Une crise pour rien
Avez-vous remarqué comment la baisse graduelle de la volatilité sur les marchés financiers a résulté en une renaissance des investissements à destination des actifs à risques? L’optimisme étant incontestablement de retour, il est ainsi de bon ton d’annoncer une reprise globale de la croissance dès l’an prochain précédée – et en partie provoquée – par le grand retour des “carry trades “. On croyait ces opérations spéculatives consistant à s’endetter dans des Devises à faible taux d’intérêts afin d’investir dans des actifs à rendement mortes et enterrées mais cet ingrédient crucial de mesure de la confiance sur les marchés financiers effectue son grand come-back et, ma foi, tant pis si la croissance qu’il insufle est superficielle parce que construite sur des fondations strictement basées sur des considérations d’appât du gain. En fait, c’est depuis le deuxième trimestre de cette année que le climat de confiance se rétablit graduellement, regain d’optimisme invesrément proportionnel à une volatilité en constante décélération même si elle reste à des niveaux supérieurs à la période ayant précédé l’implosion de la crise des subprimes en Aoà»t 2007.
Bien plus que la reprise elle-même qui n’a pas encore eu lieu, c’est les anticipations de cette reprise ainsi que le story telling y étant associé qui ont permis les appréciations boursières de ces derniers mois, démontrant du même coup le comportement complètement irrationnel d’investisseurs qui n’ont décidément rien appris car mus par un seul et unique réflexe pavlovien, celui de gagner avant les autres! Croyant bien faire – et n’ayant pas d’autre choix du reste pour éviter la liquéfaction généralisée-, les Banques Centrales ont, en réduisant drastiquement leurs taux d’intérêts, mis elle-même en place la dynamique d’un rétablissement économique qui sera une fois de plus redevable à des investissements fictifs parce que reposant sur du crédit.
La ruée frénétique au rendement se fait sur les cadavres des sinistrés de la crise et alors même que les vagues successives du tsunami ne se sont pas encore complètement retirées : les marchés sont comme ces insatiables dragons de la mythologie qui exigent un sacrifice régulier. L’instabilité financière globale est encore pour longtemps parmi nous, elle est comme un feu ravageur entretenu en permanence par un secteur financier tout puissant et global – tout puissant parce que global! Dans les années 60, Minsky relevait déjà que l’instabilité financière était constitutive de l’évolution économique. Loin d’assainir le système, nos dirigeants se bornent à en réparer les pièces défectueuses responsables des comportements excessifs. O๠en sont les tentatives Américaine et Européenne visant à intensifier la régulation du système?
La réalité est que, totalement coincés – voire étouffés – entre des recettes fiscales nettement déclinantes et des dépenses publiques dont la maà®trise leur a échappé, nos Etats Occidentaux ont désespérément besoin du secteur financier, intermédiaire incontournable dans le financement de leurs déficits désormais monstrueux. Les obligations d’Etat émises à travers le monde devant ainsi atteindre les 5’000 milliards de dollars en 2009, dont 3’000 milliards pour les seuls Etats-Unis, nos démocraties Occidentales ne sont plus que des colosses de glaise aux pieds d’argile dont le ratio de l’endettement par rapport au P.I.B. devrait dépasser les 100% dans un certain nombre de pays. Nous vivons hélas dans un système qui, structurellement, crée 1 dollar de croissance pour 4 ou 5 dollars de dettes… 300% d’émissions obligataires souveraines supplémentaires pour les Etats-Unis, 400% pour la Grande Bretagne, 50% pour l’Union Européenne, nos Gouvernements nous montrent ainsi eux-même la voie dans laquelle doivent s’engager spéculateurs et investisseurs!
Et les travaux des économistes Rogoff et Reinhart présagent du pire : les déficits des principales économies pourraient atteindre 33’000 milliards de dollars, soit 86% de leur P.I.B. global et moyen. S’il est vrai que le montant total des investissements mondiaux serait de l’ordre des 120’000 milliards de dollars, le financement de cette dette relève dès lors de la mission impossible…
On le constate, les fondamentaux n’ont pas changé même si l’Å“il du cyclone semble aujourd’hui s’être déplacé des Etats-Unis vers le continent Européen. L’Union, et avec elle les pays de l’OCDE, parviendra probablement à éviter la tempête parfaite mais la crise a achevé de lever le voile sur l’incapacité de nos dirigeants Européens à adopter des règles communes en matière de stimuli économiques. La crise est passée mais en Europe rien ne s’est passé !
Des plans de sauvetage bancaire strictement nationaux au coup de grâce final survenu lors du sommet de Juin dernier o๠la proposition cruciale de forcer un gouvernement à des dépenses décidées par l’Union a été rejetée…Les pouvoirs resteront donc aux mains des Etats membres, l’Union Européenne étant condamnée à rester encore pendant longtemps cette construction médiane qui ne satisfait personne. Une certitude toutefois : la crise fera à coup sà»r disparaà®tre le seul instrument de coordination ayant à ce jour assuré la rigueur et la crédibilité économique Européenne, à savoir le Pacte de Stabilité. Pacte qui sera remplacé – ou pas – par des décisions de politique intérieure. L’Allemagne fait déjà cavalier seul en ayant inscrit dans sa Constitution un déficit budgétaire qui ne devra pas dépasser 0.35% de son P.I.B. à l’horizon 2016! L’Allemagne donne ainsi l’exemple à suivre, démontrant de façon cinglante sa capacité à adopter une loi nationale bien plus stricte et efficiente que la laxiste loi Européenne.
Alors oui : nos économies globales se sont très certainement stabilisées aujourd’hui après une phase de déclin brutal. Minsky, lui, n’aurait pas été surpris par la crise, il s’attendrait probablement à une autre crise dans quelques années…
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Michel