la surévaluation de l’euro : même atteint par la crise grecque, il se négocie encore bien au-dessus de sa “valeur d’équilibre” de 1,15 à 1,20 dollar calculée par les économistes.

Poussant l’euro à la hausse, la BCE a continué à augmenter ses taux d’intérêt directeurs jusqu’en juillet 2008 et a attendu le 8 octobre de la même année, trois semaines après la faillite de Lehman Brothers, pour entamer un mouvement de baisse, qu’elle n’a pas poursuivi aussi loin que ses homologues britannique, japonaise, américaine ou suisse. Les Etats européens ont, de leur côté, abandonné de facto la politique de change à la BCE depuis 2000, même si le traité de Maastricht prévoit qu’ils en fixent les objectifs. Mais, trop divisés sur ceux-ci, ils ont délégué à la BCE les décisions d’intervention sur le marché…

De même, les Etats ont échoué à se mettre d’accord sur un plan de relance commun ou sur la création d’une agence européenne de la dette publique, qui auraient été les prémices d’une solidarité budgétaire. Dans une note, publiée mardi 2 février, intitulée “Que coà»terait le fédéralisme fiscal à la zone euro ?”, les économistes de Natixis Sylvain Broyer et Costa Brunner rappellent que “prise dans son ensemble, la zone euro ne souffre pas de déficit d’épargne” : la crise de la dette grecque n’aurait pas eu lieu si un mécanisme de péréquation fiscale avait existé. Ils proposent de transposer aux Etats de la zone euro le modèle de solidarité existant entre les régions allemandes, soit un transfert équivalent à 2,1 % du PIB de la zone (soit 200 milliards d’euros). “Deux conditions sont nécessaires : l’harmonisation des taux d’imposition et la déclaration politique d’égalité des niveaux de vie au sein de l’Union économique et monétaire. Les bénéfices sont potentiellement immenses (taux d’intérêt similaires, croissance potentielle plus forte, convergence des prix)”, écrivent-ils. Il faut espérer qu’ils seront entendus.

Adrien de Tricornot et Marie de Vergès

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