Hyman Minsky, mal-aimé clairvoyant

Hyman Minsky, mal-aimé clairvoyant

novembre 25, 2021 2 Par Michel Santi

Décédé en 1996, Hyman Minsky fut un économiste quasiment inconnu de son vivant. A l’époque, seuls certains esprits éclairés – assurément hétérodoxes – s’intéressèrent à ses recherches qui portaient sur les causes des crises financières. Il ne dut son heure de gloire qu’à la faveur de l’implosion des subprimes en 2007. C’est comme si l’ensemble du monde de la finance, de l’économie et de la politique – totalement déboussolé – découvrit alors ses travaux. Les banquiers centraux n’eurent de cesse de le citer dans leurs discours, et les médias de qualifier la crise prévalant à l’époque de “Minsky moment”. Jamais mentionné – même très brièvement – par la presse de son vivant, “The Economist” le cita pourtant plus de 30 fois sur la seule année 2007 !

En réalité, l’approche de Minsky n’eut rien de conventionnel car il évita autant que possible dans ses travaux de faire appel aux mathématiques, pourtant tout-puissants dans la science économique. En outre, l’objet fondamental de ses recherches – à savoir les racines profondes des crises – était hautement impopulaire à une époque où l’idéologie dominante du XXème siècle imposait une croyance aveugle en des marchés réputés efficients et rationnels. Son impopularité – ou plutôt son absence totale de visibilité – provenait donc de son fonds de commerce – l’étude des crises – dans un contexte où la quasi-totalité des intervenants tous horizons confondus considérait les marchés financiers comme l’arbitre suprême. Les économies modernes, dites «intégrées», étant censées avoir vaincu leurs démons les plus malins, toute crise ne pourrait par définition que se révéler passagère et n’avoir qu’un impact limité sur l’économie.

C’est dans cette conjoncture marquée par un déni quasi absolu sur les capacités de nuisance des marchés que Minsky développa son hypothèse sur l’instabilité financière et démontra que les tourmentes économiques sont précisément issues et causées par les longues périodes de prospérité. Il décrivit ainsi des contextes où les privés et les entreprises se lancent frénétiquement dans des emprunts sans même avoir les liquidités suffisantes leur permettant de s’acquitter des seuls intérêts de leurs dettes, simplement justifiés par une spéculation misant sur une appréciation ininterrompue de leurs actifs. Un tel phénomène de contamination collective fragilise évidemment à l’extrême le système financier dès lors qu’un resserrement des taux, qu’un incident en général insignifiant, voire qu’une simple étincelle pèse sur la valorisation de ces mêmes actifs, provoquant dès lors une avalanche de ventes forcées. La sur exposition de ces investisseurs, mettant à profit un effet de levier gigantesque dans le seul espoir que les valorisations ne fassent que grimper, exacerbe donc la fragilité de l’ensemble du système qui ne doit plus sa prospérité qu’à des artifices.

Il est facile de comprendre pourquoi Minsky fut un mal-aimé de son vivant car ses conclusions sont fort troublantes. La stabilité économique porte en elle les germes de l’instabilité, car les périodes de grande fragilité ne font que faire écho aux périodes de prospérité. Les travaux de Minsky sur les effets pervers de la dette – pourtant essentielle dans la compréhension du processus de prospérité économique – furent largement ignorés, pour réapparaître bien opportunément lors de la crise majeure des années 2007 et 2008. Aujourd’hui, c’est à nouveau la course à la spéculation dans un environnement général de régulation qui tend à se relâcher. Du coup, l’ombre de Minsky s’estompe…jusqu’à la prochaine explosion.

Chers lecteurs,

Voilà plus de 15 ans que je tiens ce blog avec assiduité et passion.
Vous avez apprécié au fil des années mes analyses et mes prises de position souvent avant-gardistes, parfois provocatrices, toujours sincères.
Nous formons une communauté qui a souvent eu raison trop tôt, qui peut néanmoins se targuer d'avoir souvent eu raison tout court.
Comme vous le savez, ce travail a - et continuera - de rester bénévole, accessible à toutes et à tous.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient me faire un don, ponctuel ou récurrent, je mets néanmoins à disposition cette plateforme de paiement.
J'apprécierais énormément vos contributions pécuniaires et je tiens à remercier d'ores et déjà et de tout cœur toutes celles et tous ceux qui se décideront à franchir le pas de me faire une donation que j'aime à qualifier d'«intellectuelle».

Bien sincèrement,

Michel