Poutine : l’étrange déroute

Poutine : l’étrange déroute

juin 26, 2023 2 Par Michel Santi

A l’évidence, pour la Russie, c’était chronique d’une défaite annoncée. Elle qui a envahi le plus vaste pays d’Europe avec à peine 150’000 soldats, quand c’est près d’un million d’hommes que mobilisa l’URSS en 68 pour occuper un pays (la Tchécoslovaquie) dont la surface représentait alors le cinquième de l’Ukraine et dont la population la quart. Staline aurait agi autrement. Il n’avait hésité à limoger, avant d’exécuter son Maréchal favori Kulik lorsque l’Armée rouge fut écrasée en Ukraine en 1941 par des allemands qui purent dès lors entamer leur promenade de santé vers Moscou. Comprenant qu’il n’était pas sain – en tout cas sur le plan militaire – de s’entourer de courtisans, Staline n’hésita pas à redonner d’énormes responsabilités à des généraux disgraciés – voire emprisonnés pour certains dans des camps de concentration – mais compétents, qui en finalité lui offrirent la victoire.

De nos jours, le lamentable échec de l’armée russe et sa retraite pitoyable de Kyiv et Kharkiv n’ont pourtant pas été suivis de la réaction classique des autocrates ayant dirigé la Russie depuis l’époque reculée des Tsars, où les généraux incapables finissaient devant un peloton d’exécution. Poutine n’a –cette foi – pas fait usage de son pouvoir (en théorie) absolu pour écarter les incompétents dénués de talent militaire et stratégique, indignes d’un commandement de troupes. Inexplicable ! De la part de celui dont on était persuadé qu’il avait une tolérance zéro vis-à-vis de l’échec, de ce personnage qu’il s’était forgé au fil des décennies, sans aucun état d’âme.

La réaction contre les hauts-fonctionnaires ayant capté la pouvoir à Moscou vint donc de Prigozhin incrédule face à la passivité de son maître. Sergei Shoigu, promu Ministre de la défense alors même qu’il n’avait jamais fait son service militaire parce que valet inconditionnel de Poutine ? Valery Gerasimov, chef de cabinet et théoricien de la cyber guerre qui aurait supplanté selon lui la bonne vielle infanterie ? Prigozhin n’eut de cesse d’envoyer toutes sortes de messages, directs et subliminaux, exhortant son Tsar à remplacer sans tarder les membres éminents de sa cour pour les remplacer par ces jeunes qui se distinguaient à leur corps défendant au front. A la «loyale» : artillerie et infanterie pour s’approprier l’Ukraine. Pour notre ami Prigozhin le choix est simple: fusiller les Shoigu, Gerasimov et consorts – traîtres par incompétence ou par paresse ne s’étant jamais comme lui ensanglanté la tunique- ou laisser tomber ses ambitions territoriales ukrainiennes.

Poutine contrôle-t-il sa boutique ? L’observateur lointain et indifférent, un tant soit peu féru d’Histoire, comprend que le Kremlin ne doit son éternité mythique qu’à la guerre des clans. Ce Tsar ci a perdu de sa superbe et de son monopole d’usage de la force. Poutine n’est effectivement pas Staline. Poutine n’est, après tout, qu’un bureaucrate. Cette lutte intestinale – pancréatique – entre Prigozhin et Putin ne va pas sans rappeler une répartie de l’inénarrable Kissinger s’agissant de la guerre entre l’Iran et l’Irak : «Quel dommage que les deux ne puissent pas perdre».

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