Aux Armes Citoyens !
La crise a été précieuse en enseignements que nos élites – dirigeants et intellectuels – s’empressent d’escamoter aujourd’hui que la situation semble se redresser. La démagogie et le populisme exprimés par ceux qui dénonçaient hier les excès de la finance, de sa prise de risques inconsidérée, de ses salaires et de ses bonus fabuleux font aujourd’hui place à l’émerveillement vis-à -vis de la capacité du Dow Jones de retrouver le seuil des 10’000 points! Tant pis pour les cadavres et pour les perdants d’hier : Goldman Sachs provisionne 16.7 milliards de dollars en rémunérations et bonus sur les neuf premiers mois de l’année 2009, de quoi gratifier chacun de ses salariés de la somme moyenne de 527’192 dollars (selon Bloomberg).
Qui a encore envie de disserter sur les caractéristiques éminemment fragiles de notre système financier et qui se permettrait dans ce contexte d’euphorie boursière de remettre en cause la faiblesse endémique d’un montage et d’une collusion voués à l’échec entre actionnariat privé et gouvernance des entreprises ? Cette crise raconte aussi l’histoire du fiasco retentissant du financement des entreprises par une bourse devenue immanente car à l’intersection entre argent et pouvoir. Depuis les années 70, tout le monde ( y compris les Socialistes en France au milieu des années 80 ) s’y était en effet converti : l’actionnariat privé et institutionnel, devenu la condition de la création et de la prospérité économiques, progressait à mesure que l’Etat reculait. L’abdication totale de l’Etat donnait ainsi le pouvoir en cette fin de siècle dernier à un marché érigé aussitôt au grade d’efficient.
En réalité, nous avons confié notre niveau de vie, notre emploi et nos destinées à des croupiers convaincus que leurs maladresses et dangerosité seraient forcément corrigées par un marché omniscient qui, statistiquement, finirait bien par lisser tous leurs excès. Une sorte de roulette à échelle planétaire qui bénéficie à des Happy Fews tout en laissant la masse sur le carreau… En ces jours de pâmoison boursière et de marchés triomphants, n’avons-nous donc rien appris et devra-t-on subir les affres d’une inévitable révolution sociale qui ne manquera pas de survenir à la faveur de l’implosion de la prochaine bulle? Signe des temps, emblème de cette époque de mort des idéologies enterrées par le pragmatisme du capital, ceux-là même qui sont partisans du retour en force d’un Etat qui reprendrait le contrôle des Banques rejoignent les ardents défenseurs du marché libre mais néanmoins artisans du sauvetage par ce même Etat de leurs établissements…
Car cette crise raconte également un échec collectif, du régulateur laxiste aux Banques Centrales terrifiées d’être accusées d’entraver une croissance pourtant largement artificielle en passant par des autorités politiques désormais à la botte d’une finance dont émanait tous pouvoirs. En fait, bien plus que le fiasco du concept du marché roi, cette crise consacre la déroute de notre gouvernance politique – plus précisément de cette absence de gouvernance – convaincue que les marchés étaient le préalable à l’épanouissement humain et au progrès social.
Pour survivre, le capitalisme devra évoluer de gré ou de force et ses institutions et pratiques devront être canalisées avec des outils nouveaux et des idées courageuses. Seule une vigilance de tous les instants permettra d’endiguer avec succès les débordements naturels et quasi instinctifs d’une finance incapable d’auto régulation. La finance, comme la démocratie, doit être l’objet de toutes les attentions car, à l’image de ces financiers toujours mus par l’appât du gain, la démocratie est quotidiennement fragilisée par un Homme prompt à abuser de son pouvoir et de ses privilèges… Tocqueville n’affirmait-il pas très justement que ” le suffrage universel ne fait que légitimer l’exercice du pouvoir par ceux qui l’ont déjà “? La régulation et les Banques Centrales sont incapables de contenir efficacement les marchés tout comme les élections ne suffisent pas à elles seules à garantir une démocratie perpétuellement ballottée par la suite par nos dirigeants.
Seules l’empathie et la responsabilité sont susceptibles de ramener équilibre et mesure au sein d’un capitalisme qu’il faut sauver – même malgré lui – afin d’éviter l’implosion sociale à venir. N’ayons pas peur des mots : loin de leur objectif prétendument assigné, l’expansion et la libéralisation des marchés n’ont cessé depuis plusieurs décennies de rogner la liberté de l’Homme. N’ayons pas peur d’agir car, en cette fin d’année 2009, la haute finance atteint le stade ultime de l’autisme.
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Michel