La somme de tous les égoïsmes
Les marchés financiers ont-ils vocation à exercer un effet bénéfique sur la société? Le progrès technologique, l’augmentation ininterrompue de la productivité et l’amélioration incontestable de nos conditions de vie de ces dernières décennies sont après tout redevables au marché libre. La baisse généralisée des prix n’a-t-elle pas en outre été la conséquence logique de la concurrence, cette sécrétion naturelle du marché libre?
Pourtant, la spécificité même de ce marché – libre, sans idéologie et qui, tout compte fait, se vend au plus offrant – le rend également insupportable, ces attributs le privant dès lors de toute conscience. Les décisions et actions d’individus prises certes en toute liberté ne sont à l’évidence orientées qu’en fonction de leurs propres intérêts matériels forcément inversement proportionnels aux intérêts de la société : le jeu du marché étant un jeu à somme nulle, l’individu ne maximisera ses profits qu’au prix des pertes de la partie adverse, c’est-à -dire de la société. Du coup, le marché libre devient la plate-forme de tous les égoïsmes, une sorte de Dieu gourmand et capricieux ne cessant de réclamer toujours plus de sacrifices humains ou, plus prosaïquement, le vecteur idéal de toutes les manipulations…
C’est ainsi qu’une Banque titrise des prêts peu solvables afin de les vendre à des investisseurs en quête de profits plus élevés, faisant au passage appel à des agences de notation bienveillantes dont l’intérêt est de satisfaire cette Banque afin que toute la chaà®ne des intervenants optimise ses profits. C’est ainsi que l’augmentation de prix de ces actifs attire d’autres investisseurs alléchés dans une sorte de pyramide de Ponzi à échelle planétaire o๠seuls les plus rapides et ceux qui se situent le plus loin de la base s’en sortent gagnants…
Faudrait-il donc démanteler ce marché libre amoral – ou immoral c’est selon – et, dans l’affirmative, quelle en serait l’alternative? Le retour de l’Etat ramènera-t-il en grâce une justice évanouie du vocabulaire capitalistique, l’action publique est-elle synonyme de conscience? L’Etat peut-il être juge et partie? Le renforcement de l’Etat – défendu à juste titre en ces temps de crise – est-il susceptible de créer les conditions de l’épanouissement de l’Homme, apanage pourtant incontestable du marché libre?
Il y a fort à craindre que la régulation accrue de demain ne soit qu’un phénomène éphémère préparant le terrain à un retour en force de la divinité féroce du marché libre.
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Bien sincèrement,
Michel