Les Banques Centrales, ultime rempart contre la dépression

novembre 15, 2011 0 Par Michel Santi

Notre monde est truffé de déficits, d’endettements publics et privés. De même est-il buriné par les processus délicats de réductions généralisées (volontaires ou forcées) de ces dettes, plus connus sous l’appellation générique de « deleveraging ». Dans ce monde tourmenté et en déséquilibre permanent, le métier de banquier central – qui devient éprouvant – requiert doigté, finesse et anticipation permanente. En réalité, le pouvoir est passé des Ministères de l’Economie et des Finances paralysés par les priorités absolues accordées aux restrictions budgétaires aux banques centrales, seules capables d’insuffler un quelconque semblant de vie à nos économies à la faveur de leur planche à billets.

 

Pour simplifier, les comités directeurs de nos banques centrales – principalement composés de personnalités issues de l’univers académique – sont profondément marqués par la dépression des années 1930 ainsi que par la décennie perdue au Japon des années 1990. Ces deux épisodes – certainement les plus étudiés et décortiqués de toute l’Histoire économique moderne – fascinent d’autant plus les économistes et les universitaires que leurs mécanismes ne sont toujours pas complètement élucidés. Leur maîtrise s’avère pourtant vitale dans le contexte actuel où les banques centrales doivent impérativement éviter les erreurs lourdes de conséquences de la Grande Dépression et du cas d’école nippon. C’est ainsi qu’en l’absence de clés de compréhension irréfutables, les banques centrales ont compris – au moins de manière intuitive – qu’il était une calamité qu’il fallait absolument éviter, à savoir la déflation. Nul ne sait en effet  comment vaincre la déflation et, à cet égard, nul ne saurait prétendre expliquer avec clarté et sans équivoque le cheminement ayant permis aux Etats-Unis d’en sortir à la fin des années 30. Sachant que le Japon ne peut toujours pas se targuer – aujourd’hui en 2011 – d’avoir surmonté sa déflation… En somme et en dépit de l’armée de mathématiciens à son service, la ligne directrice empirique du banquier central contemporain consiste en premier lieu à tout entreprendre afin que l’économie dont il est responsable ne sombre pas dans la dépression car il ne sait pas comment lutter contre ce fléau !

 

Voilà qui permet de mieux comprendre les réactions très énergiques de la Réserve Fédérale américaine et de la Banque d’Angleterre qui,  dès l’automne 2008, n’ont pas hésité à se lancer à corps perdu dans les « baisses de taux quantitatives », autrement dit dans une intense création monétaire censée éviter le grippage irrémédiable de leurs économies respectives. Comme la banque centrale ne connait pas les remèdes pour combattre la déflation, elle fait ainsi un usage préemptif de toutes les munitions à sa disposition afin d’éviter d’y sombrer. Après tout, c’est bien l’attitude peu déterminée de la Banque du Japon de l’époque qui avait ouvert une voie royale à une déflation insidieuse dont le pays ne s’est toujours pas remis. Le passé étant riche d’au moins un enseignement précieux selon lequel il est crucial pour une banque centrale d’éviter de subir les évènements et qu’il convient au contraire d’adopter une posture agressive se devant en outre d’être affichée publiquement.

 

Pour autant, cette attitude proactive de la banque centrale ne doit pas se solder en des actions précipitées et hautement préjudiciables pour l’économie à l’instar de la hausse prématurée des taux d’intérêts américains au début des années 1930 ayant de fait consacré la Grande Dépression ou comme celle de la Banque du Japon à l’été 2000 ayant favorisé l’avènement d’une récession l’année suivante. Comme la déflation et la dépression représentent le mal absolu en termes de coût social, de chômage comme sur le plan de la dégradation des niveaux de vie et de la perte de valeur généralisée de la quasi-totalité des actifs, une banque centrale moderne et flexible s’abstiendra toujours d’un resserrement précoce de sa politique monétaire. Elle préfèrera toujours en d’autres termes mettre fin tardivement à sa politique des taux d’intérêts très bas plutôt que de réitérer les fautes d’hier. Peu de nations bénéficient effectivement d’une population disciplinée et peu encline à la protestation comme le Japon qui subit une récession depuis près de deux décennies et n’oublions pas que la dernière forte dépression en Occident s’est conclue par une guerre mondiale…

 

Néanmoins, – et en dépit de la capacité illimitée pour une banque centrale d’imprimer des billets -, une politique monétaire expansionniste (c’est-à-dire le maintien de taux d’intérêts bas pour une période prolongée) constitue une condition nécessaire mais hélas pas suffisante au redémarrage de la croissance. Il y a effectivement des limites à ce qu’une banque centrale peut accomplir qu’il est du reste aisé de constater aujourd’hui avec une croissance américaine faible malgré deux rounds successifs de baisses de taux quantitatives. De surcroît, l’activation excessive de la planche à billets est susceptible de déboucher sur une autre plaie honnie qui est l’inflation. Toujours est-il que le banquier central finira toujours par opter pour le moindre mal, c’est-à-dire une inflation qu’il sait combattre. De plus, l’apparition de pressions inflationnistes signerait en creux une première victoire du banquier central qui aurait ainsi éludé la déflation !

 

Les banques centrales sont donc aujourd’hui plus que jamais indispensables. En fait, leur tâche d’utilité publique assure à nos économies une sorte de parachute censé amortir les chocs pour peu que les politiques – et que la politique – leur laissent le champ libre, voire étoffent leurs attributions. Alors que l’immobilisme se saisit de la politique américaine, la Réserve Fédérale conserve son aura et sa crédibilité. Par ailleurs, les appels multiples exhortant les autorités européennes à conférer un rôle prédominant à la BCE dans le cadre de la crise que traverse notre continent démontrent au minimum d’une confiance en sa force de frappe. Enfin, le succès incontestable de la Banque Nationale Suisse ayant dévoilé une détermination intangible dans la stabilisation du Franc Suisse achève de plaider en faveur des banques centrales. A l’heure où les politiques tournent en rond par manque de moyens, elles ont encore une carte à jouer.