Sanctions: la guerre «low cost» des Etats-Unis
Entre la diplomatie et la guerre, elles sont devenues la pièce maîtresse de l’arsenal américain, un levier fondamental au service de la politique étrangère US. En supprimant tout accès à l’économie occidentale, les sanctions détruisent des industries, ravagent des fortunes personnelles, bouleversent les équilibres – souvent les déséquilibres – politiques des régimes visés. Sans mettre en danger la vie d’un seul soldat américain.
Toute menace, avérée ou potentielle, à l’économie, à la politique, à la sécurité nationale des Etats-Unis est matée par l’entremise de sanctions qui sont mises en place par de simples procédés administratifs, sans l’existence d’une quelconque décision de justice. C’est le bannissement quasi éternel de l’économie globale, car aucune entreprise occidentale n’est plus autorisée à traiter avec le pays ou avec l’individu sous sanctions US. Cette suprématie américaine fragilise donc non seulement les adversaires des Etats-Unis, mais également ses alliés.
A travers le monde, 60% des nations à bas revenus sont aujourd’hui sous le coup de sanctions, touchant des individus, des organisations, des biens immobiliers…Les abus de cette arme, désormais utilisée comme un réflexe pavlovien, sont reconnus par l’administration américaine, au plus haut niveau. Les signaux d’alarme sont émis par la haute fonction publique du pays mettant en garde par rapport à ces excès d’y avoir recours, qui se traduisent par une réduction de leur efficacité. Des suggestions concrètes sont formulées visant à ce que les sanctions imposées expirent automatiquement, sauf à être expressément renouvelées par le Congrès.
Elles restent cependant un levier auquel ne parviennent pas à résister les Présidents américains. Quand l’administration Trump ajoutait en moyenne 3 noms par jour sur une liste d’individus interdits bancaires, Biden s’en est donné à cœur joie à la faveur de l’invasion russe de l’Ukraine. A Washington, toute une industrie s’est développée, entretenue par des Etats et des entreprises étrangers qui, à coup de milliards de dollars, tentent d’infléchir et d’influencer la mécanique, à travers des cabinets d’avocats et des lobbies spécialisés.
Mises en place modestement à l’origine afin de bouter les communistes hors de Cuba, afin de combattre les cartels de la drogue en Colombie et au Mexique, afin de renverser des régimes voyous comme en Libye, les sanctions étaient à l’époque décrétées par une petite équipe de quelques personnes bien identifiées. Comme c’est des dizaines d’agences fédérales –ayant chacune sa spécialité- qui peuvent aujourd’hui unilatéralement adopter celles qui leur semblent opportunes, les sanctions provoquent des effets collatéraux dévastateurs, exactement comme une guerre traditionnelle.
Si les cigares de La Havane n’ont certes plus droit de cité aux Etats-Unis, les sanctions privent également Cuba de recevoir par exemple du matériel médical, et n’ont pas empêché le régime de se maintenir 60 ans après leur mise en place initiale. Pour sa part, le Venezuela a subi la liquéfaction totale de son activité économique. Bachar al-Assad est toujours dans son palais après 20 ans de sanctions. Et le régime théocratique en Iran, sous sanctions depuis les années 1970, est désormais le meilleur allié de la Russie et de la Chine.
Nul n’est tenu pour responsable si elles nuisent aux populations civiles innocentes des nations sous embargo. Leur levée se révèle extraordinairement compliquée dans un pays bureaucratique comme les Etats-Unis.
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Une chronique qui transpire l’honnêteté intellectuelle et à mille lieues des “idées zombies” (*) véhiculées par une forme de radicalisation américaine – chapeau bas cher Michel !
