
Le travail: valeur périmée
Le travail à plein temps pour un salaire fixe n’existe que depuis une bonne centaine d’années, et encore pas pour tout le monde, puisque les femmes en ont été privées un bon moment, y compris durant les périodes heureuses du plein emploi de la seconde moitié du siècle dernier. Aujourd’hui, la dérégulation, les délocalisations, l’automation sont toutes synonymes d’insécurité du travail qui est donc devenu moins bien payé, à temps partiel, temporaire, saisonnier… La classe moyenne, et les travailleurs d’une manière générale, semblent avoir perdu leurs repères fondamentaux en même temps que leurs revenus leur permettant de vivre relativement confortablement du fruit d’ un travail qui n’est désormais strictement plus acquis, tant pour les femmes que pour les hommes.
Pourtant, il ne sert plus à rien de tenter vainement de ressusciter les emplois du passé dans les usines, dans les manufactures et même dans certains services car l’essor de la technologie est inéluctable. La sécurité de l’emploi, comme les salaires fixes, sont désormais des reliques car les vagues successives des progrès technologiques fulgurants ont brisé toutes les digues, et c’est tant mieux. Que les robots prennent donc tous ces jobs fastidieux, pénibles, répétitifs qui les accompliront bien plus rapidement et bien mieux que les armées d’ouvriers souffrant naguère à la manœuvre. Que l’humain, pendant ce temps, use de ses talents et de son efficience dans des domaines où il sera en mesure de dérouler ses points forts comme la communication, la résolution de problèmes, l’art, l’imagination, où sa valeur ajoutée pour la société sera – certes moins quantifiable – mais tellement précieuse. Il est en effet bien plus logique de laisser les robots accomplir des tâches où ils seront plus efficaces que les humains, et bien plus constructif de laisser les humains s’adonner à des occupations où ils pourront s’épanouir et ainsi profiter et à leur famille et au tissu social.
Que l’humain pense, qu’il créé, qu’il fonde de nouvelles entreprises et qu’il conquiert ainsi – non un quelconque emploi – mais cette inestimable sécurité qui est notre objectif commun, laquelle ne doit pas nécessairement être la résultante d’un emploi. Au lieu de cela, nos gouvernants démantèlent activement et avec allégresse le filet de sécurité – qui va de pair avec la sécurité des revenus – avec des dommages irrémédiables pour notre bien être, pour notre santé physique et mentale, pour notre équilibre familial et social. L’alternative étant d’accueillir et d’embrasser les progrès technologiques, de les mettre au service du plus grand nombre, d’apprivoiser nos peurs instinctives vis-à-vis de ces immenses opportunités afin d’engendrer in fine une explosion de productivité et un foisonnement de l’esprit d’initiative humaine. Que l’ère du robot soit également celle d’un nouveau contrat social qui consiste essentiellement à couper le cordon ombilical entre travail et survie.
Car nous avons oublié le but premier de ces percées technologiques fut de remplacer l’Homme par la machine. Aujourd’hui, nous croulons sous tant d’abondance que nous pourrions loger, nourrir, éduquer et soigner toute notre population avec le travail d’une petite quantité d’hommes et de femmes. Parallèlement, l’organisation de nos sociétés s’avère de nos jours caduque car la question cruciale qui nous tourmente n’est pas tant de savoir si nous disposons d’assez de biens et de produits, mais comment procurer du travail à chacun afin qu’il mérite une partie des immenses quantités des biens dont dispose la société. Selon cet ordre établi qui relève d’un autre temps, celui qui ne bénéficie pas d’un travail est condamné à toutes les privations, et à toutes les brimades. Eh quoi: est-ce tout ce dont nos sociétés modernes et prétendument civilisées sont capables à l’heure digitale et de la robotisation massive, alors que nous n’avons plus besoin comme au Moyen-Age de fabriquer des marchandises pour vivre ? Ne devient-il pas impératif de restructurer nos sociétés autour d’une autre valeur que l’emploi rendu progressivement obsolète par la fulgurance de la technologie ?
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Bien sincèrement,
Michel
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2 commentaires
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Comme chacun devrait le savoir, à contrario de la valeur travail, le capital, lui, n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier car sa simple circulation engendre une création de capital neuf.
Et si, en 2019, les économistes « mainstream » persistent sur la voie déjà désavouée par les résultats issus du groupe de travail du FMI en 2015, ou encore ceux prévalant en 2014 et produit par l’OCDE sur les effets du ruissellement (trickle down theory), suffit-il d’appréhender cette quatrième dimension pour saisir les enjeux de cette lutte – sans foi ni loi – opposant Capital et Travail: « Selon Bloomberg, qui reprend des chiffres de la Réserve fédérale, la fortune du pourcent le plus riche est ainsi sur le point de dépasser celles, combinées, des classes moyennes et moyennes supérieures. Les actifs du 1% représenteraient ainsi 35.400 milliards de dollars. La richesse de celles et ceux se situant entre les 50 et 90% les plus riches, soit la classe moyenne et moyenne supérieure selon les critères américains, s’établirait quant à elle à 36.900 milliards de dollars. Toujours selon la Réserve fédérale, les 10% les plus riches détiendraient – en 2019 – 63,8% de la richesse totale du pays, les 90% restants se partageant les miettes plus ou moins grosses selon la position sur l’échelle sociale. La tendance, depuis quinze ans, est à l’accroissement rapide des inégalités: la répartition était de 57,4% contre 42,6% en 2005.
Quant aux 50% les moins riches, malheur à eux: ils ne possèdent que 6,1% des actifs totaux du pays, et doivent supporter le poids de 35,7% des dettes totales contractées par la population américaine. »
Le paradoxe du “ruissellement” vers le haut?
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