
Déconstruire le Pacte de Stabilité…pour assainir l’Europe !
L’Europe n’est toujours pas tirée d’affaire. Une débâcle est encore possible du fait de l’absence de tout contrôle sur leur taux d’intérêt et sur leur monnaie de la part des pays membres de la zone euro. En effet, dans ces conditions, comment les diverses économies nationales ayant l’euro peuvent-elles ne pas diverger ? Et quel est le levier permettant d’y harmoniser la consommation et l’activité économique ? Que faire par ailleurs pour y éviter les écarts souvent massifs de compétitivité qui ne peuvent être corrigés, on l’a vu, qu’à force de sacrifices ?
Il serait évidemment souhaitable de mettre en place une politique budgétaire et fiscale contra-cyclique ayant pour effet de lisser ces différences, et de combler les fossés régnant entre Nord et Sud, entre coeur et périphérie. Cette éventualité est cependant balayée d’un revers de main dédaigneux : par ignorance des mécanismes macro-économiques, mais également du fait d’un esprit moralisateur qui exige de remettre sur le droit chemin les insupportables cigales…ayant néanmoins largement contribué à la prospérité du Nord et de ses banques à l’orée du siècle. C’est de ce refus obstiné d’utiliser certains instruments à disposition, c’est de cette volonté d’infliger une bonne «correction» aux indisciplinés que découle l’obsession des déficits et les politiques d’austérité ayant ravagé l’Union européenne, accessoirement fait prospérer le populisme.
En fait, la liquéfaction européenne est née du chacun pour soi précisément induit par le Pacte de Stabilité : l’honneur n’était-il effectivement pas sauf tant que les fameux critères étaient respectés ? L’obsession du chiffre, aidée par la puissance symbolique du critère des 3 %, fut en effet si puissante qu’elle eut pour conséquence immédiate d’empêcher toute analyse qualitative des comptes publics. Voilà pourquoi le lancement de la monnaie unique fut le point de départ de déséquilibres et d’écarts de compétitivité désastreux entre nations, ou blocs de nations, membres. Autant de graines de discorde, de bulles spéculatives en gestation, de dysfonctionnements qu’il aurait été aisé de réduire et de réguler par l’entremise d’une politique budgétaire et fiscale commune, harmonieuse et coordonnée. Ce n’est pas les excès des PIIGS, ni leur mauvaise gestion, qui ont engendré écarts de compétitivité, déséquilibres et déficits par la suite stigmatisés par le Nord. Non, car le tout premier choc asymétrique ayant percuté violemment l’euro et ses pays membres est la sécrétion naturelle de la création de cet euro-là.
La création de l’euro ne fut-elle en effet pas immédiatement précédée – et suivie – d’une baisse généralisée des taux d’intérêt et de financement des pays périphériques ? La fameuse convergence ne put avoir lieu qu’à la faveur d’une perception aberrante des marchés financiers qui considérèrent que le risque afférent aux nations du Sud ne différait pas notablement de celui de l’Allemagne. Dès lors, les liquidités affluèrent en direction de ces nations qui bénéficièrent de facto d’une politique monétaire largement expansionniste. Conditions monétaires qui furent d’autant plus déstabilisantes que ces pays furent graduellement inondés de liquidités selon une amplitude diamétralement opposée aux conditions ayant régné avant leur intégration dans l’euro.
