La Banque du Japon est-elle Don Quichotte ?
Pour la première fois depuis 2004, la Banque du Japon est donc intervenue afin d’interrompre le raffermissement de sa devise qui avait atteint son plus haut niveau en 15 ans vis-à-vis du billet vert. Pour autant, cette Banque Centrale – qui s’engage sur un chemin tortueux – se rendra très prochainement compte qu’elle est complètement isolée car nulle autre consœur ayant quelque crédibilité ne viendra lui prêter main forte. L’appréciation quasi ininterrompue de sa monnaie ces dernières années a certes contribué à saper de manière très conséquente la compétitivité d’exportations nippones d’ores et déjà fragilisées par la crise financière et économique globales. Pour autant, ce pays – entièrement dépendant de ces mêmes exportations pour vivre – devra livrer seul cette bataille du Yen qu’il est condamné à perdre! Impossible en effet pour un pays – fût-il la seconde ou la troisième économie mondiale – d’influer de manière durable sur le cours irréversible d’un marché des Changes dont les volumes – naguère déjà très substantiels – ont encore été amplifiés à la faveur de la crise financière. L’action de la Banque du Japon sera donc éphémère dans un contexte où 740 milliards de Yens se négocient quotidiennement, selon les chiffres de la Banque des Règlements Internationaux car les vents contraires sont tout bonnement insurmontables.
La Banque Nationale Suisse n’a-t-elle pas perdu en cette seule année 2010 la somme totale de 14 milliards de Francs Suisses en tentant avec acharnement de freiner elle aussi l’appréciation inexorable de sa monnaie considérée comme un refuge au même titre que le Yen? Pourtant, après avoir accumulé des réserves libellées en Euros (parce qu’elle est intervenue en vendant le Franc Suisse contre Euro), de l’ordre de 40% du P.I.B. Helvétique, elle a abandonné la partie vers la fin du printemps dernier … laissant le Franc Suisse atteindre des niveaux de fermeté sans précédents par rapport à l’Euro!
En fait, cette toute récente intervention japonaise sur le marché des Changes est d’autant plus vouée à l’échec que ce pays rejoint de ce fait le club honni (par les Etats-Unis) des manipulateurs de devises! Le Japon – mais également la Suisse quoique dans une moindre mesure – se voient aujourd’hui relégués au même niveau que la grande manipulatrice devant l’éternel, à savoir la Chine, qui maintient envers et contre les USA sa propre monnaie, le Yuan, à des niveaux rageusement décriés par les autorités Américaines… Pourtant, c’est la Chine qui est précisément en partie responsable de la fermeté du Yen japonais (et donc de l’intervention de la Banque du Japon) car elle accumule des quantités impressionnantes d’obligations d’Etat nippones. Le volontarisme japonais risque néanmoins de très mal passer aux yeux du Gouvernement et du Congrès US qui stigmatisent très régulièrement les Etats qualifiés de “prédateurs” accusés de manipuler leur monnaie: le Japon risque donc d’être assimilé à ces nations jugées infréquentables – en tout cas à ce point de vue – et qui comptent la Chine et la Corée comme porte-drapeaux.
En réalité, et en ces temps de croissance économique anémique voire nulle, le Japon a fait ouvertement et officiellement ce que d’autres nations font subrepticement car les exportations restent la seule soupape autorisant la respiration d’une économie qui ne peut plus compter sur sa consommation intérieure. Car qui nierait que les Etats-Unis soient aujourd’hui mécontents de voir le glissement généralisé de leur dollar qui permet précisément de rétablir leur compétitivité tout en prenant (au moins partiellement) le relais d’une demande intérieure léthargique? La vraie question étant en effet là: les Etats-Unis tolèreront-ils encore longtemps que les Etats à forts excédents commerciaux manipulent impunément leur devise? Et, le statut du Japon comme pays ami et allié n’y changera rien, son entrée sur le marché des Changes est condamnée par avance au moins pour cette raison.
Finalement, cette intervention crée des distorsions majeures sur le système financier global en y déversant des masses gigantesques de liquidités supplémentaires. Souvenons-nous des précédentes interventions de la Banque du Japon de 2003 et de 2004 en partie responsables de la bulle du crédit ayant implosé par la suite en 2007! Ne sous estimons donc en aucun cas les conséquences de l’activisme d’une nation riche de quelque 3’000 milliards de dollars en avoirs disséminés à travers le globe. Ces interventions nippones, si elles sont appelées à se renouveler, auront à l’évidence des implications majeures sur certains marchés – comme les bourses et les matières premières – qui recommenceront à se gonfler…
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