
Revenir au deutschemark
Martin Feldstein, économiste à Harvard, écrivait de manière prémonitoire en 1997 que l’introduction de l’euro «exacerberait les cycles économiques en aggravant le chômage dans certains pays membres. Lesquels déboires économiques contribueraient à une crise de confiance au sein de l’Union». De fait, ceux qui étaient persuadés que l’Union subissait depuis 2009 une crise qui ne serait que ponctuelle et passagère ont dû revoir leur copie pour se rendre aujourd’hui compte que la crise était inscrite dans les gènes mêmes de l’euro, cette monnaie commune nécessitant une politique monétaire commune –c’est-à-dire un taux d’intérêt unique– pour une zone aux cycles d’activités disparates. Autant de déficiences structurelles et de problèmes chroniques passés sous silence dans l’acte de naissance de l’euro qui, sous sa forme actuelle, en est réduit à être vecteur de schizophrénie économique et machine à créer la déflation, le chômage et les inégalités. Tant et si bien que la seule voie qui autoriserait aujourd’hui la mise en place d’une politique active de stimulation de l’activité économique au sein de nations européennes (comme l’Italie) durement touchées par le chômage et par la récession serait de réintroduire le deutschemark!
Il s’agit en effet de solutionner une quadrature du cercle consistant à mettre en place les indispensables réformes structurelles en Europe périphérique, sans faire subir davantage à sa population le joug de l’austérité, et en évitant une poussée inflationniste en Allemagne. Contrairement à la réintroduction de la lire italienne (ou d’autres monnaies européennes), seul le retour du deutschemark ne provoquerait aucun phénomène de contamination financière, ni de crise systémique. Il permettrait au contraire un allègement du fardeau de la dette des nations périphériques en douceur car un euro délesté de sa pondération allemande verrait une forte érosion de sa valeur, et éviterait ainsi de devoir passer par la pénible case de la faillite partielle de certaines nations, voire de la saisie de certains actifs bancaires ou de la taxation confiscatoire. Le seul écueil à surmonter étant l’inévitable flambée du deutschemark qui nuirait fondamentalement aux exportations allemandes et qui précipiterait l’Allemagne dans une récession du fait d’une ruée mondiale sur une monnaie nationale (re) devenue valeur refuge globale dans un contexte où sa banque centrale, la Bundesbank, serait dans l’incapacité de l’affaiblir à cause de taux d’intérêt d’ores et déjà à zéro.
Sauf si le retour de la devise allemande se réalisait dans des conditions très précises qui permettraient à la Bundesbank de garder le contrôle sur sa valorisation, tout en induisant un changement de paradigme sur l’ensemble du système monétaire mondial. Ce retour du deutschemark, uniquement sous forme électronique et strictement pour les transactions fiduciaires intérieures en Allemagne, se réaliserait selon une fourchette de fluctuation clairement définie entre une monnaie allemande tout électronique et l’euro papier. Dans un second temps, une appréciation graduelle du deutschemark –sans incidence négative sur les échanges commerciaux du pays– serait tolérée et même encadrée. Nul ne pourrait se ruer sur les billets de banque libellés en deutschemark pour la simple raison qu’ils n’existeront pas, sachant que la Bundesbank serait dès lors en mesure de faire un usage illimité de sa force de frappe de création monétaire électronique pour casser toute tentative de ruée sur un deutschemark purement électronique dont elle pourra facilement contrôler la valorisation. Conséquence: alors que les taux d’intérêt resteraient proches du zéro sur l’euro, ils seraient fortement négatifs en deutschemark, avec des retombées naturellement positives pour toute l’activité économique qui se déploie autour de la monnaie allemande retrouvée. En même temps, la forte chute de l’euro doperait immédiatement la compétitivité des marchandises européennes.
Par ailleurs, le renchérissement programmé des biens allemands du fait de la mise en place d’un calendrier bien défini pour l’appréciation du deutschemark électronique encouragerait les acheteurs à ne pas trop remettre leurs importations de marchandises allemandes. Anticipations qui feraient office de stimulus neutralisant les effets néfastes de l’appréciation du deutschemark électronique. La réintroduction du deutschemark –sous forme électronique– signerait donc le retour de cette flexibilité dont l’Union européenne a tant besoin aujourd’hui, tant sur le plan de sa politique monétaire que de l’affaiblissement orchestré de sa monnaie. Qu’est-ce qui s’oppose en effet à définir en Europe une politique monétaire nuancée et qui puisse s’adapter aux divers cycles économiques de ses nations si diverses ? A cet égard, la monnaie électronique –voire plusieurs monnaies européennes électroniques– sous la houlette de la BCE sont à n’en pas douter un instrument idéal qui permettrait d’apprivoiser les fondamentaux de tel pays ou de tel groupe de pays, tout en autorisant la banque centrale à en conserver un strict contrôle.
A l’heure où c’est vraisemblablement Jens Weidmann qui prendra, après Mario Draghi, les rênes de la Banque Centrale Européenne, lui qui vient de clamer haut et fort à l’allemande la nécessité de « stopper tout stimulus car il sent quelques pressions sur les prix ». A l’heure où il est crucial – pour la survie même de l’Union- d’agir tout en nuance et discernement. Que l’euro soit – non démantelé- mais adapté aux divers impératifs macroéconomiques de l’Union et à ses avancées technologiques, et ce dans le seul intérêt de ses citoyens qui apprécieraient à sa juste mesure l’innovation et la flexibilité intellectuelles dont feraient ainsi preuve leurs nouveaux décideurs.