C’est des politiques budgétaires et fiscales fondamentalement contra-cycliques qui auraient dû être mises en place par les nations européennes périphériques, avec pour objectif de contrebalancer les effets pervers de stimuli monétaires massifs. Dans ces conditions, le choc de la demande ayant eu lieu dans ces pays n’a rien d’étonnant : la consommation y a proprement explosé, avec le consentement et la bénédiction de l’Allemagne dont la balance commerciale devait jouir d’excédents quasi surhumains après l’an 2000. Sans vouloir minimiser les problèmes structurels manifestes inhérents à chacune de ces nations européennes périphériques, c’est la succession et la combinaison de ces chocs – politique monétaire expansionniste, demande agrégée hyperbolique, dans un contexte de contrepoids fiscal largement insuffisant – qui y gonfla les salaires proportionnellement à la productivité. Il est très important de dresser un constat, à savoir que nombre de pays d’Europe périphériques auraient de toute manière été en récession dès 2010, avec ou sans crise de l’euro. Le péché originel de l’Union européenne est donc précisément et nommément ce Pacte de Stabilité, qui a faussé la discipline fiscale.
Effectivement, en focalisant toutes leurs attentions et tous leurs efforts à le respecter ou à tenter de s’en approcher, les gouvernements successifs sont passés à côté de politiques contra-cycliques précieuses. En axant leurs efforts sur la seule lutte contre les déficits publics afin de satisfaire au Pacte, et grâce à des comptes publics excédentaires pour nombre de ces nations du Sud, les dirigeants ont omis de faire usage du levier fiscal qui devait modérer les enthousiasmes, calmer les ardeurs spéculatives et contrôler l’envolée de la consommation. Du reste, pourquoi ces États auraient-ils mis en place de telles politiques qui se seraient traduites par un tassement de leur croissance, alors même que leur ratio dettes/ P.I.B. ne faisait que s’améliorer entre 2000 et 2007 ? Après tout, du fait même de ce Pacte de Stabilité qu’ils respectaient, nulle pression ne s’exerçait sur eux dans le sens d’une mise en place de mesures menant à une contraction de leur économie. Ce Pacte a donc totalement brouillé la vision et le jugement de nos autorités, qui ne juraient plus que par ses critères et qui jaugèrent l’ensemble des données et des statistiques de leurs économies nationales respectives à son prisme. Loin de tout esprit critique, de toute analyse qualitative, de toute anticipation macroéconomique élémentaire.
Ce péché originel de l’euro a donc conduit les responsables politiques et économiques des divers pays membres à focaliser toutes leurs attentions sur le quantitatif, c’est-à-dire sur ces fameux critères qui étaient largement respectés dans nombre de ces nations. En effet, pourquoi se lancer dans une analyse qualitative dès lors que les comptes sont excédentaires ? Et pourquoi se creuser les méninges à faire un travail de discernement macro-économique si le sacro-saint Pacte est respecté ? Dans le cas de l’Espagne ou de l’Irlande, il aurait pourtant été basique de reconnaître que les excédents budgétaires dont ces deux pays jouissaient étaient quasi obligatoires – voire mécaniques – en période de boom immobilier. En mettant l’accent sur les excédents budgétaires, le Pacte a donc forcé à regarder dans la mauvaise direction et à analyser les mauvais indicateurs.
Ce sont exactement les mêmes erreurs grossières qui sont réitérées aujourd’hui. En concentrant leurs tirs sur les seuls déficits des pays, les autorités européennes espèrent se payer le luxe d’éviter toute politique fiscale contra-cyclique, dont l’objectif et les effets seraient de relancer la croissance. Tandis que le levier de la fiscalité avait été ignoré afin de modérer des économies en surchauffe à l’occasion du lancement de l’euro, ce même levier est aujourd’hui encore ignoré alors même qu’il serait à même de neutraliser la récession. Comme nos dirigeants sont des femmes et des hommes politiques élus et donc logiquement préoccupés par leur réélection, comme ils ne sont en outre que peu ou prou spécialistes ès macro-économie, comme il n’est pas dans les attributions de la Banque centrale européenne de plaider en faveur de telle ou de telle mesure fiscale dans tel ou tel pays, l’idéal serait que l’Union européenne soit également une union fiscale où les citoyens d’un pays membre à forte croissance paient des impôts qui iraient aux citoyens des pays à croissance molle. Comme de tels mécanismes automatiques sont aujourd’hui impossibles à mettre en place pour des raisons essentiellement politiques voire morales, l’Union et ses citoyens ne sont donc pas armés pour affronter sereinement les inévitables crises récurrentes.
