1937 et les leçons du passé
Le spectre de la “Grande Dépression” était, comme on le sait, réapparu à l’automne 2008 à la faveur de la déconfiture de Lehman qui avait présagé du pire, c’est-à-dire de faillites bancaires en cascade aboutissant, comme à l’époque, à paralyser le système financier tout en envoyant l’économie au tapis. Cette destruction fatale de richesses put cependant être évitée il y a quelques années par l’entremise du fameux « TARP » et des autres programmes de stimuli massifs mis en place par la Réserve Fédérale ayant injecté force liquidités dans un système dont l’implosion fut donc évitée de justesse. Pour autant, si la volonté des dirigeants politiques et économiques américains actuels est bien d’éviter le retour de cette “Grande Dépression”, ils ne devraient pas se méprendre sur ses raisons profondes, sous peine de devoir en subir une nouvelle et ce dans un avenir relativement proche…
Car cet épisode tout à la fois long et dramatique des années 1930 ne fut pas tant provoqué par l’effondrement financier (certes spectaculaire et marquant) que par l’exacerbation irrémédiable du chômage. Alors qu’il était bien-sûr inopportun de laisser les banques tomber en faillite l’une après l’autre, la tragédie principale se jouait néanmoins sur un autre front, celui du marché de l’emploi, qui fut malencontreusement sinistré par l’incapacité de l’Etat fédéral à réagir vigoureusement. Et qui ne fut résorbé que par la grâce d’un redressement économique entièrement redevable à la préparation de la deuxième guerre mondiale ! En attendant cette relance spectaculaire initiée par l’industrie de la guerre, cas d’école keynésien par excellence, les Etats-Unis d’Amérique devaient quand même subir (au pire de la Dépression) des déficits combinés atteignant 25% de leur P.I.B. de l’époque, équivalents à 4’000 milliards de dollars en monnaie d’aujourd’hui.
Pourquoi le Gouvernement fédéral parvint-il à se lancer dans de telles dépenses –salutaires comme on l’a vu- en 1941 alors qu’il aurait pu le faire dès 1931 en évitant au pays une décennie de souffrances superflues ? Tout simplement pour des raisons similaires qui créent de nos jours toute cette tension entre Républicains et Démocrates autour du relèvement du plafond de l’endettement US, c’est-à-dire pour des motifs purement politiques. En fait, l’obsession des déficits, commune aux politiques de l’époque et d’aujourd’hui, devait conduire à des décisions contreproductives puisque les dépenses publiques et autres stimuli du New Deal devaient être substantiellement restreints en 1937 avec les effets néfastes que l’on sait et ce alors même que l’économie donnait des signaux encourageants et que le chômage était retombé sous la barre des 10%… De nos jours, la fermeture du robinet des stimuli (QE2) en cette fin de deuxième semestre 2011 combinée à l’escalade liée au plafond de l’endettement est susceptible de résulter en une débâcle similaire à celle de la seconde moitié des années 30 dans un contexte général de marché de l’emploi stagnant.
Cette obsession des déficits – qui n’est en réalité qu’un prétexte aux affrontements partisans – éclipse malencontreusement la lutte contre le chômage qui devrait pourtant être absolument prioritaire car il va de soi que ce n’est pas la diminution de déficits – aussi importante fût-elle – qui présidera au retour de la très précieuse confiance parmi le grand public. A cet égard, les politiciens prouvent une fois de plus qu’ils sont de mauvais économistes car la réduction des déficits ne constitue en rien une source de relance de la consommation qui se taille pourtant la part du lion (puisqu’elle représente 70%) dans la demande agrégée américaine. Ainsi, c’est précisément le marché de l’emploi anémique qui est responsable tout à la fois d’une consommation qui reste à des niveaux incapables d’exercer un effet d’entraînement sur l’économie et de salaires plafonnant et qui, en conséquence, ne peuvent pas non plus stimuler la demande. Le facteur déprimant encore davantage la consommation étant à l’évidence un marché immobilier ayant détruit jusque là quelque 7’000 milliards de dollars de richesses et qui ne parvient toujours pas à s’affranchir de sa malédiction qui déteint forcément sur un consommateur préférant épargner en prévision d’une dépréciation supplémentaire de ses placements immobiliers…
Le seul et unique salut pour la croissance émane donc du côté du Gouvernement US … qui ne prévoit aucune injection supplémentaire de liquidités d’aucune façon que ce soit. Au contraire, ce sont des réductions drastiques des dépenses publiques qui sont à l’ordre du jour avec, à la clé, un marché de l’emploi condamné à évoluer en dents de scie… En réalité, l’économie américaine doit créer 90’000 emplois par mois afin de se maintenir au statut quo (en tenant compte de la variable démographique) et, au rythme des 160’000 créations d’emploi par trimestre affichées par les moyennes mobiles, elle mettrait plus de dix ans à renouer avec les taux de chômage préalables à la crise ! Les perspectives, qui ne sont guère brillantes, risquent donc d’être aggravées par le retour – imminent et pour de bon – de la Grande Dépression favorisée par une mixture nauséabonde de démagogie et de rigueur.
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