
Stephen Moore vient de déclarer que les cours du métal jaune devraient remonter à 2.000 dollars l’once et que tout investisseur prudent se devrait d’en conserver des proportions importantes dans son portefeuille. «L’idée qu’un gouvernement fédéral puisse imprimer autant d’argent pour imprimer des emplois est pure fantaisie», a-t-il déclaré.
Pourtant, l’Histoire a bien montré que la soi-disant stabilité apportée par l’or est illusoire. Tandis que, en période de croissance et de prospérité économiques, les banques sont promptes à émettre plus d’argent en prêts et autres que ne leur permettent leurs réserves, contribuant ainsi à une hausse des prix. Elles ne sont pas capables, dès lors que l’économie se contracte et qu’une partie de ces financements se retrouve en défaut de paiement, de rendre tous leurs dépôts aux épargnants, contribuant ainsi activement à l’effondrement de la masse monétaire et à la déflation. Une mise au point s’impose donc car la terreur qu’éprouve toujours un grand nombre par rapport aux pressions inflationnistes les pousse à vouloir mener un combat rétrograde. Si l’étalon or devait être rétabli aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale devrait définir un cours de convertibilité du dollar contre l’or, c’est-à-dire fixer qu’une once de métal jaune soit échangeable contre une certaine quantité de dollars. Pourtant, en vertu de quels critères devrait s’opérer cette conversion alors que les prix de l’or se sont révélés fort volatils ces dix dernières années ? La Fed risque d’être inondée d’or si ce,cours est trop élevé et, à l’inverse, elle subira une ruée vers l’or si le,cours de convertibilité de l’or vis-à-vis du billet vert est fixé trop bas.
De fait, l’Histoire a démontré que tous les systèmes d’étalon or étaient voués à l’échec. Le plus flagrant – qui n’est même contesté par ses plus fervents adeptes – étant celui de la Grande Dépression ayant été, sinon induite, en tout cas indiscutablement aggravée et prolongée par l’étalon or prévalant au sein des nations occidentales industrialisées de l’époque. En effet, l’histoire de la Grande Dépression et celle de l’étalon or sont étroitement liées, et ce n’est qu’à la faveur de l’abandon de cet étalon par les USA et par nombre de pays européens que les banques centrales purent dès lors efficacement assouplir leur politique monétaire. Tant qu’elle était en vigueur, cette corrélation à l’or agissait comme un carcan qui forçait les autorités monétaires à conserver des taux d’intérêt élevés afin de maintenir le cours de convertibilité de l’or par rapport au dollar, alors que le contexte de crise exigeait une réduction immédiate des taux pour relancer l’activité. C’est ainsi que la Réserve Fédérale de 2007 et de 2008 aurait été contrainte de monter ses taux d’intérêt (au lieu de les réduire agressivement comme elle l’a fait) aux lendemains de la crise des subprimes si le régime de l’étalon or avait été en vigueur ! Est-il nécessaire de faire des simulations sur les conséquences dévastatrices pour l’économie américaine – et mondiale – d’une telle remontée des taux en pleine implosion du marché immobilier, ou à l’orée de la faillite de Lehman Brothers?
Comprenons-le une fois pour toutes : la «relique barbare» empêche toute flexibilité macro économique, et confisque aux Etats leur autonomie car il va de soi que le papier monnaie (et demain la monnaie numérique) autorise un contrôle de la masse monétaire nettement plus optimal. Toutes proportions gardées, la crise des dettes souveraines européennes constitue également un cas d’école attestant qu’un pays (ou qu’un bloc régional) exacerbe ses vulnérabilités dès lors qu’il lie son destin économique aux cours de l’or ou – en l’occurrence – qu’il renonce à exercer tout contrôle sur sa propre devise. Les membres de l’Union Européenne n’ont certes pas lié leurs monnaies respectives à l’or, mais ils l’ont indexé à l’euro qui agit, de facto, à la manière d’un étalon. Ayant bien fonctionné pendant dix années ponctuées de croissance correcte et d’accidents financiers mineurs, «l’étalon-euro» devait dévoiler ses faiblesses structurelles à la faveur des déboires budgétaires grecs, de l’implosion des bulles spéculatives irlandaise et espagnole, ou d’une politique économique italienne frivole. Impossible pour ces nations fragilisées de mener une politique dite «expansionniste» afin de relancer leur économie, soit en dévaluant leur monnaie (qui était fixée à l’euro), soit en réduisant leurs taux d’intérêt (qui échappaient totalement à leur contrôle parce que du seul ressort de la Banque centrale européenne). Il était évident qu’un seul et même étalon (par définition inflexible) qui rassemblait des pays – comme la Grèce et l’Allemagne – aux cycles et aux caractéristiques économiques tellement différents – voire antinomiques – était une fabrique à crises, car il contribuait activement de l’étouffement d’un bloc au bénéfice d’un autre.
