La spéculation immobilière vs. Le Citoyen

“L’Ouest fait face à un défi majeur. Nous ne souhaitons pas que notre société soit divisée en deux classes: les propriétaires riches et les locataires pauvres.» C’est en ces termes que s’est récemment exprimé le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez. Sous son impulsion, l’Espagne imposera prochainement à 100% toute propriété acquise par des non-résidents nationaux de pays n’étant pas membres de l’Union Européenne. Ces acquéreurs, une trentaine de milliers l’an dernier, sont motivés par la spéculation et n’y vivent en majorité pas. C’est environ 15% de toutes les transactions immobilières en 2024 qui ont concerné les étrangers ayant ce profil, et qui ont de ce fait provoqué une flambée des prix de près de 50% du parc, dépassant les sommets observés lors de la bulle immobilière de 2007.
Cette taxation rédhibitoire de 100% sur l’immobilier des non-résidents suit de peu la décision de ce même Gouvernement espagnol de supprimer le «golden visa» qui permettait aux non européens de pouvoir vivre et travailler pendant trois ans en Espagne, moyennant un investissement de 500’000 euros dans l’immobilier du pays. L’office de la statistique du pays indique que 94% de ces visas octroyés étaient corrélés à un placement immobilier, principalement à des investisseurs de nationalité britannique, clairement les premiers visés par cette batterie de mesures. Dans un contexte où 3’800’000 biens en Espagne se retrouvent aujourd’hui non habités par leur propriétaire, il va de soi que les autorités ont à cœur de favoriser leurs propres résidents qui souffrent considérablement de cette nouvelle bulle saisissant le marché immobilier de leur pays. Les abus se déclinent, par exemple, en des taxes payées par des propriétaires de 4 à 5 appartements en location de courte durée qui sont inférieures aux impôts acquittés par les hôtels. Il est actuellement quasiment impossible de se loger décemment à Barcelone, à Madrid ou à Malaga. Les habitants de ces villes, et de bien d’autres, qui y vivent, qui y travaillent et qui y paient leurs impôts en sont chassés, car la spéculation a évidemment contaminé le marché de la location qui s’est envolé de plus de 65% en 10 ans à Barcelone. Dans ces villes, le coût moyen de location d’une chambre atteint 520 euros par mois pour des espaces de 8 à 14 mètres carrés, en augmentation de 12% sur la seule année 2024 et de 43 % au cours des trois dernières années.
Cette problématique n’est bien-sûr pas limitée à un pays comme l’Espagne car de nombreuses autres nations, y compris européennes, pâtissent de ces prédateurs immobiliers exerçant d’intolérables nuisances aux résidents. Chaque pays réagit à sa manière, mais deux exemples sont particulièrement intéressants car ayant réussi avec succès à endiguer la spéculation immobilière.
Souvent citée en exemple pour sa gestion rigoureuse, Singapour a graduellement mis en place une majoration de la taxation sur les transactions immobilières de 10 % en 2011 sur les achats immobiliers effectués par des étrangers, remontée à 15 % en 2018, puis à 20 % en 2023. Quant aux étrangers non-résidents, ils doivent s’acquitter de frais d’enregistrement de 60 % sur la valeur de la propriété convoitée.
Un autre cas pertinent de contrôle de l’investissement immobilier étranger est la Suisse qui, contrairement aux majoration de taxes adoptées par d’autres pays, restreint pour sa part très strictement l’accès même à la propriété. La “Lex Koller”, adoptée en 1983, empêche littéralement les étrangers non-résidents d’acheter des biens immobiliers dans le pays, sauf rares exceptions. Interdiction générale pour les non-résidents d’acheter un bien immobilier, sauf en cas d’héritage ou d’intérêt économique particulier. Quota annuel par canton pour les acquisitions par des étrangers résidents. Revente bloquée pendant plusieurs années pour éviter la spéculation. Enfin, définition de zones touristiques définies et en nombre limité où les étrangers non résidents peuvent se porter acquéreurs. Au final, seules 1,5 % des acquisitions de logements en Suisse furent réalisées par des étrangers en 2024.
Ces nouvelles mesures espagnoles ont donc pour but d’envoyer un signal clair aux investisseurs étrangers, car les autorités tentent ainsi de reprendre le contrôle sur leur marché immobilier et d’accorder la priorité aux besoins de leurs citoyens. Vous me pardonnerez d’invoquer une fois de plus Keynes qui avait beaucoup glosé sur ce phénomène de «pauvreté au milieu d’abondance», quand il n’est plus possible de se loger alors même qu’il y a un trop plein d’habitations.
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Un peu tard !
