Liban: une ultime chance à saisir

Pire crise économique au monde depuis le milieu du XIXème siècle. Voilà ce que vit le Liban depuis 2019, qui a subi une contraction surréaliste de plus de 60% de son Produit Intérieur Brut en 4 ans, dont la monnaie a perdu 98% de la valeur, qui a souffert de taux d’inflation ayant parfois avoisiné 200%, dont la population au seuil de la pauvreté atteint désormais les 80%.
Pour la première fois de son histoire, il a fait défaut sur sa dette en mars 2020, pour un montant de 1.2 milliards de dollars parvenus à échéance. Ce défaut ne fut, toutefois, que le premier d’une série puisque la dette publique libanaise dépasse 100 milliards de dollars, et atteint des hauteurs stratosphériques à 280% du PIB national. Cette dette, libellée à 60% en devises étrangères et à 40% en Livre, a fait l’objet de différents plans de restructuration, ayant tous avortés pour en gros trois raisons: l’instabilité politique, le manque de maîtrise technique des décideurs (il est vrai) face à une problématique d’une complexité inouïe, enfin à cause de projets autant irréalistes qu’irréalisables. Un de ces plans farfelus consistait à donner aux déposants l’illusion de récupérer leurs avoirs sur une période comprise entre 11 et 15 ans, en leur distribuant des miettes et en faisant miroiter d’autres versements sur le long terme.
C’est, en fait, son secteur bancaire qui est au cœur de la crise financière qui a ravagé le Liban. Ayant massivement investi dans diverses obligations émises par la banque centrale libanaise à des taux d’intérêt élevés, les banques libanaises ont subi violemment le défaut de paiement de l’État, car leurs placements ont perdu quasiment toute valeur, mettant ainsi en péril leur propre solvabilité. Confrontées à des pertes estimées à plus de 70 milliards de dollars sur les 120 milliards de dépôts qu’elles détenaient en 2019, les banques libanaises n’ont eu d’autre alternative que de mettre en place des contrôles informels des capitaux, qui ont excédé la population et suscité leur bien compréhensible colère. Ce fut donc le règne de l’improvisation et de la débrouille, car un système de taux de change multiples émergea des décombres de ce marasme, dans un contexte où la Banque du Liban (banque centrale) accumule près de 80 milliards de dollars de pertes et une liquéfaction quasi-totale de ses réserves en devises étrangères.
Aujourd’hui, le volet politique semble réglé puisque le Liban a enfin un nouveau Président de la République qui vient tout juste d’être élu à une majorité confortable et grâce à un large consensus. Pour solde, la valeur des eurobonds libanais, jusque-là à l’état de zombies, a flambé ces jours derniers, anticipant une restructuration dans les 12 mois à venir de la dette du pays. Le chantier est herculéen mais les pistes sont pourtant présentes pour sauver ce pays et enfin soulager sa population.
Elles se déclinent en la fusion forcée des banques libanaises pour créer moins d’une dizaine d’entités viables. La création d’une structure de défaisance (“bad bank”) qui permettra d’isoler les actifs toxiques. L’unification rapide des taux de change grâce à l’instauration du «crawling peg», qui est un système où une monnaie est autorisée à se déprécier (ou à s’apprécier) graduellement selon un taux prédéterminé plutôt que de manière brutale. La négociation, avec les créanciers, d’une décote significative (entre 60 et 70%) de la dette en Eurobonds doit être prioritaire, dans un contexte où la confiance reviendrait graduellement. La riche et instruite diaspora libanaise devra être mise à contribution par la souscription à des “diaspora bonds”, soit de nouvelles obligations garanties sur les revenus futurs du pétrole et du gaz libanais. A cet égard, les estimations sérieuses des experts font état de réserves libanaises comprises entre 340 et 700 milliards de mètres cubes pour le gaz naturel, et de 865 millions de barils pour le pétrole. Le boulet libanais absolu qu’est le secteur de l’électricité devra être privatisé au bénéfice d’investissements étatiques dans les énergies renouvelables, et dans des programmes d’infrastructures concernant les secteurs des ports et de l’eau. Une réforme fiscale en profondeur et rapide devra être mise en place dont les objectifs premiers seront d’améliorer la collecte et d’élargir la base fiscale, ciblant notamment le secteur largement sous-taxé de l’immobilier. Une digitalisation de l’administration devra être menée avec détermination, afin de réduire la corruption, qui devra aller de pair avec la création d’une autorité indépendante de lutte contre ce mal endémique. Un filet de sécurité sociale universel viendra enfin compléter cet attirail.
Ce n’est qu’au prix de l’adoption rapide et déterminée de l’ensemble de ces mesures que le Liban et que les libanais seront en droit d’espérer le retour à leur prospérité d’antan.
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Le triptyque systémique que représente le “shadow-banking”, la corruption et le clientèlisme au pays du Cèdre n’était pourtant pas un secret de polichinelle avant la crise de 2019, alors que le secteur financier parallèle continuait de croître comme jamais. En 2005, lors de la conférence annuelle de la Réserve fédérale de Jackson Hole, le jeune économiste en chef du FMI, Raghuram Rajan, n’avait-il pas mis en garde sur les risques croissants (au sein du système financier “contemporain”) que fait peser le “shadow-banking” (activité non régulée), d’autant qu’il y condamnait (déjà) les grandes banques commerciales de sous-traiter leurs activités risquées au sein de ce système bancaire parallèle (“shadow banking”). “Un système de l’ombre” dont on n’ignore non plus le nombre croissant des “shadow banks” domiciliées dans les paradis fiscaux, car ces “tax haven” sont aussi des “paradis de régulation bancaire et judiciaire”.