En effet, l’ingérence (**) américaine déploie ses effets au-delà du seul fait de la “dette ou de l’épée” comme armes d’asservissement et-ou de destruction massive. Or, si les sanctions économiques et financières peuvent se justifier pour “garantir ou maintenir” une forme de paix (selon des principes moraux), néanmoins, l’empirisme tend à démontrer que les sanctions (à l’instar d’une “idée zombie”) visent un autre objectif (principes économiques) moins avouable…celui-ci. L’analyste politique et auteur Peter Dale Scott, au sein de son ouvrage : “La route vers le nouveau désordre mondial” (50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis) s’est livré à une analyse très argumentée démontrant que le pouvoir aux États-Unis avait été confisqué de façon non démocratique par des groupes de pression, et que cette situation avait totalement perverti le système politique américain. Dans son ouvrage “American War Machine”, Peter Dale Scott explique notamment comment un des principaux ressorts de ce processus a été l’utilisation du trafic de drogue par la CIA pour lutter contre le communisme, les gouvernements et mouvements de gauche et, de nos jours, pour maintenir la suprématie américaine sur le monde. Ainsi l’un des principaux thèmes explorés dans ce livre est le fait que la perpétuelle compromission des États-Unis dans ce qu’il appelle “la connexion narcotique globale ” est une caractéristique et une cause intégrale d’une plus vaste “machine de guerre” : un système avec un but affirmé, centré sur l’accomplissement et le maintien de la domination des États-Unis sur le reste du monde.
Souvenons-nous également qu’en 1972 – alors que les États-Unis étaient empêtrés dans la guerre du Vietnam – un universitaire américain du nom d’Alfred McCoy, professeur à l’université du Wisconsin, publiait un ouvrage désormais classique: “La politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est”. Il y étudiait dans la (longue) durée le trafic des opiacés dans cette région du monde, pointant les relations troubles de pouvoir entre États, agences de renseignement (notamment la CIA), armées régulières, guérillas, contrebandiers, confréries mafieuses et populations traditionnelles, tous pris dans la nasse de la guerre froide. Autant de théâtres d’opérations que l’analyste politique, Peter Dale Scott, passera en revue et bien au delà, tantôt nous invitant au Mexique ou en Afghanistan, par exemple, sans oublier Cuba. Le propos de cet auteur – loin des “idées zombies” dénoncées par Paul Krugman – sera de mettre en évidence la connexion entre le monde des renseignements, le crime organisé, le trafic de drogue mondial, le monde politique et les investissements financiers spéculatifs (économie de l’ombre). C’est ce qu’il appelle le “supramonde”. Ces liens aboutiront, en particulier, au désastre de la Baie des Cochons et aux tentatives d’assassinat de Fidel Castro. Faut-il aussi revenir sur les mobiles (ou “l’idée zombie”?) de l’invasion militaire du Panama en décembre 1989 par les Etats-Unis et la capture du général Noriega, chef de l’Etat?
https://www.monde-diplomatique.fr/1992/01/LABROUSSE/44053
Si nous, Occidentaux, plus particulièrement les membres d’une Union Economique et Monétaire (UEM) inefficiente dès sa conception – totalement boîteuse par les institutions obsolètes qui composent cette Union Européenne aujourd’hui – croyons bien que notre vassalisation irrationnelle aux États unis d’Amérique (véritable Ploutocratie devant l’éternel) ne va aucunement nous préserver d’une autre “guerre silencieuse”. En tout cas pas au seul motif (prétexte?) d’une artillerie bureaucratique américaine !
(*) Les “idées zombies” découlent de cette longue diatribe de l’éminent économiste et chroniqueur, Paul Krugman, à l’encontre de leurs relayeurs, dans son ouvrage “Arguing With Zombies” (Lutter contre les zombies – 2020). Cet économiste, titulaire du Prix de la banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel, dénonce les “idées-zombies” propagées depuis des lustres aux États-Unis; des idées largement reprises sur le vieux continent aujourd’hui. Des mensonges que la “science économique” et les faits contredisent pourtant mais qu’une diaspora américaine continue d’entretenir pour biaiser le débat public et privilégier une poignée d’intérêts privés au détriment du plus grand nombre.
(**) L’ingérence ! (mes posts)
https://michelsanti.fr/venezuela/venezuela-une-contextualisation
“A Washington, toute une industrie s’est développée, entretenue par des Etats et des entreprises étrangers qui, à coup de milliards de dollars, tentent d’infléchir et d’influencer la mécanique, à travers des cabinets d’avocats et des lobbies spécialisés”. Certes !!!
