La Chine, colosse aux pieds d’argile ?

janvier 19, 2010 0 Par Michel Santi

Devenue cette année deuxième puissance économique au monde en dépassant le Japon, la Chine, qui bénéficie d’attributs incontournables, est de plus en plus considérée comme le concurrent de choix des Etats-Unis au rang de superpuissance. Du reste, la dénomination lapidaire de “G-2” décrivant la relation bilatérale Etats-Unis / Chine ne fait que confirmer en creux l’absence d’autre concurrent à ce rôle de superpuissance.

Bénéficiant d’une croissance à deux chiffres et ce quasiment depuis 1979, affichant un P.I.B. de 4’400 milliards de dollars en 2008 et un commerce international riche de 2’600 milliards de dollars cette même année, la Chine dispose d’une formidable base industrielle établie sur un territoire peuplé de près d’un milliard quatre cent millions d’individus et vaste comme un continent dirigé par un Etat centralisé fort disposant tout à la fois d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et de l’arme nucléaire…

Pourtant, et en dépit de transformations et d’avancées remarquables en trente ans la consacrant dans notre conjoncture de crise actuelle comme locomotive économique du monde, la Chine n’est toujours pas une superpuissance! Les signes distinctifs d’une superpuissance étant la combinaison d’acquis technologiques majeurs au service d’une économie hyper concurrentielle dans un environnement démographique harmonieux dotée d’une force militaire omnipotente, seuls les Etats-Unis peuvent encore de nos jours se targuer de cette dénomination. Au faà®te de sa gloire, l’URSS elle-même n’était pas, selon ces standards, une superpuissance car, ne bénéficiant pas de cohésion nationale ni d’aucun de ces attributs majeurs, elle ne se distinguait que sous le prisme unidimensionnel de la compétition militaire avec les Etats-Unis.

Puissance incontestable en cela qu’elle est à même de défendre sa souveraineté tout en exerçant une influence prédominante sur les donnes économique et géopolitique mondiale, la Chine devra encore surmonter bien des obstacles si son ambition est bien de devenir une superpuissance.

Elle devra tout d’abord assurer le bien-être de sa population dont le revenu moyen annuel est, avec 4’000 dollars, le dixième du revenu annuel moyen d’un japonais ou d’un américain et ce en dépit d’une production industrielle annuelle qui crèvera le seuil des 5’000 milliards de dollars cette année! De plus, eu égard à son faible taux d’urbanisation (1% par an), la Chine, – dont la moitié de la population peu ou pas lettrée et ne bénéficiant que d’une médecine élémentaire vit encore dans des villages difficiles d’accès et sans eau courante – ne réduira sa population agricole de manière significative que sur un horizon relativement éloigné de trente ans. Comment prétendre en effet au rang prestigieux de superpuissance avec une population comprenant des centaines de millions d’individus disposant de revenus insignifiants et en marges du progrès?

L’accession de la Chine au premier rang des nations sera donc étroitement conditionnée à la croissance de son économie condamnée à se dépasser année après année. Pour autant, cette perspective de croissance au-dessus de la moyenne semble hypothéquée par un certain nombre de facteurs qui, additionnés aux conséquences à moyen terme de la crise actuelle, se traduiront par un ralentissement progressif de son activité économique.

En effet, la Chine est – comme avant elle le Japon – un pays qui vieillit car 17% de sa population aura plus de 60 ans en 2020. Les conséquences de ce phénomène sur l’augmentation des frais de santé et sur la réduction de l’épargne et de l’investissement sont encore difficiles à évaluer mais il est certain que la croissance en sera durablement affectée. Par ailleurs, c’est l’ensemble du modèle chinois de croissance quasi entièrement redevable aux exportations qui devra être adapté au goà»t du jour car, s’il est incontestable que le pays – et tout le Sud-Est Asiatique – lui doit essor et prospérité, il sera dans un (très) proche avenir de plus en plus remis en question par des partenaires commerciaux majeurs cédant au protectionnisme. Très proches du point de rupture, les Etats-Unis et l’Europe ne tolèreront plus longtemps cette politique d’un Yuan faible dopant les exportations d’un pays devenu en 2010 premier exportateur mondial (devant l’Allemagne), politique elle-même responsable (selon ces pays) des immenses déséquilibres globaux ayant abouti à la crise…

Quel que soit le scénario, affrontement commercial ou assouplissement chinois vis-à -vis du cours de sa devise, une réduction des exportations chinoises – inéluctable ces dix prochaines années – aura un impact négatif sur la croissance du pays sachant que ce secteur enrichit annuellement cette croissance d’un minimum de 2 points. Cet apport ne saurait être compensé qu’en stimulant la consommation intérieure par l’entremise de réformes structurelles fondamentales – mais pas toujours populaires – et donc politiquement bien délicates à mettre en place par le régime actuel.

En fait, c’est surtout les vision et projection politiques – ingrédients majeurs qui caractérisent une superpuissance – qui font cruellement défaut à la Chine car, s’il est vrai qu’elle bénéficie d’atouts économiques et financiers considérables, elle est également en pleine faillite idéologique. Un pays n’étant en effet pas intronisé superpuissance du seul fait de sa puissance économique – sinon l’Allemagne et le Japon accèderaient également à ce statut -, le projet de société qu’il doit proposer à ses citoyens et au monde doit de surcroà®t exercer un fort pouvoir de séduction et de mimétisme…

En fait, le parti qui règne actuellement sans partage sur ce pays et qui souhaite à l’évidence que son règne soit éternel est condamné à une fuite en avant de croissance économique ininterrompue afin de satisfaire une classe moyenne de plus en plus importante et désormais consciente qu’elle sacrifie sa liberté sur l’autel de son confort matériel!

De plus, ce contexte intérieur est fragilisé par la présence sur le territoire chinois d’une multitude de nationalités et d’ethnies qui ne manqueront pas de revendiquer autonomie ou indépendance à l’occasion de la moindre marque de faiblesse de Pékin! Cet aspect géopolitique étant du reste décisif car, contrairement aux Etats-Unis qui ont des voisins faibles, la Chine voit sa tâche fort compliquée du fait de l’existence à sa proximité immédiate de puissances, voire de superpuissances en gestation, comme l’Inde, la Russie et le Japon quand ce n’est pas de nations influentes comme la Corée du Sud…

On le voit, la superpuissance à l’Américaine, probablement due à une conjonction astrale favorable mais exceptionnelle, ne sera pas concurrencée de sitôt.

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