
Arabie Séoudite: cygne noir de l’an 2016
Le kwanza angolais s’est effondré de 15% en quelques heures dès que les autorités de ce pays autorisèrent sa dévaluation il y a quelques jours. Le mois dernier, c’est la monnaie de l’Azerbaïdjan, le manat, qui avait perdu le tiers de sa valeur en quelques heures dès que la banque centrale nationale devait décider d’abandonner son indexation par rapport au dollar américain. Au total, le manat aura perdu 55% en 2015 vis-à-vis du billet vert, pire encore que le tenge du Kazakhstan qui a concédé 47% contre le dollar, le rouble russe 24%, le manat turkmène 19%, ou encore la devise de Géorgie qui aura perdu le quart de sa valeur en 2015… L’effondrement de toutes ces monnaies – ayant évidemment comme point commun d’être toutes pétro-dépendantes- alimente désormais les rumeurs les plus folles sur un phénomène de nature à envoyer des ondes de choc à travers l’ensemble du système financier mondial, à savoir l’abandon par l’Arabie Séoudite, premier exportateur mondial de pétrole, de l’indexation de son riyal par rapport à la devise américaine.
Le pétrole étant négocié en dollars, cette corrélation du riyal au billet vert – mise en place en 1986 – fut source de prospérité pour l’Arabie Séoudite qui a ainsi pu sereinement mettre en accord ses revenus avec ses dépenses, tous deux libellés en dollar du fait de ce fameux “peg” qui fut incontestablement facteur de stabilité économique. Si l’abandon d’une telle indexation -et donc la chute substantielle inévitable de la devise nationale qui s’ensuit- ont pour conséquence mécanique de favoriser les exportations du pays en question, une telle extrémité est toujours très mal accueillie par les marchés qui l’interprètent avec raison comme un constat d’échec pour la politique économique du pays en question et qui lui retirent dès lors toute confiance. Du coup, les effets positifs de la dévaluation massive de la monnaie nationale sont largement neutralisés – voire retournés contre le pays ayant abandonné le peg- qui se retrouve en outre pénalisé par des importations nécessairement plus onéreuses.
Pour autant, une décision séoudienne de sortir du peg – dont la défense lui a coûté 100 milliards de dollars ces mois derniers pour cause d’attaques spéculatives contre le riyal – stimuleraient a priori considérablement ses exportations de pétrole qui deviendraient du jour au lendemain nettement moins chères. Un tel dumping nuirait à l’évidence à sa concurrence et aurait des effets catastrophiques sur la production de pétrole de schiste US qu’elle tente en vain de casser depuis un peu plus d’un an, et qui fut la raison fondamentale de la chute des prix orchestrée par elle dès novembre 2014. Pour autant, ayant lamentablement échoué à éradiquer les producteurs américains qui s’adaptèrent rapidement à la chute ininterrompue des prix depuis la fin 2014, l’Arabie Séoudite risquerait gros à persévérer dans cette partie de poker, elle qui est aujourd’hui devenue tellement vulnérable pour avoir désespérément besoin d’un baril à 90 $ afin d’être en mesure d’assumer ses dépenses courantes. De plus, les retombées favorables de l’abandon de l’indexation de son riyal vis-à-vis du dollar seront dès l’an prochain annihilées par l’arrivée sur le marché des centaines de milliers de barils de pétrole iranien!
Bien consciente de ces enjeux, et surtout qu’elle n’est désormais plus le producteur de pétrole mondial de référence et qu’elle n’est plus en mesure d’imposer sa volonté à des marchés pétroliers échappant à son contrôle, l’Arabie s’est donc résignée à adopter des mesures d’austérité budgétaire. Mise en place d’un impôt de 2.5% sur la valeur de terres non construites situées autour de ses villes, augmentation généralisée des prix de l’eau et de l’électricité, ce Royaume ayant naguère acheté sa paix sociale se retrouve aujourd’hui dans une fuite en avant aux conséquences potentiellement désastreuses. Comment redistribuer une manne pétrolière qui se tarit? Dans un tel contexte où quelque chose doit craquer, les autorités séoudiennes tentent de détourner les attentions vers l’ennemi héréditaire chiite, quitte à précipiter tout le Moyen-Orient dans des abysses géopolitique et financière.
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