En finance, l’innovation est une malédiction !

avril 29, 2014 0 Par Michel Santi

La finance a achevé d’asseoir sa domination par l’entremise d’ordinateurs qui règnent aujourd’hui sur les fluctuations boursières, et donc sur les capitalisations de nos entreprises. Comment expliquer sinon que des titres de capitalisations importantes comme la Société Générale ou comme celui de la banque italienne Intesa Sanpaolo (et bien d’autres établissements de renom) puissent céder 15 % en une seule séance, comme on l’a vu ces dernières années ? Qui est derrière l’effondrement de l’action de Bank Of America de 20 % en une seule journée ? Ou derrière un indice Dow Jones capable de fluctuer de plus de 400 points à la hausse puis à la baisse, et ainsi de suite pendant plusieurs jours ?

Ce sont en réalité les robots qui, à l’aide de leurs algorithmes, émettent les signaux d’achat et de vente car 60 % des volumes traités aujourd’hui sur les marchés financiers (contre 20 % en 2005) sont du seul ressort des machines ! Partout, la matière grise semble avoir abdiqué car tout le monde – banques, fonds spéculatifs et jusqu’aux fonds de pension – est aujourd’hui accro à ce « trading algorithmique » qui fait perdre au Dow Jones 1000 points en l’espace de quelques minutes (le fameux « flash crash » du 6 mai 2010). Ces algorithmes qui commandent ce « trading à haute fréquence » autorisent en outre leurs instigateurs à réaliser quotidiennement des bénéfices gigantesques. Ou des pertes monumentales lorsque le système se grippe à l’instar de la société Knights Capital ayant perdu 440 millions de dollars en 45 minutes à l’été 2012 !

Comment ne pas penser à l’économiste Heilbroner (1919-2005) lorsqu’il déplorait que les mathématiques avaient insufflé une rigueur à la science économique avant de la tuer ? C’est l’ensemble de la profession qui doit aujourd’hui reconnaître qu’elle s’est fourvoyée dans son appréciation d’un système extrêmement complexe… qu’elle ne comprend toujours pas complètement ! En fait, ces progrès technologiques fulgurants sont exploités par le monde de la finance précisément dans le but de contourner – voire de violer – les réglementations. Comme le suggérait John K. Galbraith (1908-2006), il est vital de jauger et de disséquer la technologie financière sous l’angle légal afin de maîtriser des instruments de plus en plus complexes.

Cette sophistication des outils financiers étant du reste sciemment élaborée par une finance soucieuse de se soustraire à la loi. Comprenons bien que, dans le monde de la finance globalisée, la fraude n’est pas une anomalie : elle fait partie intégrante du système, elle en est un des composants incontournables. Il suffit de se référer au jargon en vigueur au milieu des années 2000 afin de comprendre – grâce au vocabulaire ! – que les intervenants financiers savaient pertinemment qu’ils distribuaient des produits financiers suspects et peu recommandables. C’étaient les « crédits neutrons » destinés à s’effondrer sans entraîner dans leur chute le marché immobilier. C’étaient les « crédits ninja » dont les pauvres bénéficiaires n’avaient ni revenu, ni travail, ni fortune (No Income, No Job or Assets). C’étaient les « prêts menteurs » – ou liars’ loans – car tout le monde savait que le candidat au crédit avait menti sur sa déclaration… Autant d’instruments ayant directement conduit à la catastrophe des « subprimes » et qui démontrent que le monde de la finance était parfaitement conscient de la matière explosive qu’il manipulait.

Effet de levier, produits dérivés, produits dérivés dits « exotiques », options, knock-out, knock-in, one touch, futures, marchés à terme, titrisations… Une constatation: C’est à partir du moment où un titre se transforme en un titre de titres, qu’il est coupé en tranches pour être revendu à plusieurs intervenants que le banquier se croit dès lors invulnérable et que tout espoir commence à être vain. Toutes les innovations financières ne se valent certes pas : l’accès facilité et traditionnel au crédit fait incontestablement progresser la société dès lors que l’usage qui en est fait permet d’acquérir son logement ou de financer ses études. Toutefois, ce même crédit dispensé à travers des produits raffinés devient dévastateur s’il permet de spéculer en bourse ou d’adopter des comportements irrationnels et dénués de toute justification économique. Comportements désastreux qui n’ont été possible que grâce au laxisme du régulateur et du législateur, persuadés que ce qui était bon pour les Banques serait bon pour le pays.

Cette crise raconte donc d’abord l’échec de toute la caste des économistes n’ayant pu alerter contre la formation ni contre l’implosion d’une bulle dévastatrice et de comportements suspects. Il est vrai que le débat est le plus souvent limité à des crocodiles qui fréquentent le même lac…Toujours est-il qu’ils sont devenus aujourd’hui des espèces de brahmanes ou d’augures agitant des équations hyper sophistiquées tout en ayant leur propre système de reconnaissance. En attendant leur inéluctable fossilisation!

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