Notre décennie perdue

octobre 7, 2011 0 Par Michel Santi

Les injections massives de liquidités, notamment pratiquées par les Etats-Unis dès l’automne 2008, ont-elles réellement permis d’éviter un remake de la Grande Dépression ? De fait, les taux d’intérêts proches du zéro pratiqués au sein de toutes les économies développées, l’accélération des dépenses publiques entièrement basées sur l’activation de la planche à billets et – d’une manière générale – les pratiques fort peu orthodoxes mises en place juste après la déconfiture de Lehman n’ont eu quasiment aucune retombée digne ce nom puisque l’économie américaine a tout de même subi une contraction de 8.9% en 2008 et de 12% en y incluant l’année 2009 ! L’intensification des déficits des Etats – qui croyaient naïvement prendre la relève d’entreprises et de privés ayant tous été contraints de commencer à rembourser leurs dettes – a été en réalité un pari tout à la fois inefficace et risqué. Et pour cause puisque ce coup de poker à quelques milliers de milliards de dollars et d’Euros n’eut pour seule conséquence tangible que de gonfler les dettes publiques aujourd’hui parvenues quasiment partout en Occident à des points de non retour.

 

A ce titre, les déboires grecs ne furent – et ne seront ! – que les tous premiers d’une longue série. Prenons en effet conscience que ce petit pays n’est en quelque sorte que le « patient zéro » d’une dramatique épidémie qui essaime au sein de finances publiques qui se trouvaient d’ores et déjà dans une posture délicate préalablement au déclenchement de la crise en 2007. J’irai même plus loin en affirmant que les Etats-Unis comme l’Union Européenne auraient assez facilement pu se tirer de la crise des subprimes si leurs niveaux d’endettements n’étaient pas à des seuils quasiment intolérables en 2007. En outre, la décélération de la croissance au sein de ces nations au cours des 12 à 18 mois ayant précédé la crise fut accueillie par une aggravation supplémentaire des dettes souveraines considérées par nos autorités politiques comme un remède transitoire pour soutenir l’activité économique. Par la suite, le coup de grâce fut l’erreur fatale de diagnostic puisque nos autorités – loin de traiter le mal comme il se devait, c’est-à-dire en tant que crise de solvabilité – portèrent au contraire nos déficits publics vers des sommets vertigineux sans aucun espoir de retour…

 

Dès lors, la crise de la dette souveraine européenne fut prévisible et, à cet égard, c’est le chaînon le plus fragile (la Grèce) qui devait céder en premier, suivi de près par le Portugal et l’Irlande qui pompèrent 400 milliards d’Euros supplémentaires hors des finances d’autres Etats de l’Union d’ores et déjà en situation difficile. Alors que l’Espagne et que l’Italie se retrouveront forcément et tôt ou tard dans la ligne de mire, ces mesures de sauvetage et autres augmentations substantielles indispensables du Fonds de Stabilité Européen affecteront immanquablement la solvabilité de la France et même de l’Allemagne. Du reste, comment éviter ces dépenses pharaoniques et, par delà, cette déchéance annoncée de ces deux nations – fleurons de l’Union – alors même que leurs établissements bancaires sont blessés mortellement par la liquéfaction de l’Europe périphérique ? Les inévitables réductions des dépenses publiques et augmentations des impôts auront à l’évidence un effet pervers sur une croissance déjà en berne avec, à la clé, une perte de contrôle totale des  Gouvernements sur leurs budgets… et une réponse Etatique vraisemblablement faite de tour de vis supplémentaires en matière de fiscalité et d’austérité qui résulteront en une croissance anémique étalée sur de nombreuses années.

 

Comment stimuler une consommation vitale pour nos économies – puisqu’elle constitue 60 à 70% dans la croissance de nos pays développés – dans un contexte de chômage dramatiquement élevé qui atteint près de 20% dans certains pays d’Europe périphérique, 40 à 50% chez leurs jeunes, tandis que le chômage réel dépasse les 15% de la population américaine ? Quel politique ou analyste crédible pourrait-il miser sur un redémarrage de la croissance alors que la Grèce ou le Portugal ont subi une contraction de près de 20% de leurs économies et tant que le marché immobilier US est toujours léthargique ? Préparons-nous donc – à l’instar du Japon – à une décennie perdue qui se traduira par une inévitable dégradation de notre niveau de vie, hélas indispensable pour corriger nos excès des décennies passées. Instabilité sociale et chutes violentes des marchés financiers seront en outre les inévitables lots de consolation, prix à payer pour rectifier le tir de la mauvaise gestion passée. Nulle solution miracle n’est susceptible de redresser nos économies : les orgies d’endettements, de dépenses et de croissance fabriquée de toute pièce ne pourront être digérées que sur le long terme.

Chers lecteurs,

Voilà plus de 15 ans que je tiens ce blog avec assiduité et passion.
Vous avez apprécié au fil des années mes analyses et mes prises de position souvent avant-gardistes, parfois provocatrices, toujours sincères.
Nous formons une communauté qui a souvent eu raison trop tôt, qui peut néanmoins se targuer d'avoir souvent eu raison tout court.
Comme vous le savez, ce travail a - et continuera - de rester bénévole, accessible à toutes et à tous.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient me faire un don, ponctuel ou récurrent, je mets néanmoins à disposition cette plateforme de paiement.
J'apprécierais énormément vos contributions pécuniaires et je tiens à remercier d'ores et déjà et de tout cœur toutes celles et tous ceux qui se décideront à franchir le pas de me faire une donation que j'aime à qualifier d'«intellectuelle».

Bien sincèrement,

Michel