Pour sauver le système financier ? Cassons les banques !

février 14, 2013 0 Par Michel Santi

Soucieux de transparence, préoccupé d’éviter les prises de risques excessives et de protéger les épargnants, le régulateur peut échouer sous le poids de lois trop complexes. Emblématique à cet effet est la loi dite « Dodd-Frank », promulguée en 2010 aux États-Unis, dont l’objectif – louable entre tous – était d’empêcher les abus des comportements de la finance et de permettre aux autorités de saisir – voire de démanteler – les établissements à taille de mastodonte, les « too big to fail ». Pourtant, comment agir de manière rapide et optimale dans un contexte où ce texte de loi fait 850 pages, soit plus de vingt fois la célèbre loi « Glass-Steagall » adoptée au lendemain de 1929 ? À elles seules, les règles (de cette loi Dodd-Frank) censées encadrer les opérations à risques entreprises pour les fonds propres des banques – les fameuses « Volcker rules » – comprennent 382 questions et 1420 sous-questions ! Certaines explications ou clarifications de cette loi concernant des points techniques s’étalent en outre sur des centaines de pages. Si bien que pas même le régulateur ne saurait prétendre avoir lu cette loi en entier… ou l’avoir comprise !

Du reste, un tiers seulement de cette législation est aujourd’hui en vigueur car, de l’aveu même de Sheila Blair, ancienne patronne de la FDIC (le régulateur américain), cette réforme « se noie dans un océan de complexité » ! Des statistiques publiées par un groupe de réflexion, la « Sunlight Foundation », ont révélé un nombre aberrant de réunions de concertation à propos de cette réforme entre les organismes de régulation américains et les établissements financiers les plus importants. C’est ainsi que 181 rencontres ont été organisées en deux ans avec Goldman Sachs, 175 avec JP Morgan Chase et 150 avec Morgan Stanley, au cours desquelles ces banques ont tenté par tous les moyens d’infléchir et d’assouplir la fameuse loi Dodd-Frank dans le but évident de la vider de l’essentiel de sa substance. Exemple parmi d’autres, la « Dodd-Frank » fait partie d’un processus de réglementations toujours plus tortueuses dont la caractéristique principale est cependant de créer des vides et des blancs exploités par ceux qui s’ingénient à transgresser ces lois en toute impunité.

Le contexte comme les produits financiers sont certes de plus en plus sophistiqués. Pour autant, le régulateur et le législateur ne devraient pas tomber dans le piège de la complexité que leur tend précisément le monde de la finance. Ils devraient au contraire lutter à l’aide de réglementations simples, sans équivoque, ayant constamment pour priorités la protection de leur tissu économique et la préservation des intérêts du contribuable. Du reste, la scission des activités bancaires entre les établissements à vocation commerciale et de détail – dont les dépôts sont couverts par la garantie de l’Etat – et les banques qui se lancent dans les investissements et dans la spéculation s’avère à cet égard indispensable.

Les « Volcker rules » étaient certes censés y remédier, encore qu’il soit pour le moins complexe d’être en mesure d’interpréter et d’appliquer un texte de loi qui fait 298 pages ! En comparaison avec la simplicité de la défunte loi Glass-Steagall de 1933, abrogée en 1999, et qui ne comptait que 37 pages… Comment le législateur espère-t-il effectuer une distinction sans nulle équivoque entre les banques qui investissent pour leur compte propre d’une part et celles qui ne font qu’exécuter une instruction de leur client d’autre part ? La ligne de démarcation effective entre ces deux types d’opérations restant affaire d’interprétation, d’intention, sachant qu’un établissement, ou un trader, peut rapidement jongler – voire tricher- en passant de l’une à l’autre selon son intérêt, voire son humeur ? Le scandale du Libor n’a-t-il effectivement pas révélé que les traders de l’UBS à Londres se lançaient des défis à qui manipulerait le plus ce taux ?

C’est donc exclusivement – presque mécaniquement -, à la faveur de l’abrogation de la Glass-Steagall, que le volume des transactions de gré à gré a connu une ascension vertigineuse. Ces opérations «over-the-counter», opaques et nullement réglementées, n’ont ainsi pu prospérer que sur la tombe de cette loi dont l’interprétation ne souffrait nulle équivoque et qui avait autorisé de remettre de l’ordre dans les affaires troubles de la Grande Dépression. Comme la Glass-Steagall privait les banques d’investissement de dépôts bancaires – et donc d’un financement à prix modique –, son effet collatéral fut naturellement de limiter l’ampleur de leurs mises, et donc de leurs risques. Tout en multipliant et en diversifiant le nombre des intervenants aux marchés financiers, rendus ainsi plus liquides. Tandis que l’abrogation de la loi Glass-Steagall devait autoriser la montée en puissance des banques d’investissement qui purent dès lors développer une myriade de nouveaux instruments financiers amenés à être traités de gré à gré, donc hors de contrôle de tout organisme de régulation.

Cette séparation entre banques à vocation commerciale et banques d’investissements permettra donc aux marchés financiers de gagner en résilience, dans l’espoir que la prochaine conflagration ne soit pas aussi dramatique que celle des années 2007 et 2008. Tout en restreignant considérablement le pouvoir des banques qui auront forcément des objectifs et des priorités différents, voire divergents. Il est donc vital aujourd’hui, dans l’intérêt de l’économie réelle mais également pour sauver le secteur financier lui-même, de procéder sans tarder à limiter le pouvoir des banques.

Chers lecteurs,

Voilà plus de 15 ans que je tiens ce blog avec assiduité et passion.
Vous avez apprécié au fil des années mes analyses et mes prises de position souvent avant-gardistes, parfois provocatrices, toujours sincères.
Nous formons une communauté qui a souvent eu raison trop tôt, qui peut néanmoins se targuer d'avoir souvent eu raison tout court.
Comme vous le savez, ce travail a - et continuera - de rester bénévole, accessible à toutes et à tous.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient me faire un don, ponctuel ou récurrent, je mets néanmoins à disposition cette plateforme de paiement.
J'apprécierais énormément vos contributions pécuniaires et je tiens à remercier d'ores et déjà et de tout cœur toutes celles et tous ceux qui se décideront à franchir le pas de me faire une donation que j'aime à qualifier d'«intellectuelle».

Bien sincèrement,

Michel