Qui veut aider un spéculateur?

septembre 21, 2009 0 Par Michel Santi

Les baisses de taux quantitatives – c’est-à -dire les injections de liquidités massives combinées à un taux directeur proche du zéro – pratiquées aux Etats-Unis n’ont pas atteint le but escompté. Peu d’investisseurs empruntent en effet aux taux actuels insignifiants pour relancer l’outil de production pendant que l’Etat Fédéral, lui, se complait à accumuler des déficits pharaoniques dans l’espoir de relancer une économie criblée de dettes.

Le parallèle et la relation avec le Japon et sa monnaie – le Yen – sont saisissants.

Le Japon avait également pratiqué à outrance ces baisses de taux quantitatives après l’implosion de sa propre bulle immobilière et boursière toutes deux entretenues par du crédit excessif. L’argent facile avait certes autorisé la modernisation de l’outil de production mais il en avait également suscité une expansion permettant si besoin était de vendre des marchandises japonaises au monde entier ! L’endettement du pays était alors si excessif que la majorité des entreprises ayant profité de ce crédit n’avait pratiquement plus aucun retour sur investissement. Cette longue traversée du désert japonaise ponctuée de baisses quantitatives – et donc de quantités gigantesques de Yens en permanence imprimées et déversées sur l’économie – était une période marquée par un évènement crucial affectant toujours aujourd’hui le monde entier, à savoir l’usage systématisé au niveau global du Yen comme devise d’emprunt.

Dans un contexte o๠la devise nippone était – selon les termes de Friedman – larguée par hélicoptères et o๠les taux d’intérêts japonais étaient à ou proche du zéro absolu, la tentation était en effet compréhensible pour le monde entier d’emprunter en Yens pour placer dans des devises et dans des investissements qui ne pouvaient qu’être plus rentables!

Aujourd’hui, c’est un phénomène identique qui affecte le Dollar.

Contrairement à la période extrêmement tourmentée d’il y a une année o๠plus personne ne voulait prêter, pratiquement plus personne ne cherche aujourd’hui à emprunter pour investir dans l’économie réelle. En conséquence, le taux d’intérêt du Dollar à 3 mois enregistre des records de baisse et se situe de nos jours en-dessous de 0.30% induisant presque mécaniquement des comportements inédits vis-à -vis de la Devise des Etats-Unis d’Amérique. Une fièvre comparable à celle qui avait en son temps frappé le Yen s’est ainsi emparée du billet vert : en fait, le Dollar est devenue aujourd’hui la devise de prédilection dans laquelle les spéculateurs du monde entier s’endettent afin de parier sur des monnaies offrant des taux plus rémunérateurs et sur des papiers valeurs aux rendements attractifs émis par des Etats et des entreprises.

Comment s’étonner du reste de ce nouveau rôle du Dollar dans le microcosme de la spéculation alors que, pour la première fois depuis 1994, son taux d’intérêt à 3 mois est inférieur à celui du Yen et à celui du Franc Suisse, traditionnellement les deux principales monnaies d’emprunt dans le monde?

Le Dollar est donc le nouveau Yen !

Le ratio de Sharpe ( qui mesure la performance rapportée au risque ) du Dollar par rapport au Yen est aujourd’hui de 1.35 contre – 0.37 en 2004, démontrant ainsi qu’il devient nettement plus profitable de spéculer à la baisse avec la première devise de réserve mondiale! Car c’est à l’évidence de profits qu’il s’agit : quand, selon Bloomberg, la vente à découvert du billet vert vis-à -vis d’un panier de 10 monnaies, incluant le Réal Brésilien et le Rand Sud Africain, réalisait 1.27% en Mars dernier, elle rapporte aujourd’hui le jack pot, c’est-à -dire 29% !

Ce cocktail nauséabond de taux Dollars proche du zéro combinés à des placements juteux exacerbe donc aujourd’hui la propension à la prise de risques des spéculateurs et investisseurs du monde entier. Il existe un indice pour mesurer cette appétence mondiale à la spéculation avec les instruments et la monnaie US, c’est l’indice TED qui atteint de nos jours ses niveaux les plus bas depuis 2004 explicitant un climat propice à la spéculation comparable à la période insouciante et faste de 2004…

En dépit d’une situation économique encore incertaine, de faillites bancaires encore d’actualité aux Etats-Unis, malgré un système financier international tout juste ramené à la vie, la spéculation qui se maintient à des années lumière de la vraie vie – trouve des niches lucratives … le tout dans un contexte o๠le déficit budgétaire Américain dépasse les 1’000 milliards de dollars et o๠la Réserve Fédérale US inonde les marchés de liquidités se montant à 1’750 milliards de dollars afin de relancer l’activité économique.

En réalité, ce phénomène sans précédent ayant transformé le Dollar Américain en monnaie de “carry trade ” par excellence devrait servir d’alerte à la Fed et lui signaler qu’il est temps à présent, non de remonter les taux, mais d’interrompre sa politique d’expansion tous azimuts : le spéculateur tirant systématiquement profit du défaut de la cuirasse d’un marché ou d’un instrument donné, les injections massives de liquidités Américaines, après avoir sauvé le système financier US et mondial, pourraient bien le desservir…L’usage excessif du billet vert comme monnaie mondiale d’emprunt aujourd’hui prouve mathématiquement que l’excès de liquidités généreusement mis à disposition par la Fed et qui ne trouve pas de débouchés dans l’économie réelle est brillamment mis à profit par les spéculateurs.

La Réserve Fédérale souhaitait encourager les entreprises et les privés à s’endetter à un prix dérisoire afin d’investir dans l’économie mais, face au comportement frileux de ces derniers largement échaudés par la crise, c’est – une fois de plus – la spéculation qu’elle a encouragé! Le triste exemple japonais nous démontre que le pays n’a pas bénéficié des baisses de taux quantitatives qui n’ont fait que favoriser l’émergence d’opérations spéculatives en quantités absolument phénoménales ayant consacré le yen comme la devise du carry trade … jusqu’à ce que l’intégralité de ce système n’implose il y a deux ans dans ce qui a été appelé le “deleveraging”.

Ce deleveraging se poursuit aujourd’hui d’autant plus spectaculairement que le Dollar a supplanté le Yen comme devise d’emprunt. En réalité, nous assistons à un double deleveraging : hors du Yen vers le Dollar et hors de l’économie réelle vers la spéculation effrénée.

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