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Bien sincèrement,
Michel
Un cours accéléré pour les nuls, c-à-d adressé aux “porteurs de chasuble” de l’économie (ir) réelle. La trappe à liquidité…Quèsaco? La Banque Centrale devient incapable de stimuler l’économie par voie monétaire, le taux d’intérêt étant tellement bas, que même en augmentant l’offre de monnaie, les individus préfèrent détenir du liquide plutôt que d’acheter des obligations. Cette hausse de l’offre de monnaie n’a donc aucune influence sur le taux d’intérêt. Eh oui, cette situation a été théorisée, entre autre, par l’économiste hétérodoxe J-M Keynes pour démontrer qu’en période de crise, étant donné l’impossiblité de relancer l’économie par voie monétaire, le gouvernement doit alors directement intervenir sur la demande agrégée (AD), en augmentant les dépenses publiques (AD = C + I + G + X – M).
Ce b.a.-ba est-il si difficile à saisir pour un(e) politicien (ne)? Apparemment…Oui!
Une perception hétérodoxe de la notion du mauvais élève?
En 2013, [le Département du Trésor états-unien a publié un rapport dans lequel il reproche à l’Allemagne d’avoir une demande intérieure trop faible et de faire reposer la croissance de son économie sur les exportations, au détriment de l’ensemble de la zone euro: «Le rythme anémique de croissance de la demande en Allemagne et sa dépendance des exportations ont entravé le rééquilibrage à une période où beaucoup d’autres pays de la zone euro ont été sous forte pression pour réduire leur propre demande et comprimer les importations afin de promouvoir l’ajustement. Le résultat net a comporté un biais déflationniste pour la zone euro ainsi que pour l’économie mondiale.»
L’importance du rééquilibrage des déséquilibres internationaux par les pays excédentaires et pas seulement par les pays déficitaires avait été déjà mise en exergue lors de la conférence de Bretton Woods en 1944 et notamment dans le cadre du fameux «Plan Keynes» pour la réforme du système monétaire international. Si à l’époque ce plan avait été vite écarté au profit du «Plan White» mettant le dollar états-unien au centre du «non-système» monétaire international (John Williamson) que nous connaissons encore de nos jours, il pourrait refaire surface et rendre service à l’économie états-unienne dont le déficit courant face à bien des pays, notamment la Chine, ne pourra pas être réduit sans que les pays excédentaires contribuent au processus de rééquilibrage.
Le Département du Trésor états-unien s’inscrit dans cette démarche et fait remarquer dans son rapport qu’«une croissance plus forte de la demande intérieure dans les économies européennes excédentaires, en particulier en Allemagne, aiderait à faciliter un rééquilibrage durable des déséquilibres dans la zone euro.»
Cela serait d’ailleurs conforme aux règles de la Procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques faisant partie du paquet législatif («six-pack») qui est entré en vigueur le 13 décembre 2011 en vue de renforcer la surveillance budgétaire et macroéconomique dans la zone euro et dans l’ensemble de l’Union européenne. Parmi les indicateurs prévus dans le tableau de bord pour la réduction des déséquilibres macroéconomiques se trouve, en effet, la moyenne mobile sur trois ans du solde des transactions courantes en pourcentage du Produit intérieur brut (PIB), qui doit se situer «dans une fourchette comprise entre +6% et –4% du PIB.»
Même en acceptant l’asymétrie des bornes positives (+6 pour cent) et négatives (–4 pour cent), qui relève d’une vision dogmatique, force est de constater que l’excédent courant de l’Allemagne ne respecte pas ce critère déjà depuis 2007]
Combien d’années faudra-t-il encore attendre du mauvais élève pour qu’il cesse son diktat?