Toutefois, comme de coutume, tant qu’aucun aléa (ou choc) majeur ne se réalise, les “rats” (des laboratoires économiques et financiers) continuent de danser sur le ventre de leurs prochaines victimes (c-à-d la “populace” pour emprunter ce qualificatif à Victor Hugo).
https://www.lorientlejour.com/article/1288736/corruption-pour-transparency-international-le-liban-ne-cesse-de-senfoncer.html
Faut-il alors croire que ni la Banque des règlements internationaux (BRI), ni la Réserve fédérale américaine (Fed), ni le Fonds Monétaire International (FMI) – toujours prompt à verser des lignes de crédit – ni la Banque Nationale Suisse (BNS), pas plus que la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque Centrale Européenne (BCE) n’ont émis raisonnablement un quelconque soupçon sur “la pyramide de Ponzi” orchestrée par le gouverneur de la Banque Centrale du Liban entre 1993 et 2023 ? Que les mêmes n’ont jamais eu vent – jusqu’en 2021 du moins – des relations incestueuses et jeux de pouvoir exercés dans le “pays du Cèdre”, autrefois qualifié de “Suisse du Moyen-Orient”? Les fonds “pillés” au peuple libanais – juste avant le phénomène de “bank run” et du blocus des capitaux – se seraient-ils ainsi volatilisés au seul prisme des paradis fiscaux (i.e “Pandora Papers”) et au grand dam du champ territorial extra-muros des États-Unis et de la Suisse, par exemple – deux puissances financières peu loquace sur le sujet – alors que le Liban se révèla être un champion du monde… dans le recours aux sociétés offshore.
Enfin, comme nous le démontra Nicolas de Condorcet avec son paradoxe, il est peu aisé de trouver un système de scrutin où les désirs des électeurs soient représentés correctement; ce n’est donc qu’à partir des années 1950-60 que des auteurs, tels qu’Anthony Downs, James M. Buchanan et Gordon Tullock, ont contribué à ce champ de recherche en élargissent la problématique au fonctionnement de l’Etat. L’oeuvre de Buchanan et Tullock « The Calculus of Consent » (1962) constitue de fait l’ouvrage de référence pour l’analyse des choix publics. Ainsi, dans la représentation que l’on se fait de la démocratie, l’”Homo-politicus” poursuit dans la sphère politique la même logique qu’il applique dans la sphère marchand, à savoir celle de la poursuite de son propre intérêt. De par sa fonction, sa priorité devrait pourtant être l’Intérêt général et on pourrait l’imaginer comme désintéressé et au service du bien commun ! Or, en réalité, l”Homo-politicus” recherche avant tout à maximiser son intérêt (et celui des “p’tits copains d’abord”) puisqu’il oriente son comportement en fonction de calculs qui lui permettent de se faire élire: en proposant donc des mesures qui reflètent l’opinion (e-o le pouvoir financier) de ses électeurs sans pour autant une fois élu, non pas leur “offrir une garantie de résultat” mais à minima une “obligation toute relative de moyens pour y parvenir”. Ce à quoi James M. Buchanan rappelait (à la “foule”) qu’il est utopique d’espérer d’un Homme ou d’une Femme politique un véritable changement si les structures (défaillantes) de l’architecture qui compose un pays ne sont pas profondément réformées.
Difficile à présent de croire que le “Crony Capitalism” (malheureusement démocratisé) va se voir éradiquer un jour, mais nous sommes, il est vrai, toujours en droit d’espérer !
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D’une manière plus globale – pour ce qui a trait au sujet qui fâche – une nouvelle est passée presque inaperçue au cœur de l’été 2024, car à la Mi-août de l’année dernière, un comité ad hoc des Nations-Unies s’est mis d’accord sur un futur cadre pour réformer le système fiscal international. C’est sûr que cette fois l’on croit dur comme fer (ai-je dis à la réthorique et la sémantique de comptoir?) à l’adoption d’un “nouveau traité mondial qui prévoit pour la première fois d’inclure des mesures pour assurer une taxation équitable des entreprises multinationales, ainsi que pour éviter l’évasion et l’optimisation fiscale”😇
En attendant (ai-je dis dans l’attente des restructurations de dettes souveraines; puis avec elles la liquéfaction des biens communs?) – les chiffres de l’évasion fiscale restent encore impressionnants puisqu’à en croire l”’Atlas du monde offshore” – un centre de ressource alimenté par l’Observatoire européen de la fiscalité – près de 12% du PIB mondial sont déjà évadés des États par des grandes entreprises multinationales ou des individus très fortunés. Et l’on ne parle pas encore des fruits de l'”économie souterraine” ! L’ONG “Tax Justice Network” a estimé quant à elle que le montant des pertes fiscales des États du monde entier (via la créativité fiscale, juridique et financière des juridictions complaisantes et non coopératives) au cours des 10 prochaines années devrait se situer à 4 800 milliards de dollars, soit plus que le PIB annuel de l’Allemagne 🤫
Conclusion pour le simple quidam qui souhaite conserver en permanence, et qu’importe les agissements des établissements financiers, un accès à une partie de son patrimoine financier et avec une certaine pérennité de la valeur de celui-ci dans le temps:
1) ne pas conserver toute son épargne au travers d’établissements financiers
2) ne pas détenir que des devises papier dans cette épargne hors banque
En gros, se responsabiliser plutôt que de déléguer l’intégralité de la gestion de ses avoirs à des entités aux fonctionnements sujets à caution.
Il fut un temps où le Liban était “la Suisse du Proche-Orient”…
Bonjour Yves B,
“Il fut un temps où le Liban était “la Suisse du Proche-Orient”… Oui, et je peux en attester!