À en croire l’Université CEU San Pablo, “de 1978 à 2023, le taux du chômage moyen des Espagnol(e)s s’est établi à 17% et, par rapport au revenu moyen disponible, acheter une maison était déjà devenu beaucoup plus coûteux qu’il y a 45 à 50 ans. Par ailleurs, “au milieu des années 70, en moyenne, les Espagnol(e)s payaient entre impôts directs et indirects de toutes sortes, y compris les cotisations à la Sécurité sociale, environ 20 % de ce qu’ils gagnaient. Maintenant, ils finissent par payer en moyenne entre 40 % et 45 %”. Si, effectivement, l’éclatement de la crise financière (subprime) débarquée des États-Unis le 15 septembre 2008 (faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers) a percé la bulle immobilière espagnole (1996 – 2007) – dans les prémisses de la crise de l’Euro (2009-2012) – mettant au grand jour des pratiques atypiques exercées durant des décennies, où de grandes fortunes ont été faites par des promoteurs immobiliers qui ont acheté des terrains non constructibles bon marché dans des zones urbaines, mais ultérieurement requalifiés par la municipalité de l’époque comme aptes à la construction de logements ou à d’autres usages. Par effet de manche, une augmentation du prix du logement que la requalification sélective du terrain a entraînée pour l’acheteur (spéculation endémique cautionnée par le politique et les banques).
2013 (…) Les relations incestueuses entre le vulture-funds Blackstone et la sphère politique en Espagne:
https://www.cadtm.org/Blackstone-fonds-vautour
Que ne ferait pas un homo-politicus pour gagner quelques points de PIB (ai-je dis quitte à vendre son âme au diable ou spolier ses administrés?) alors que “la nature du PIB est désormais obsolète” – pour paraphraser l’économiste Joseph Stiglitz – “car ce thermomètre reste imparfait eu égard aux nombreux agrégats déjà pervertis par l’idéologie dominante”. Durant le WEF de Davos, en janvier 2016, la fronde de Joseph Stiglitz résonnait déjà en prônant que les instruments de mesure de l’activité économique doivent urgemment évoluer ! Pour ce qui a trait à l’économiste, Paul Krugman, il publiera une critique éloquente du PIB dans une tribune: “Le Viagra et la richesse nationale symbolise la problématique ambiguë d’un produit, le Viagra, qui donne du bonheur aux utilisateurs/consommateurs alors que sa présence dans les statistiques de production est quasiment absente”.
Quant à la notion du PNB (Produit national brut), nos sociétés modernes et développées feraient mieux de s’inspirer du Bouthan, avec son BNB (Bonheur national brut), puisque cet indice sert à mesurer le bonheur et le bien-être de la population du pays et il demeure inscrit dans la constitution promulguée le 18 juillet 2008 ; il se veut ainsi une définition (moderne) du niveau de vie en des termes plus globaux que le PNB. Un peu tard à présent (le mal est fait) pour que l’homo-politicus espagnol se rachète une conduite, alors que ce pays voit sa population vieillissante et une baisse des natalités: paupérisation oblige.
Comme le montre l’infographie ci-après, la part des personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale varie assez nettement d’un pays à l’autre de l’UE. En 2023, les pays de l’UE qui comptaient les plus larges pourcentages étaient la Roumanie (32 %), la Bulgarie (30 %), l’ESPAGNE (26,5 %) et la Grèce (26,1 %).
https://cdn.statcdn.com/Infographic/images/normal/17748.jpeg
Selon une étude du “Statista Research Department” – conjointement au FMI – au cours des trente dernières années, le niveau de la dette des ménages rapporté au PIB a considérablement augmenté dans les pays développés. Toutefois, l’on aurait pu s’attendre qu’en Suisse – pays riche par excellence; néanmoins havre fiscal des “UHNWI” étrangers – le taux d’endettement des ménages domestiques soit resté faible grâce à la force des salaires, puis d’un niveau de vie non négligeable permettant de s’affranchir de lourds endettements, or ce niveau d’endettement coiffait le podium mondial en 2022 (128% du PIB helvétique), tandis que l’Espagne et l’Italie – deux pays aux classes moyennes déjà lessivées et paupérisées – il fermait la marche avec 50% pour l’un et 40% pour l’autre.
Alors, face au “système économique de connivence” qui gangrène l’Occident (l’Europe n’échappant à la règle) devons-nous être surpris (encore?) de savoir que les grandes entreprises (y.c les banques) prospèrent non pas grâce à la libre entreprise, mais plutôt avec l’argent soustrait à l”‘économie réelle” par une collaboration étroite entre une classe d’affaires et la classe politique.
Une ère où le “capitalisme ne cesse d’avoir recours à l’État”, tel sera le constat accablant de l’historien Howard Zinn.