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Bien sincèrement,
Michel
Il me semble avoir déjà lu quelque chose de comparable ces dernières années. Peut-être même sous votre plume, Michel Santi. Sur le papier (si j’ose dire…), cela semble séduisant. Mais est-ce bien réalisable ?
c’est en effet un ancien article que j’ai remis au goût du jour, en l’honneur des élections européennes.
Il y a aussi la solution de taux d’intérêts différenciés selon les pays de l’Euro, comme pour les états US :
https://ecointerview.wordpress.com/2018/12/01/la-crise-de-leuro-selon-crashed-i/
il y a aussi la solution à un retour aux monnaies nationales…
Et celle du carry trade ensuite.
Quand la “santé” de la Deutsche Bank se corrèle à la récession en Allemagne, ce n’est pas beau à voir !
https://pbs.twimg.com/media/D7uOqDBXsAAMLoW.jpg
Tout va bien Merkiavel, n’est-ce pas?
C’est malheureux, mais la classe politique allemande s’est tirée des balles dans le pied en plongeant nombre de pays de l’UE dans la récession, ce qui n’a pas été non plus de bon augure pour l’économie mondiale dont elle a profité dans les années 2000-2010. Sans compter que la Chine a de moins en moins besoin des produits allemands.
C’est également mon sentiment, edgell oliver, comme tant d’autres économistes hétérodoxes. En puisant dans mon hémérothèque, voici un papier datant d’il y a trois ans.
“Au lieu de paniquer à l’égard de Grexit ou Brexit, les politiciens et les économistes s’intéressant à l’intégration européenne devraient plutôt étudier les modalités de Gexit – entendez la sortie de l’Allemagne de l’Euroland – afin d’éviter l’implosion de la zone euro et la paralysie du processus d’intégration européenne (désormais évidente pour tout le monde). En effet, c’est la vision myope et l’attitude dogmatique (pour ne pas écrire stupide) des politiciens et des économistes orthodoxes allemands qui, en l’état, entretient la spirale perverse de la crise dans laquelle se trouve l’Euroland. L’intransigeance allemande qui freine – voire empêche – toute augmentation des dépenses publiques, surtout en Allemagne (où les besoins d’investissements publics sont de plus en plus évidents), oblige la Banque centrale européenne (BCE) à faire de plus en plus appel à la «pompe à liquidité» sans aucune possibilité réelle de faire sortir la zone euro de sa propre crise.
Il est illusoire, en réalité, de (faire) croire que l’augmentation de 60 à 80 milliards d’euros d’obligations privées ou publiques que la BCE achète sur le marché secondaire, ainsi que la réduction supplémentaire (dans le domaine des grandeurs négatives) du taux d’intérêt que les banques doivent payer à la BCE pour y déposer leur liquidité puissent permettre à l’Euroland une sortie de crise à long terme. La zone euro se trouve à présent dans une «trappe à liquidité» dont les sorties de secours sont, visiblement, verrouillées par l’idéologie néolibérale, malgré l’«évidence empirique» de la faillite des politiques d’austérité néolibérales à travers cette zone.
L’analyse économique a montré que les personnes stupides se font du mal toutes seules, tout en en faisant aussi aux autres, au détriment de l’ensemble de la société. En l’occurrence, l’intransigeance allemande à l’égard des politiques keynésiennes de relance économique, associant une augmentation des investissements publics à l’expansion monétaire de la banque centrale, porte atteinte aux banques allemandes (au-delà des entreprises du même pays). Les rendements négatifs des bons du Trésor allemand réduisent en effet de manière considérable les profits des banques allemandes dont un nombre non-négligeable a aussi des créances douteuses problématiques pour la solidité de leurs bilans. Ne pouvant pas transférer à leurs déposants la charge qui pèse sur elles découlant des taux d’intérêt négatifs de la BCE, ces banques pèsent à bien des égards sur l’économie allemande dont les exportations nettes (qui représentent désormais 8 pour cent du produit intérieur brut de ce pays) ne pourront aucunement pallier les problèmes découlant du fort recul de la demande intérieure suite à la stagnation (voire à la baisse) des salaires de la classe moyenne allemande.
En plus d’endommager sérieusement sa propre économie nationale,l’ordolibéralisme allemand nuit gravement à l’ensemble des pays de l’Euroland qui doivent urgemment trouver une issue aux résultats de plus en plus dramatiques des politiques d’austérité – qui leur ont été imposées par la «Troïka» des créanciers internationaux chapeautés par l’Allemagne.
Il faut donc que l’Allemagne quitte la zone euro pour le bien commun, réduisant ipso facto le taux de stupidité au sein de l’Euroland”. Dixit professeur Sergio Rossi. Il dirige la chaire de macroéconomie et d’économie monétaire et est Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.
“L’analyse économique a montré que les personnes stupides se font du mal toutes seules, tout en en faisant aussi aux autres,”
C’est une bonne synthèse et c’est vrai dans bien d’autres domaines que l’économie. Comment guérir ce mal d’une sorte de folie qui s’emballe au point de faire n’importe quoi ? J’avoue mon impuissance sur ce sujet qui relève de la psycho-sociologie. Au point que des fois je dois me trouver refuge dans la musique baroque pour me soulager de la Weltschmerz :