Ayez peur!

avril 1, 2010 0 Par Michel Santi

La reprise économique sera-t-elle rapide et forte – en V -, plutôt molle – en U – ou aura-t-on droit à un L caractérisé par une stagnation durable? C’est en tout cas à travers ce prisme alphabétique que les économistes scrutent la conjoncture économique depuis que les menaces d’effondrement apocalyptique se sont progressivement estompées. Pourtant, et même si le spectre d’une dépression semble aujourd’hui s’éloigner plus de deux ans après le déclenchement de la crise la plus grave depuis 1929, un retour complaisant aux bonnes vieilles recettes du passé semble inconcevable car une remise en question de nos modèles s’avère impérative.

De fait, depuis les années 80, notre monde s’est systématiquement relevé plus péniblement de chaque récession: en un sens, il ne s’est jamais vraiment tiré de la crise de 2001 car les revenus des ménages ont stagné tout au long de la décennie précédente, les statistiques de l’emploi dans un pays comme les Etats-Unis n’ayant par ailleurs plus jamais retrouvé leur niveau précédant l’implosion de la bulle des valeurs technologiques… De même, le retour récent et fragile – de la croissance pour la première fois depuis le milieu de l’année 2008 ne dissipera pas le traumatisme de crises financières à répétition imprimant sur le tissu social un profond malaise, reflet d’un marché du travail en peau de chagrin.

En dépit des stimuli massifs mis en place (particulièrement aux USA), les établissements bancaires Américains – dont 140 ont fait faillite en 2009! – prêtent ainsi nettement moins aux PME de leur pays qui, en conséquence, ont dà» procéder à la moitié des licenciements de l’histoire de cette crise. En réalité, la stabilisation économique actuelle n’est qu’un effet mécanique et mathématique des colossales liquidités injectées, les services spécialisés du Congrès Américain ayant estimé que la croissance serait inférieure de l’ordre de 1.2 à 3.2% (selon les trimestres) sans ces mesures d’urgence… Le salut n’est pas plus à prévoir de la part d’un secteur des exportations (Américain ou Européen) sévèrement battu en brèche par la concurrence dynamique de nations peu touchées par les tourmentes financières comme le Brésil, l’Inde ou la Chine. La consommation US n’étant plus amenée à jouer son rôle d’entraà®nement légendaire car les ménages US massivement endettés ont été durablement sinistrés par l’effondrement de leur marché immobilier…

En fait, nos économies, qui ont mangé leur pain blanc du fait de stimuli déjà dépensés, sont aujourd’hui confrontées à un chômage (10% aux Etats-Unis, 20% en Espagne) qui agira à la manière d’un marqueur générationnel. Avec plus de 20 millions de demandeurs d’emplois officiellement recensés, l’économie US devrait créer au minimum 600’000 emplois tous les mois pendant près de trois ans en tenant compte des nouveaux arrivants sur le marché – rythme deux fois supérieur aux créations d’emplois durant la période faste du milieu des années 90 si elle souhaite renouer avec le taux de chômage de 5% préalable à la crise des subprimes! En 2009 et pour la première fois depuis 1948, la durée moyenne du chômage dépassait en effet les six mois aux USA tandis que le taux des salariés sous employés atteignait à l’automne dernier un palier similaire (17.4%) à celui de la Grande Dépression, que le chômage des jeunes affichait un chiffre effroyable (27% aux Etats-Unis, 40% en Espagne) alors que 44% des familles Américaines accusaient le coup d’une diminution de leurs revenus…

Croissance molle doublée d’un marché du travail anémique et d’un profond stress social seront donc au menu des années à venir, résultante logique de la myopie de nos responsables privés – mais aussi publics – et de leur obstination à privilégier les bénéfices à court terme à la création de valeur sur le long terme. Que de talents gâchés et d’opportunités ratées en inginérie financière, en arbitrages et trading spéculatif et autres produits financiers sophistiqués dans un environnement o๠même les Etats ont usé de subterfuges pour cacher leurs dettes! La Grèce, tout comme certains Etats ou municipalités US, ne se sont-ils pas effectivement – avec la complicité du monde de la Finance – mis dans une position intenable consistant à privilégier leurs besoins budgétaires sur le court terme à l’assainissement de leur position financière sur le long terme? L’avantage politique immédiat n’a-t-il pas ainsi été systématiquement préféré aux sacrifices dans l’intérêt supérieur des nations? Cette obsession de la facilité court termiste n’a-t-elle pas conduit entreprises (et certains Gouvernements) à manipuler leurs chiffres afin de gagner du temps en attendant le miracle qui règlerait leurs problèmes?

Le capitalisme et sa merveilleuse mécanique Darwinienne ont donc été dévoyés au bénéfice d’une élite n’ayant jamais dà» payer le prix de ses mauvais choix stratégiques. Ce faisant, la politique s’est mise au service de cette maldonne économique en choisissant les heureux bénéficiaires des mesures de sauvetage: Pourquoi renflouer les Banques au lieu des déposants épargnants et pourquoi sauver la mise d’établissements porteurs de titres subprimes au lieu de secourir directement le titulaire ultime du prêt hypothécaire?

Ce système consistant à masquer hors bilan, quand ce n’est pas à escamoter purement et simplement, pertes et déficits et à présenter comme AAA des instruments hautement spéculatifs ne doit en effet rien au hasard: il est tout simplement le reflet d’une redistribution de richesses en faveur de ceux qui ont la bonne idée de spéculer précocement alors que la bulle est en cours de formation et de ceux qui ont le talent de créer illusions et fictions comptables.

Comment briser ce cercle?

Chers lecteurs,

Voilà plus de 15 ans que je tiens ce blog avec assiduité et passion.
Vous avez apprécié au fil des années mes analyses et mes prises de position souvent avant-gardistes, parfois provocatrices, toujours sincères.
Nous formons une communauté qui a souvent eu raison trop tôt, qui peut néanmoins se targuer d'avoir souvent eu raison tout court.
Comme vous le savez, ce travail a - et continuera - de rester bénévole, accessible à toutes et à tous.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient me faire un don, ponctuel ou récurrent, je mets néanmoins à disposition cette plateforme de paiement.
J'apprécierais énormément vos contributions pécuniaires et je tiens à remercier d'ores et déjà et de tout cœur toutes celles et tous ceux qui se décideront à franchir le pas de me faire une donation que j'aime à qualifier d'«intellectuelle».

Bien sincèrement,

Michel