Confrontés à leurs lacunes béantes en matière de prévision, les économistes ont toujours le plus grand mal à reconnaître la vérité. Ils se cambrent, font la roue, pondent des théories complexes souvent récompensées par des Nobel, et assènent qu’il est légitime que la «science économique» soit lourdement chargée de mathématiques, à l’image de la physique et de la chimie. C’est comme si la légitimation de leur discipline, c’est comme si l’autorité et la crédibilité de leur parole émanaient en droite ligne de ces maths insufflées à haute dose dans l’économie, dont un des chantres comme John Cochrane de l’Université de Chicago a déclaré que le problème – en économie – est qu’ «il n’y a pas assez de maths»… De fait, les économistes d’aujourd’hui sont littéralement obsédés par le quantitatif, s’inspirant en cela de Lord Kelvin (1824-1907) qui se désolait de nos connaissances peu satisfaisantes et tronquées dès lors que nous ne parvenons pas à les énoncer et à les mesurer en chiffres.
Deux siècles sont pourtant passés depuis Kelvin et tant l’expérience que l’Histoire nous ont – depuis – enseigné qu’il ne suffit pas de la farder de mathématiques pour assurer à une discipline le statut de science. Il n’en reste pas moins que l’économie est comme auréolée par le chiffre, par les modélisations mathématiques, que toute nouvelle équation se retrouve de facto légitimée car exprimée de façon sophistiquée, et ce avant même qu’elle ait été éprouvée et vérifiée. L’économiste se retrouve tout nu sans ses modèles car ses pouvoirs lui viennent en droite ligne de ses théories alambiquées qui le distinguent du sociologue qu’il méprise un peu. Ces maths appliquées à l’économie constituent, en fait, une véritable barrière aux échanges, au dialogue, avec celles et ceux ne faisant pas partie du sérail et de cette caste qui prétend que sa discipline est la plus scientifique des sciences sociales. On mesure le chemin parcouru depuis Keynes qui demandait à ses collègues économistes de se montrer «modestes comme des dentistes»…
Les équations les plus élégantes ne masqueront cependant jamais le fait que l’économie est avant tout une matière empirique, envers et malgré toutes les prétentions de la profession qui se targuait préalablement à 2007 d’avoir «résolu la problématique centrale de prévision des récessions», mot à mot prononcés en 2003 par le Nobel Robert Lucas Jr. Leurs échecs patents sont hélas bien documentés : de celui des deux Prix Nobel ayant orchestré en 1998 la liquéfaction du méga fonds LTCM à tous ceux qui furent éberlués par la crise des subprimes, ils achèvent de ridiculiser l’omniscience et le pouvoir de leurs théories et de leurs modélisations. C’est donc l’ensemble de la profession qui doit aujourd’hui reconnaître qu’elle s’est fourvoyée car les économistes ont oublié que l’économie doit d’abord servir la société, et que les mathématiques exercent une vraie tyrannie ne laissant plus aucune place aux sciences sociales. Comment ne pas penser à Heilbroner (1919-2005) qui déplorait que les mathématiques avaient insufflé une rigueur à la science économique avant de la tuer ?
Si, en effet, les mathématiques constituaient un outil pour démontrer des régularités, tout en gardant à l’esprit qu’elles sont contingentes et historiquement déterminées, l’économiste hétérodoxe John Maynard Keynes restera néanmoins un critique avisé de la société d’économétrie en précisant que « la vérité n’est pas obtenue comme résultat d’une sophistication formelle, elle tient pour l’essentiel à la capacité de générer une efficacité pratique des énoncés ». En ce sens, l’utilisation extrême des mathématiques (comme science dure) tombera toutefois dans le giron des idéologues qui auront une fâcheuse tendance, l’instar des économistes orthodoxes (mainstream), à se réfugier durant des décennies derrière l’outil mathématique et à tirer argument de l’usage de cette science dure pour affirmer à la fois la scientificité de leur discours, suggérer son exactitude et donc le caractère intangible des lois qu’ils révèlent au prisme de leurs théories économiques. Comme l’écrira du reste Keynes dans sa théorie générale, comme autant de prémonition avant la domination de la « science économique » – en tant que science molle et discipline des sciences humaines et sociale – par les pères du monétarisme et de l’idéologie néo-libérale ; « une beaucoup trop grande part de travaux récents d’économie mathématique consiste en des élucubrations aussi imprécises que les hypothèses de base sur lesquelles ces travaux reposent, qui permettent à l’auteur de perdre de vue les complexités et les interdépendances du monde réel, en s’enfonçant dans un dédale de symboles prétentieux et inutiles. »
Et ce n’est pas l’économiste Paul Samuelson qui le démentira post-mortem, lorsqu’on se souvient de son expression faisant déjà état que la science économique « tombera dans le trou noir des mathématiques ». Ni l’économiste Richard H. Thaler, qui, après quarante ans de recherches en « économie comportementale » et de combat contre la doxa régissant les prestigieuses universités américaines – mais pas que – nous offre au sein de son récent ouvrage « Misbehaving », après celui des économistes George Akerlof et Robert Shiller, qui, lui, reprend à son compte « Les esprits animaux », une formule choc que Keynes utilisa dans le très fameux chapitre XII de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie paru en 1936 ; une meilleure compréhension de nos modes de raisonnement réels, certes déviants de la rationalité économique, mais qui font de nous des humains, et non pas ces extraterrestres qui peuplent les manuels d’économie moderne.
