
Un défi majeur de notre temps.
Mais où est l’inflation? Alors que les Etats-Unis jouissent d’une de leur plus longue période d’expansion économique, et tandis qu’ils sont quasiment au stade du plein emploi car leur taux de chômage est le meilleur depuis une cinquantaine d’années, l’inflation y est en même temps insignifiante. Refera-t-elle un jour son retour au sein de nos nations développées aux économies intégrées ?
Voilà pourquoi Donald Trump peut critiquer sa banque centrale car l’absence d’inflation peut lui faire dire que « si la Fed avait fait correctement son job, la bourse serait plus haute de 5’000 à 10’000 points et le P.I.B. serait supérieur à 4% au lieu de 3%… ». De fait, les banques centrales sont aujourd’hui critiquées tant sur leur flanc droit que gauche pour ne pas agir de manière plus déterminée dans la relance de la croissance, à présent que les menaces inflationnistes ont disparu des radars. Ayant combattu le spectre de l’inflation des décennies durant, ayant même provoqué des récessions pour avoir usé parfois sans discernement de leurs munitions pour en venir à bout, elles sont aujourd’hui désarmées car les centaines et les milliers de milliards crées pour combattre crise et déflation depuis 2007 n’ont eu que fort peu d’effet sur la hausse des prix et des salaires. Tout le combustible utilisé n’a donc pas réussi à rallumer la fusée, et elles ne sont plus aujourd’hui en mesure d’avoir des taux d’intérêt inférieurs au taux de l’inflation pour relancer crédits, investissements et économie tout simplement car leurs taux sont à zéro !
C’est donc l’ensemble de la profession auxquels appartiennent les banquiers centraux qui est remise en question : non seulement pour avoir échoué à raviver les économies, mais également – et peut-être surtout – car l’inflation moribonde ne les rend plus indispensables… Sont-ils donc condamnés à perdre leur indépendance gagnée au fil des années et à leur corps défendant pour s’aligner et se coordonner avec les exécutifs politiques disposant, eux, du levier de la fiscalité et de la dépense publique afin de relancer ensemble la machine ? Trump – qui soutient des outsiders comme candidats au Directoire de la Réserve Fédérale qu’il n’a de cesse de critiquer depuis quelques mois pour ne pas jouer à fond le jeu de la relance – serait-il donc un visionnaire ? En tout cas, l’accélération des dépenses fédérales et des investissements publics US sont de facto une piste très valable pour ressusciter l’inflation, tandis que par ailleurs les allemands et les hollandais n’ont toujours rien compris aux mécanismes macro économiques, eux qui se pavanent comme des coqs pour n’avoir quasiment pas de dettes quand cette posture leur permettrait précisément de dépenser plus et de contribuer ainsi efficacement à étinceler la fusée.
Autrement dit, pas de retour de l’inflation sans volonté politique. Et même à double titre : je m’explique. Si l’on fait abstraction du dogmatisme des fourmis du Nord de l’Europe et de leur obstination quasi morbide à multiplier les excédents, il est possible d’affirmer que l’inflation a disparu, broyée sous les poids conjugués de la globalisation et de la robotisation.qui se sont liguées contre les travailleurs et qui leur ont supprimé leurs capacités de négociation et de pression salariales. Ce n’est donc pas les banques centrales, c’est le capitalisme qui a tué l’inflation.
“Bien des économistes, politiciens et journalistes continuent à se demander comment se fait-il que le taux d’inflation n’ait pas encore pris l’ascenseur, au vu de l’augmentation exorbitante de la masse monétaire suite aux politiques ultra-expansives que les principales banques centrales au monde ont mises en oeuvre durant les dix dernières années, après l’éclatement de la crise financière globale en 2008.
La réponse à cette question est facile à trouver, si l’on abandonne la pensée économique dominante pour comprendre ce qu’est vraiment l’inflation et pourquoi sa prétendue mesure sur le marché des produits reste proche d’un pour cent malgré l’énorme liquidité que les banques centrales ont créée durant cette décennie.
L’inflation n’est pas l’augmentation des prix à la consommation. En réalité, l’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie, suite à l’augmentation de la masse monétaire au-delà de l’augmentation de la production mise en vente sur le marché des biens et services. Le niveau des prix sur ce marché pourrait ne pas augmenter malgré l’inflation, si la masse monétaire excédentaire n’est pas dépensée pour l’achat de biens et services. L’indice des prix à la consommation pourrait même diminuer en cas d’inflation, suite au progrès technique qui permet aux entreprises de réduire leurs prix de vente de manière telle à ne pas réduire leur marge bénéficiaire. L’inflation, dans un cas pareil, empêche les prix de vente de baisser de manière proportionnelle à la réduction des coûts de production.
En fait, l’indice des prix à la consommation ne mesure pas l’inflation mais la variation de ces prix durant une période donnée, habituellement sur base annuelle. Les prix à la consommation peuvent varier pour d’autres raisons que la perte du pouvoir d’achat de la monnaie (entendez l’inflation): si l’Etat augmente la taxe sur la valeur ajoutée ou si les entreprises augmentent leurs prix de vente car elles ont une position dominante sur le marché, l’indice des prix à la consommation augmente sans qu’il y ait de l’inflation. Vice-versa, si la masse monétaire augmente de manière excessive par rapport au produit vendu sur le marché des biens et des services, il y a de l’inflation même si elle n’apparaît dans aucune statistique sur les prix à la consommation.
La réalité montre tout de même une certaine évidence empirique qui devrait faire comprendre qu’il existe une forte inflation sur les marchés financiers, depuis que les banques centrales ont décidé d’intervenir afin de soutenir les banques qui, individuellement ou dans leur ensemble, étaient ou sont encore trop grandes pour faire faillite.
L’énorme liquidité que les banques continuent de recevoir par leur banque centrale est dépensée pour l’achat d’actifs financiers dont les prix ont augmenté bien au-delà de ce qui pourrait être expliqué par rapport à l’évolution de l’économie réelle, tandis que les prix à la consommation n’augmentent pas car les salaires stagnent, voire baissent en termes réels, pour une partie importante de la classe moyenne…”
Dixit Dr. Sergio Rossi – professeur en économie à l’Université de Fribourg (Suisse) où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.