
Le testament d’un économiste désabusé
Ceci est mon testament. Economique. Voilà douze ans que j’analyse la crise. En réalité, je disserte depuis une trentaine d’années sur l’économie et la finance. C’est néanmoins depuis 2007 que je tente inlassablement au fil de mes livres et de mes articles de dénoncer ce qu’il est convenu d’appeler le néolibéralisme, et qui n’est en fait qu’un amalgame d’égoïsmes, de mauvaises règlementations, de négligences au plus haut niveau, d’appétits dévorants… Le déclencheur de ces analyses et de mes écrits fut un voyage aux Etats-Unis au tout début de l’année 2007 et la constatation d’une crise virulente qualifiée de «subprimes» qui infectait de proche en proche des pans entiers de l’économie, toutes régions confondues. Le vrai déclencheur fut mon retour en France, dans ce pays qui baignait encore (comme le reste de l’Europe) dans une naïveté confondante, ignorant le drame qui se jouait Outre-Atlantique ou (pour ceux qui en étaient vaguement conscients) imaginant que la crise resterait «là-bas». Pitoyable époque où un Nicolas Sarkozy fraîchement élu Président déclarait qu’il irait «chercher la croissance avec les dents» alors qu’il aurait dû déployer toutes les énergies et mobiliser sans tarder toutes les ressources dès le printemps 2007 pour atténuer les effets du cyclone qui ne manquerait pas de s’abattre sur l’Europe.
Tout était donc écrit, prévisible, comme le cataclysme européen quelques années plus tard, certes initié par l’étincelle subprimes, mais qui était inévitable au vu de ce que j’ai appelé le «péché originel» d’un euro fondé sur des bases exclusivement mercantiles. Mais, vous le savez bien lecteur, ces aberrations ne sont toujours pas dépassées, ni corrigées, par nos illustres penseurs de la science économique, encore moins par les élus qui nous dirigent et dont la formation et l’éducation en cette matière laissent craindre le pire pour l’avenir de nos grands équilibres macroéconomiques, et donc politiques. Nos pays, comme nous le peuple, ne pourrons plus encaisser les conséquences d’une nouvelle crise qui sera – à n‘en pas douter – d’une violence inouïe et qui achèvera cette fois-ci bel et bien le capitalisme ayant failli chavirer il ya peu. J’étais là, je fus un témoin privilégié de la crise de 1987 (crack bouriser), de celle de 1997 (crise asiatique), de celle de 2001 (liquéfactions technologique et boursière), de celle de 2007 (subprimes), de celle de 2008 (crise du crédit), de celle de 2010 (démarrage de la crise européenne des dettes souveraines)…
Il est donc temps de réagir, de s’informer, d’apprendre, car les instruments sont là : il suffit de se pencher pour les utiliser. Non pour casser le néolibéralisme, ni forcément pour résorber les inégalités, qui ne sont l’un comme l’autre que les reflets de l’incurie de nos responsables, mais pour laisser à nos enfants un avenir meilleur et pour que l’on puisse enfin vivre sereinement de notre travail. Ceci est donc mon testament car je ne souhaite pas être présent pour ce qui sera l’épisode final. Et car j’ai trop le sentiment – non de prêcher dans le désert car je ne prétend aucunement détenir la science infuse – mais j’ai la quasi certitude de l’absence totale de motivation d’une immense majorité d’entre vous de bouger ne serait-ce que d’un iota de ce qu’ils croient être une formule qui marche, qui a certes parfois des ratés mais qui, pour solde, remplit sa part du marché. Un testament est par nature un don: vous en ferez ce que vous voudrez, lecteur, mais vous ne direz pas que l’on ne vous a pas prévenu.
Bien que je n’ai jamais cru au capitalisme, ni à aucun «marché» que celui-ci ait jamais proposé, je lis avec intérêt vos billets qui m’aident beaucoup à mieux comprendre ce qui «fait» cette économie post-moderne. Ce billet laisse penser que vous pourriez abandonner certaines activités mais j’ose espérer que vous continuerez à être actif d’une manière ou d’une autre dans la vulgarisation et/ou l’analyse : je serais très triste de ne plus bénéficier de vos lumières.
Merci Sam: je suis touché par votre mot.
Le titre de mon dernier article est en fait celui d’un livre à paraître prochainement, écrit en collaboration avec Raymond qui intervient régulièrement sur cette plateforme depuis plusieurs années.