Bref, l’étalon or est un fantasme, similaire à celui qui consiste à vouloir renouer avec une ex-amie au seul motif de certains bons souvenirs partagés, en dépit d’une vie commune dont on sait qu’elle sera impossible. Que les investisseurs et que les spéculateurs achètent et vendent l’or, c’est leur rôle. Mais est-il sérieux de lier le sort de nos monnaies nationales à l’or : en d’autres termes que notre nouvelle monnaie devienne l’or ? Une certaine frange du Parti Républicain US et bien-sûr Donald Trump qui s’érigent en grands défenseurs du conservatisme semblent – avec Stephen Moore – plaider pour le retour d’une certaine forme de corrélation à l’or. Pour autant, être conservateur signifie-t-il et justifie-il le rétablissement d’une politique tombée en désuétude il y a près d’un siècle ? A moins que cette stratégie ne soit purement démagogique car elle vise l’électorat typique de Trump dont l’écrasante majorité se laisse aller aux pires complotismes lesquels – en toute logique – sacralisent l’or ?
Bonjour cher Michel,
Merci sincèrement pour cette chronique haute en couleur. Ceci dit, comme le plan White a déjà démontré ses défaillances par le passé – et qu’il serait tout à fait ubuesque de nos jours à revenir à l’étalon or comme collatéral – pourquoi ne pas réfléchir sérieusement à l’alternative de l’époque, avec le plan Keynes? Après la Grande Dépression qui a suivi le krach boursier de 1929, Keynes avait émis l’hypothèse d’une monnaie non étatique à laquelle seraient rattachées toutes les monnaies du monde : le bancor. Malgré son nom, le bancor n’était pas basé sur l’or, Keynes ayant une grande méfiance pour le métal jaune (cette relique-barbare) dans le cadre d’un système d’étalon trop rigide.
Le système de cette monnaie au-delà des états, proposé lors des accords de Bretton Woods en 1944, visait justement à sanctionner tout pays qui serait en excès d’import ou d’export. Celui-ci serait alors contraint de rétablir l’équilibre, soit en réévaluant soit en dévaluant.
Abstraction faite de l’hégémonie du dollar US chère aux États-Unis d’amérique, “un système bancor” pourrait être envisageable au travers du panier des DTS, non?
Bonjour Raymond,
Le Bancor a été suggéré par Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale chinoise, dans son essai “Reform the international monetary system” (voir sur le site de la BIS). Le Bancor permet effectivement d’équilibrer les monnaies en fonction de la balance des paiements, mais ce n’est pas que ça.
Le Bancor est un panier de monnaies nationales et régionales, à la manière du DTS, mais qui devait être garanti par des “real assets”. Keynes recommandait un panier de 30 matières premières pondérées en fonction de leur rareté. Zhou Xiaochuan y fait également référence sans préciser quels seraient ces “réal assets”, mais il va sans dire qu’au minimum l’or en fera partie. L’histoire est en train de s’écrire.
La Chine est en train d’appliquer le principe en ajustant progressivement sa monnaie par rapport au Dollar en vue de re-équilibrer les échanges, mais l’Amérique a fort à faire pour se réindustrialiser.
Bonjour Michel
Vous parlez de l’or comme un frein en période de croissance économique… Vous avez certes raison, mais il m’arrive de penser que le Club de Rome en 1972 avait émis un rapport, dont le titre était:
“Halte à la croissance ?”.
Ce rapport disait que si la société continuait au rythme des 30 Glorieuses, il y aurait une raréfaction des ressources, une dégradation de l’environnement et un effondrement économique aux alentours de 2030. Cette étude a été refaite par le MIT en 2012 et a obtenu les mêmes résultats. Nous sommes à seulement 11 ans de cette échéance. Malgré les accords de Rio, de Kyoto, etc. nous continuons à aller droit dans le mur à pleine vitesse.