Vous avez raison de le souligner Mr Santi que ” Les équations les plus élégantes ne masqueront cependant jamais le fait que l’économie est avant tout une matière empirique, envers et malgré toutes les prétentions de la profession qui se targuait préalablement à 2007 d’avoir «résolu la problématique centrale de prévision des récessions», mot à mot prononcés en 2003 par le Nobel Robert Lucas Jr.”
Il demeure toutefois que l’économétrie est une avancée dans le progrès du monde non que cette science qui n’est qu’à ses débuts et ses tentatives de saisir sur le plan quantitatif et qualitatif l’évolution économique du monde et naturellement les crises qui jalonnent l’histoire mais une réalité que demain qui pointe qui nous fait dire que ce sera à l’économétrie et à la mathématisation du monde qui auront à gérer la marche de l’humanité.
Aujourd’hui, avec les guerres économiques et monétaires, on ne sait plus qui a le dernier mot surtout avec l’irruption des grands pays démographiques qui mettent à mal l’Occident, qui tout compte fait est un processus naturel Tout peuple doit avancer et rattraper l’autre, c’est un principe universel. Par conséquent, nous nous dirigeons vers une uniformisation mais dynamique du monde. N’avez-vous pas dit qu’aujourd’hui, dans les salles des Bouses, les traders ne font que suivre l’évolution des cours des valeurs sur leurs écrans. C’est fini la pensée perçante et créatrice du trader qui gagne ou qui perd. Une véritable monotonie qu’est de suivre la machine qui “élabore” les cours boursiers.
Ainsi va le progrès du monde. L’ordinateur et l’intelligence qui est en dedans n’est en fait que ce que produit la pensée humaine dans ses efforts pour uniformiser le monde. Et nous y allons, comme vous l’avez cité ” dont un des chantres comme John Cochrane de l’Université de Chicago a déclaré que le problème – en économie – est qu’ «il n’y a pas assez de maths»… De fait, les économistes d’aujourd’hui sont littéralement obsédés par le quantitatif, s’inspirant en cela de Lord Kelvin (1824-1907) qui se désolait de nos connaissances peu satisfaisantes et tronquées dès lors que nous ne parvenons pas à les énoncer et à les mesurer en chiffres.”
Mais cela va venir. La pensée humaine est “divine”, et elle ne peut être que prolifique, créative, c’est inscrit dans l’essence de l’homme. Demain l’homme marchera “mathématiquement” sans pour cela qu’il soit un robot. Tout au plus un robot existant, pensant, et surtout humain. Et qu’est-ce que “être humain” ? Le sait-on réellement ?
Merci pour votre analyse
Et Merci aussi pour Raymond qui écrit “Et ce n’est pas l’économiste Paul Samuelson qui le démentira post-mortem, lorsqu’on se souvient de son expression faisant déjà état que la science économique « tombera dans le trou noir des mathématiques ». Ni l’économiste Richard H. Thaler, qui, après quarante ans de recherches en « économie comportementale » et de combat contre la doxa régissant les prestigieuses universités américaines – mais pas que – nous offre au sein de son récent ouvrage « Misbehaving », après celui des économistes George Akerlof et Robert Shiller, qui, lui, reprend à son compte « Les esprits animaux », une formule choc que Keynes utilisa dans le très fameux chapitre XII de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie paru en 1936 ; une meilleure compréhension de nos modes de raisonnement réels, certes déviants de la rationalité économique, mais qui font de nous des humains, et non pas ces extraterrestres qui peuplent les manuels d’économie moderne.”
Entièrement d’accord avec Mr Raymond, sauf que “Les esprits animaux” font partie de notre patrimoine générique. L’animalité est en nous comme son esprit. De même notre pensée fait de nous des humains certes terrestres, mais aussi par elle, nous sommes extraterrestres parce que notre pensée pense le monde. Si demain, nous peuplerons Mars, ou la Lune, ce qui peut se faire sinon pourquoi la Conquête spatiale ? Nous ne sommes pas dans l’Absolu terrestre, nous sommes absolument par notre esprit extraterrestre. Et c’est un plus qui n’échoit qu’à l’humain d’être tout à la fois. J’espère être compris.
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