Si Dieu me prête vie, je ne suis pas prêt de disparaître des radars.
À la bonne heure ! Je suis soulagé 🙂
Je me joins à Sam et à vous pour vous dire que vous êtes assuré de vivre longtemps encore. Parce que ce que vous faîtes ici, vous apportez une pensée sincère d’un esprit en vous qui vous veut du bien et aux autres. Parce que les êtres qui veulent le bien sont des êtres élus, et vous le donnez à le penser.
Ceci étant, cela ne signifie pas que vous avez raison dans ce que vous dîtes. Cela seulement vous paraît juste. Et je crois l’erreur de vos appréciations est de vous appuyer sur des concepts, comme le néolibéralisme, et celui-ci dit tout et rien en somme.
On masque une guerre économique qui se joue en permanence depuis les années 1960 et 1970, avec les crises monétaires et pétrolières. Et le néolibéralisme n’est en fait qu’une arme d’attaque et de riposte pour les élites occidentales, et menée à juste raison. Voilà la réalité nue et les crises qui ont suvenu tant en 1987 qui était interne, ou les crises de 1997-1998 qui étaient externe et permise précisément par l’arme néo-libérale dont les ressorts sont calculés et concertés, contrairement aux deux crises suivantes de 2001-2002 avec les krachs boursiers en cascades et 2007-2008 aussi interne à l’Occident. Et tant en interne et externe, la liquéfaction boursière et financière était inévitable car connecté sur du le vent de la finance, mais un vent financier nécessaire puisqu’il a permis un temps la croissance.
Et quand vous dîtes “qui ne sont l’un comme l’autre que les reflets de l’incurie de nos responsables, mais pour laisser à nos enfants un avenir meilleur et pour que l’on puisse enfin vivre sereinement de notre travail.”, bien au contraire, ces responsables se démènent comme des diables pour maintenir la bateau-Occident à flot. Et ils réussissent, et croyez-moi, ce n’est pas facile.
Et je pense qu’ils le font comme vous vous le pensez, “pour laisser à nos enfants un avenir meilleur.”
“Par contre pour vivre sereinement de notre travail”, cela reste un effort de tous les jours pour tous, en particulier pour ceux qui décident en haut. Et croyez-moi, les cartes comme elles sont distribuées aujourd’hui ne laissent qu’une petite fenêtre pour assurer plus de sécurité, plus de revenus, plus d’emplois. Si vous voulez, le monde est à l’étroit, il devient plus difficile. Et c’est la raison pour laquelle vous pensez qu’il y a incurie, un système désorganisée. Alors que c’est le contraire.
J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je ne suis pas d’accord avec vous. Tout ce que je peux vous dire, est que je vous comprends. Vous voulez plus d’organisation, alors qu’il y a une guerre économique invisible, silencieuse, et se joue dans les fondations même de l”économie mondiale.
Merci d’avoir pris le temps de m’écrire. Bien au-delà de la crise économique mondiale dont vous parlez, nous traversons en fait une crise civilisationnelle et c’est le coeur du logiciel lui-même (certains diraient le paradigme) qui est en plein changement. Alors, oui, je suis moi même un peu “paumé” comme tout le monde et ai aussi mes moments d’abattement… Comme je l’écrivais à Raymond il y a quelques jours, je suis démoralisé.
Bonjour Monsieur Santi,
Je vous lis régulièrement et je suis très sensible à vos analyses mais permettez moi de m’élever contre un passage de cette dernière publication. Vous écrivez ”Et car j’ai trop le sentiment – non de prêcher dans le désert car je ne prétend aucunement détenir la science infuse – mais j’ai la quasi certitude de l’absence totale de motivation d’une immense majorité d’entre vous de bouger ne serait-ce que d’un iota de ce qu’ils croient être une formule qui marche, qui a certes parfois des ratés mais qui, pour solde, remplit sa part du marché.”
Pourquoi ces reproches alors que nous vivons une période sociale tourmentée ? Dois-je vous rappeler le mouvement des gilets jaunes, les grèves contre la réforme des retraites ? Y étiez-vous ? Vous êtes vous bougé pour faire évoluer le système vers plus de justice ?
Alors que le gouvernement a répondu à coups de LBD causant des blessures gravissimes, que reste t’il à la population pour pacifiquement faire évoluer cette société et lui éviter la barbarie promise par le néolibéralisme ?
