La malédiction de l’innovation financière
Effet de levier, produits dérivés dits « exotiques », marchés à terme, titrisation…Doit-on se méfier des innovations financières ? La Science Financière se doit-elle d’être considérée avec suspicion dès lors qu’elle innove? Il est en effet impossible de tolérer davantage la sophistication – voire l’esprit décadent – de certains produits financiers dont l’unique objectif est trop souvent l’enrichissement d’une certaine caste. Est-il judicieux pour autant de vouer aux gémonies l’ensemble des inventions financières ayant jalonné l’amélioration de notre niveau de vie? Après tout, nul ne songe à condamner internet pourtant à la base de l’implosion de la bulle des valeurs technologiques en 2000? Par ailleurs, le principe de la société anonyme et de la capitalisation boursière n’avait-il pas été accueilli avec grande méfiance au 19ème siècle par ceux qui étaient persuadés qu’il permettrait l’émergence d’entrepreneurs prompts à se défiler de leurs obligations? La responsabilité personnelle illimitée étant de mise à l’époque, comment envisager aujourd’hui le fonctionnement du monde économique et des affaires sans sociétés anonymes et sans bourses?
Par ailleurs, le crédit excessif est certes à l’origine de la frénésie immobilière dont la déliquescence (dès 2007 avec l’implosion des subprimes) a abouti à la crise actuelle mais l’expansion du crédit dégénère-t-elle systématiquement en bulle spéculative? Ne serait-ce pas plutôt à partir du moment où un titre se transforme en un titre de titres que le banquier se croit invulnérable et que tout espoir est vain? Car en effet toutes les innovations financières ne se valent pas : l’accès facilité et traditionnel au crédit fait incontestablement progresser la société dès lors que l’usage qui en est fait permet d’acquérir son logement ou de financer ses études. Toutefois, ce même crédit dispensé à travers des produits raffinés devient dévastateur s’il permet de spéculer en Bourse ou d’adopter des comportements irrationnels et dénués de toute justification économique. Ainsi, tandis que la Finance peut effectivement rendre notre monde meilleur en permettant à notre immense classe moyenne ainsi qu’aux plus démunis d’améliorer légitimement leur niveau de vie, elle se transforme en arme de destruction massive dès que certains en font un usage dévoyé! Alors : est-ce l’innovation financière ou ses applications spécifiques téléguidées par l’appât du gain et l’immoralité d’une minorité active qui sont nocives au système et à la société? Question subsidiaire : quel est le bilan global de l’apport de l’innovation financière sur l’économie réelle ? Car si la technique financière ne bénéficie que marginalement à la société durant les périodes fastes, sa capacité de nuisance est indéniablement catastrophique dès lors que le train déraille !
Il est donc impératif d’endiguer – voire de juguler- ce monde de la Finance ayant connu un développement spectaculaire et dont la contribution aux P.I.B. de nos pays développés n’a cessé de croître depuis 150 ans. Quelle est donc réellement la valeur ajoutée de la Finance et en quoi profite-t-elle à la productivité de l’économie? A cet effet, l’iconoclaste Paul Volcker, ancien Président de la Réserve Fédérale et conseiller de l’équipe Obama, avait émis le souhait que (en traduction libre) « quelqu’un lui amène des éléments de preuve corroborant le lien entre l’innovation financière et ses bénéfices apportés à l’économie ». La réponse se fait toujours attendre et les doutes sont autorisés…