
L’Euro et les dinosaures
Un banquier central est-il un lanceur d’alerte ? Toujours est-il que Mario Draghi, Président de la BCE jusqu’à la fin de ce mois, est sous le feu d’attaques publiques sans précédent de la part d’anciens collègues éminents qui l’accusent de mener une politique monétaire avec un «diagnostic erroné». Ce collectif d’Ancien Régime de banquiers centraux qui lynchent Draghi sur la place publique s’avère hélas dépassé par le paradigme nouveau, n’a rien appris de la crise des années 2010 ayant failli emporter l’Euro, et reste persuadé que c’est la politique monétaire actuelle de la BCE qui a endommagé le secteur bancaire allemand qui se trouve être malade structurellement depuis plusieurs décennies.
Une analyse sommaire démontrerait pourtant que la politique monétaire de la BCE a eu tendance, ces dernières années, à être plus restrictive que laxiste, au vu des déboires de nombre de nations européennes, comme eu égard à la situation économique chancelante de l’Allemagne aujourd’hui. Ces Messieurs (dont Helmut Schlesinger ancien Président de la Bundesbank et Otmar Issing ancien membre du Comité Exécutif de la BCE) prompts à la critique, n’hésitant pas à croiser le fer par voie de presse interposée avec Mario Draghi, ignorent-ils que le niveau actuel des taux d’intérêt est un phénomène mondial ? A moins qu’ils ne partent du principe que c’est eux qui ont raison contre le reste du monde ?
C’est leur dogmatisme – et non la politique monétaire de Draghi – qui déstabilise l’Euro, dans la droite ligne de Wolfgang Schäuble, alors Ministre des Finances allemand, qui accusait publiquement Draghi d’avoir – par sa politique des taux bas – contribué à la victoire du parti d’extrême-droite (AFD) aux élections… Cette vieille garde – ayant trouvé en Draghi un bouc émissaire idéal – est à la vérité dépassée, consciente que son influence est évanescente, tant et si bien qu’elle en vient à se lamenter que «l’argent ne vaut plus rien», pour reprendre l’exclamation d’Oswald Gruebel, ancien grand patron du Crédit Suisse. Elle s’accroche à un Traité de Maastricht signé en 1992, reflet d’une époque désormais révolue où les défis économiques étaient d’une tout autre nature que ceux auxquels notre monde est aujourd’hui confronté, symbole d’une période où le mandat restreint d’une banque centrale axé sur la seule surveillance de l’inflation suffisait à assurer la stabilité macroéconomique.
Le changement de paradigme exige aujourd’hui d’une banque centrale comme la BCE qu’elle prenne à bras le corps les problématiques actuelles de liquidités comme de solvabilité des intervenants. A la décharge de ces banquiers centraux déchaînés contre Mario Draghi, l’inversion des rôles entre la banque centrale et les gouvernements est un fait n’ayant aucun précédent historique.
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Michel
Comme l’Allemagne fait toujours partie de l’Euroland en octobre 2019, force est de constater que le taux de stupidité est encore plus contagieux.
Mars 2016 : « C’est la vision myope et l’attitude dogmatique (pour ne pas écrire stupide) des politiciens et des économistes orthodoxes allemands qui, en l’état, entretient la spirale perverse de la crise dans laquelle se trouve l’Euroland. L’intransigeance allemande qui freine – voire empêche – toute augmentation des dépenses publiques, surtout en Allemagne (où les besoins d’investissements publics sont de plus en plus évidents), oblige la Banque centrale européenne (BCE) à faire de plus en plus appel à la «pompe à liquidité» sans aucune possibilité réelle de faire sortir la zone euro de sa propre crise.
Il est illusoire, en réalité, de (faire) croire que l’augmentation de 60 à 80 milliards d’euros d’obligations privées ou publiques que la BCE achète sur le marché secondaire, ainsi que la réduction supplémentaire (dans le domaine des grandeurs négatives) du taux d’intérêt que les banques doivent payer à la BCE pour y déposer leur liquidité puissent permettre à l’Euroland une sortie de crise à long terme. La zone euro se trouve à présent dans une «trappe à liquidité» dont les sorties de secours sont, visiblement, verrouillées par l’idéologie néolibérale, malgré l’«évidence empirique» de la faillite des politiques d’austérité néolibérales à travers cette zone.
L’analyse économique a montré que les personnes stupides se font du mal toutes seules, tout en en faisant aussi aux autres, au détriment de l’ensemble de la société. En l’occurrence, l’intransigeance allemande à l’égard des politiques keynésiennes de relance économique, associant une augmentation des investissements publics à l’expansion monétaire de la banque centrale, porte atteinte aux banques allemandes (au-delà des entreprises du même pays). Les rendements négatifs des bons du Trésor allemand réduisent en effet de manière considérable les profits des banques allemandes dont un nombre non-négligeable a aussi des créances douteuses problématiques pour la solidité de leurs bilans. Ne pouvant pas transférer à leurs déposants la charge qui pèse sur elles découlant des taux d’intérêt négatifs de la BCE, ces banques pèsent à bien des égards sur l’économie allemande dont les exportations nettes (qui représentent désormais 8 pour cent du produit intérieur brut de ce pays) ne pourront aucunement pallier les problèmes découlant du fort recul de la demande intérieure suite à la stagnation (voire à la baisse) des salaires de la classe moyenne allemande.
En plus d’endommager sérieusement sa propre économie nationale, l’ordolibéralisme allemand nuit gravement à l’ensemble des pays de l’Euroland qui doivent urgemment trouver une issue aux résultats de plus en plus dramatiques des politiques d’austérité – qui leur ont été imposées par la «Troïka» des créanciers internationaux chapeautés par l’Allemagne.
Il faut donc que l’Allemagne quitte la zone euro pour le bien commun, réduisant ipso facto le taux de stupidité au sein de l’Euroland » dixit S. Rossi, professeur ordinaire à l’Université de Fribourg. Il y dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.