La réforme des retraites rejetée – dans les sondages – par une majorité de français fut combattue dans la rue par, au début 800.000 personnes le 05 Décembre 2019 alors qu’elle concerne tout le monde. Certaines catégories sociales se sont sacrifiées allant jusqu’à perdre quasiment 2 mois de salaires.
Oui, Monsieur Santi, il faut se bouger. La grève par procuration n’existe pas.
Que proposez-vous ?
Hélas, je n’ai à proposer que ce qui transparaît et suite à travers mes écrits. Je ne suis qu’un intellectuel par nature rebuté par manifester. Vous qualifierez mon attitude de snob et n’auriez pas tort. L’autre alternative étant que je sois à quelques niveaux de pouvoir car – dans cette hypothèse – ma seule et unique ligne de conduite serait de dire toujours et en toutes circonstances la vérité.
La crise, un mot qu’on entend à répétition depuis les années 1970 et la ” fameuse crise pétrolière “. Née en 1963 je n’ai entendu que ça durant toute ma vie professionnelle . Il me semble incompatible de dire que nous ayons vécu autre chose qu’une succession de crises différentes provoquées par des gens avides de pouvoir et d’argent, sans foi ni loi qui vendraient leur âme, mais surtout les nôtres pour toujours plus.
Il est temps de casser ce moule infernal qui chauffe de plus en plus et qui rétrécit à vue d’œil comme les calottes glaciaires, la faune et la flore … car ces gens nous amènent tout droit vers une extinction rapide et certaine.
Non, ce n’est pas possible, nous n’allons pas droit à une extinction rapide et certaine pour la simple raison que nous ne le savons ni ne pouvons le savoir. Précisément « cette succession de crises différentes provoquées par des gens avides de pouvoir et d’argent, sans foi ni loi qui vendraient leur âme, mais surtout les nôtres pour toujours plus. » constitue précisément le « moteur de l’histoire » ?
Pensez-vous que ces gens sont intérieurement heureux en eux-mêmes ? Ils ne se savent pas, ils ne se connaissent pas, mais vous les connaissez. Et ce que vous avez-vous intérieurement, eux ne l’ont pas.
D’autre part, la fameuse crise pétrolière a sauvé le monde. S’il n’y avait pas la crise pétrolière dans les années 1970, l’Occident se serait planté dans une guerre interminable de crises monétaires et économiques. Les États-Unis auraient perdu leur statut de « locomotive mondiale ». Et qui va les remplacer personne. On serait retourné à une crise économique de 1929-bis.
La réponse est donc « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. » L’humanité n’a pas d’issue, sinon d’être ce qu’elle est et faire ce qu’elle peut faire.
“La réponse est donc « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. »” LOL
On ne peut avoir de discussion sérieuse avec un économiste que si l’on admet l’axiome indiscutable d’un PIB croissant. Toute autre hypothèse rend le dialogue impossible. Même chose en ce qui concerne l’énergie: elle est inépuisable, et l’on ne doit que décrire son prix pour comprendre les crises. Evoquer un stock d’énergie ou de matières premières “gratuites” qui s’épuisent, c’est faire preuve d’amateurisme, et cela ne peut que vous disqualifier aux yeux des spécialistes qui savent et qui conseillent nos dirigeant éclairés. Le peuple peut descendre dans les rues pour contester le pouvoir, ou protester depuis son balcon depuis qu’il est confiné, cela ne changera rien: on pourra toujours exercer sur lui la pression du chômage pour lui faire comprendre qu’il n’est qu’un sans-dent ou un “corvéable à souhait” …… et tout cela jusqu’au jour où il n’y aura plus une goutte de pétrole “rentable à extraire”, plus de métaux rares indispensables pour faire marcher l’économie, et faire penser nos penseurs économistes, … qu’il faudra reconvertir en agriculteurs. Plus de transport non plus pour nourrir les villes , … que l’on devra déconstruire. Ce jour, on pourra conseiller à nos économistes de regarder et écouter les vidéos de Jean-Marc Jancovici qui avait su prévoir le monde de l’énergie et des matières premières du futur en considérant qu’elles n’étaient pas gratuires, et qu’un jour la nature prendrait sa revanche contre des économistes prétentieux, et donc incompétents.