Ainsi, si l’on aborde les sanctions US comme une “arme économique” (qui ne met en danger la vie d’un seul soldat américain*) alors – globalement – nous devrions être encore plus vigilant à l’égard de la “militarisation du dollar américain” qui ne date pourtant pas d’hier. En réalité, une “guerre des monnaies” conduite depuis les accords de Bretton Woods en 1944, puis exacerbée dès le terme desdits accords en 1971 et les nombreuses incidences qui s’en suivront ensuite (notamment à partir des années 80), par leurs homologues : la haute finance de Wall Street et les “prestigieux” cabinets de conseils fondus dans les moules idéologiques. Saisissons bien que la monnaie de réserve mondiale est basée sur la dette, et si l’on regarde la dette des États-Unis, elle est nettement plus élevée que leur PIB annuel. Cela va donc indéniablement poser des problèmes dans le commerce international quant à la manière d’évaluer le dollar américain lorsque l’on est confronté à une dette plus importante que notre propre production, d’autant que les États-Unis doivent beaucoup d’argent à de nombreux pays (sous forme d’emprunts souverains/titres obligataires “jugés sans risques”); alors la viabilité et la durabilité de cette dette (reconnaissance de dette pour les investisseurs et spéculateurs extra-muros) seront de plus en plus remises en question. D’ailleurs, nous voyons très bien que depuis la deuxième phase du conflit Russo-Ukrainien (2022) avec son lot de sanctions monétaires, de nouveaux mécanismes financiers numériques permettent de contourner le réseau bancaire SWIFT, le besoin de dollars américains, et la nécessité d’avoir des banques secondaires américaines comme intermédiaires avec tous les frais qui y sont liés. Or, cette tendance à réduire la voilure de dépendance à l’égard du dollar américain et à passer à des moyens de paiement nationaux pour les règlements internationaux gagne du terrain. L’Inde et la Tanzanie (parmi d’autres prévoyants) n’ont-ils d’ailleurs déjà conclu un accord leur permettant d’utiliser leurs monnaies respectives dans leurs échanges ? L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) n’est-elle pas allée plus loin encore en cherchant à réduire sa dépendance non seulement à l’égard du billet vert, mais aussi à l’égard de l’euro, du yen et de la livre sterling dans les transactions financières, en améliorant le système de paiement numérique transfrontalier de l’ASEAN ? L’Indonésie, la Malaisie, Singapour, les Philippines et la Thaïlande avaient par ailleurs conclu un accord sur ce type de transactions en novembre 2022. Un changement de paradigme mondial qui ne fera que renforcer les tensions propres à la “militarisation du dollar américain”. Autant de dégats collatéraux dont la comptabilisation des “victimes économiques” pourra se chiffrer en terme d’équations algébriques et de profitabilités sur l’autel des récentes approches dogmatiques à l’échelle du temps planétaire…
https://michelsanti.fr/neoliberalisme/economie-le-pouvoir-enchanteur-des-mathematiques
En fait, rien de vraiment étonnant pour les officionados des salons feutrés des cabinets de conseils en stratégie économique (et les lobbies) si l’on considère le sujet au prisme de la “VSV” (Valeur Statistique d’une Vie) [*] ; puisque cette approche mesure la valeur d’une vie humaine – le capital humain – à partir de sa contribution au bien-être de la société (quid). Elle se calcule en termes de revenu et de production. Dublin et Lotka (1947) définissent la valeur d’une vie humaine comme étant la valeur actualisée des revenus nets futurs d’un individu. Cela correspond à ses revenus bruts moins ce qu’il dépense pour lui-même (soit sa consommation).
Dès lors, comme l’économie financière (du moins en Occident) a déjà sérieusement hypothéqué au présent les revenus futurs (par l’endettement) du capital humain, ça devrait nous interpeller ou du moins, par honnêteté intellectuelle des grands Clercs de ce monde au regard des États, nous pousser à revoir les principes de cette équation (VSV) économico/financière. Peut-être que là, la valeur intrinsèque d’un homo-sapiens américain, vis à vis de la trajectoire des États-Unis à moyen/long terme, prendra du sens au regard des homo-politicus.