Le sujet de ce ralentissement économique nécessaire va être au coeur de toutes les campagnes politiques à venir sous un label ou sous un autre. Ce sera le New Deal, pour changer de société et sauver la Planète. La Croissance n’est plus de mise. La hausse du prix des matières premières devrait ralentir notre société de consommation et abolir le prêt-à-jeter. Les bases de Bale III vont limiter les banques, ce sera chose faite à la fin de 2021. Nous allons vers une société plus responsable. C’est un fait.
La monnaie purement fiduciaire des 50 dernières années a peut être montré ses limites. La nouvelle est en train d’être ré-inventée.
😉
Sincèrement, je ne crois pas que l’on s’achemine vers un monde plus responsable.
Je viens de lire une analyse sur la loi Dodd-Frank aux USA…en tous cas telle qu’elle est interprétée par le système bancaire actuel.
A la question posée: “est-elle plus sévère”, les banquiers répondent: “il faut juste remplir quelques formulaires de plus”.
Bonjour Menthalo,
Merci pour votre enrichissante contribution. A l’instar de notre hôte, moi aussi, je crains que l’on ne s’achemine vers un monde plus responsable.
Voici mon post du 01 juin 2018 : Un futur Oscar risque bien d’être décerné à Jérôme Powell pour son rôle de « spin-doctor » dans « bullshit artist » ! La nomination de Powell montre (une fois de plus) l’ampleur du pouvoir politique des institutions financières.
[Dix ans après le début de la crise financière, la Fed (Réserve fédérale) a proposé, mercredi 30 mai 2018 d’assouplir l’une des principales règles qui avaient été adoptées pour empêcher les banques de prendre des risques boursiers trop importants. La Banque centrale américaine veut s’attaquer à la règle Volcker, qui interdit aux banques de détails de faire des paris boursiers pour leur compte avec l’argent des déposants. La nouvelle mouture du texte viendrait « simplifier » la mesure pour la rendre « plus efficace », d’après Jérôme Powell, le nouveau président de la Fed, nommé à ce poste le 5 février 2018 par Donald Trump.
https://www.wsj.com/articles/fed-floats-changes-to-volcker-rule-on-big-bank-trading-restrictions-1527705603
La règle Volcker partait d’un bon sentiment : éviter que les contribuables ne paient pour les risques inconsidérés des banquiers. Avant 2008, les banques pouvaient utiliser l’argent de leurs clients – et qui était garanti par l’État – pour boursicoter à leur guise et faire des profits. En cas de perte, l’État intervenait pour rembourser les déposants. C’est ainsi que, durant la crise, les banques ont réussi aux États-Unis (et sur le Vieux Continent) à faire éponger une partie de leur dette par les contribuables.
Mais l’interdiction édictée par la règle Volcker n’est toutefois pas absolue. Les banques peuvent toujours avoir recours à l’argent des clients, s’il est utilisé à leurs profits ou pour couvrir un pari risqué fait avec les fonds propres de l’établissement. D’où le problème : ces exceptions peuvent entraîner des audits et contrôles à répétition pour établir si les opérations boursières sont faites dans le respect de la règle Volcker. Les banques ont utilisé le prétexte du casse-tête des tracasseries administratives pour contester le bien-fondé de cette mesure. Ainsi, la règle Volcker, érigée en symbole de l’effort de la réforme bancaire d’Obama de 2010 pour protéger les contribuables contre les excès de la finance, n’est entrée en vigueur qu’en 2015 après d’intenses tractations pour en définir précisément le champ d’application. La règle Volcker 2.0, voulue par la Fed, limiterait les contrôles auxquels sont soumises les banques. Ces dernières auraient aussi moins de preuves à fournir pour établir la légitimité d’une opération boursière. C’est donc un assouplissement en bonne et due forme des règles de régulation bancaire qui est proposé par la Fed. Ce n’est pas le premier. Le Congrès a voté, le 22 mai 2018 une annulation partielle de la réforme bancaire 2010. Cette autre victoire pour Wall Street prévoit qu’il n’y aura plus désormais qu’une dizaine de très grandes banques qui seront soumises à l’intégralité des contrôles établis après la crise financière de 2010]
https://www.nytimes.com/2018/05/22/business/congress-passes-dodd-frank-rollback-for-smaller-banks.html
Bien à vous.