Austérité versus croissance ? Un mauvais débat…

mai 1, 2013 0 Par Michel Santi

Tout le monde est désormais au courant de l’erreur de calcul des économistes Reinhart and Rogoff, ardents promoteurs de la rigueur comptable et pourfendeurs des déficits publics dépassant 90% du P.I.B.. Au-delà du tragi-comique de cette erreur « excel » qui décrédibilise et qui fragilise les tenants de l’austérité, lesquels s’accrochaient à cette étude pour insuffler un semblant de rationalité à leur obsession d’équilibrer les comptes publics. Par delà les mauvaises augures mettant régulièrement en garde et selon lesquels tous les empires déchus se sont écroulés sous le poids de leurs endettements. Enfin, pour dépasser les économistes keynésiens et hétérodoxes (dont je fais fièrement partie) et qui ne cessent de répéter depuis des années que les dettes publiques doivent au contraire être domestiquées dans le cadre d’une récession. Qu’elle soit considérée comme insignifiante ou fondamentale, l’erreur de Reinhart and Rogoff – comme les débats enflammés qu’elle suscite – détourne les attentions tout en éludant la vraie question. Chronologiquement, c’est en effet sous le poids des endettements privés (dont bien-sûr le secteur financier se taille la part du lion) que nos économies ont plié.

 

La relation de cause à effets entre crise financière d’une part et dettes privées d’autre part est ainsi nettement plus forte et évidente que la corrélation hypothétique (et absolument pas prouvable) entre masse monétaire, déficits publics et crise économique. Les excès de crédits consentis par un système financier débridé (comme en Espagne et en Irlande) sont ainsi bien plus responsables de l’implosion européenne que l’endettement démesuré du gouvernement grec. En fait, les dettes privées sont un indicateur nettement plus fiable que les déficits publics dans l’exercice de prévision des crises financières. Les dettes du secteur privé US n’ont-elles pas atteint un record absolu à 310% du P.I.B. de ce pays en 2008, alors qu’elles n’étaient qu’à 240% du P.I.B. en 1929 ? Au même moment, les déficits publics américains n’étaient que de 40% du P.I.B. (à l’orée de la Grande Dépression) et tout juste de 85% en 2011… Les dettes publiques de la périphérie européenne elles-mêmes étaient à des niveaux insignifiants lors de la débâcle de 2008 : moins de 40% de son P.I.B. pour l’Espagne, de l’ordre de 20% pour l’Irlande, et de seulement 45% pour la France ! En fait, l’Espagne et l’Irlande – stigmatisées dès 2010 pour l’ampleur de leurs déficits publics – étaient de bien meilleurs élèves que l’Allemagne car elles respectaient bien plus scrupuleusement le Pacte de Stabilité avant l’implosion de leurs dettes souveraines. N’avaient-elles pas ramené leurs ratios depuis 60 et de 42% ? Elles sont pourtant aujourd’hui le contre-exemple absolu, pour n’avoir pas su ou pu contenir leurs endettements privés.

 

Il est aujourd’hui aisé de prédire que les déboires européens seront condamnés à perdurer et à s’enliser du haut des 1’500 milliards d’euros de créances pourries et insolvables toujours inscrites au bilan des banques de l’Union. Comme il est impératif de prendre conscience que le secteur privé (notamment financier) européen ne traverse pas une simple et bête crise de liquidités. Non : il est face à une authentique crise de solvabilité ! Dans de telles conditions, la seule et unique manière de remédier à ce mal et de redresser les économies sinistrées de l’Union consiste à contraindre les actionnaires des banques comme les porteurs d’obligations d’Etat de ces nations à encaisser des pertes. Pour ce faire, le préalable incontournable est de scinder les banques importantes car il est indiscutable que des établissements financiers mastodontiques nuisent gravement à l’économie réelle. Comme un système bancaire gigantesque se révèle quasi systématiquement être un signe d’une économie malsaine, les profits des banques devraient en permanence être contenus par leur Etat de tutelle à 1% de son P.I.B..

 

Le ratio et l’importance du monde bancaire versus le reste des secteurs d’activité est donc le symptôme par excellence d’une économie à la dérive et au bord de l’implosion financière. Par ailleurs, la boulimie du système financier se réalise toujours et immanquablement aux dépens de l’économie traditionnelle et sur le dos des salariés. Pire même puisque – ne serait-ce que sur le plan empirique – il est aisé de constater que, s’il est vrai que c’est les bilans des entreprises qui absorbent les dettes, c’est toujours et systématiquement leurs salariés et leurs travailleurs qui en subissent les conséquences via une réduction de leurs revenus. En fait, les risques et autres paris contactés par les entreprises se traduisent parfois en un gonflement de leurs profits, hélas toujours au détriment des salaires et du pouvoir d’achat de leurs employés. La seule issue permettant d’assainir nos économies consiste donc en une réduction drastique de la quotité du système bancaire et financier au sein de nos P.I.B.. Ce n’est peut-être pas une démarche volontaire de leur part, mais le fait est que l’hypertrophie des banques dégénère toujours en un système de Ponzi, et donc en instabilité et en danger de mort pour la « vraie » économie.

 

Les débats enflammés pour ou contre l’austérité passent ainsi à côté de l’essentiel, car les dettes publiques des nations européennes périphériques n’ont pas procédé du néant. C’est effectivement les banques et le système financier au sens large qui étaient soulagés quand, au même moment, il était exigé que le citoyen se serre la ceinture. D’une certaine manière, l’austérité et la politique expansionniste sont simplement les deux facettes d’une même pièce qui, l’une comme l’autre, ne fonctionneront pas tant que perdurera une situation où les profits sont appelés à être privatisés pendant que les pertes, elles, sont éternellement socialisées.

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