Inflation : Handle with care !

juin 27, 2009 0 Par Michel Santi

La politique monétaire de la majorité des Banques Centrales des nations dites développées a été conduite ces quinze dernières années selon une règle tout compte fait assez simple appelée la règle de Taylor ou “Taylor Rule” du nom de l’économiste contemporain John Taylor. En gros et pour simplifier, cette règle stipule que les taux d’intérêts doivent être remontés de l’ordre de 1.5% si le taux d’inflation progresse de 1% tandis que ces taux se doivent d’être réduits de l’ordre de 0.5% dès lors que le P.I.B. régresse de 1%…Cette règle, qui met ainsi en relation taux d’intérêts, niveau d’activité économique et taux d’inflation, stipule que les taux d’intérêts doivent être fixés en fonction de l’évolution de l’inflation et du niveau de productivité souhaitée en vue de parvenir au plein emploi.

Appliquée quasi systématiquement et même intuitivement par un certain nombre de Banques Centrales, cette règle, qui permet donc de prévoir les décisions futures en matière de politique monétaire officielle, nous indique aujourd’hui que la Fed laissera ses taux inchangés jusqu’à 2011! En effet, JP Morgan a mené tout récemment une étude ayant démontré que la croissance US n’atteindrait le niveau théorique du plein emploi que vers 2013, laquelle croissance dès lors qu’elle est combinée à un taux d’inflation qui devrait se maintenir en-dessous de 2% infléchirait l’équation de Taylor dans le sens du statut quo au niveau des taux pendant encore deux ans. Cette équation nous indiquant par ailleurs qu’une inflation nulle aboutirait logiquement à des taux inchangés pendant trois ans ou plus…

La règle de Taylor est néanmoins bousculée dans notre contexte actuel oà¹, les taux d’intérêts des principaux pays du monde étant à zéro, leurs Banques Centrales se lancent à corps perdu dans une pratique très peu orthodoxe qualifiée élégamment de “non conventionnelle ” et consistant en une boulimie d’achats d’obligations émises tant par les Etats que par les grosses entreprises. Ce tsunami de Masse Monétaire inondant les marchés boulverse ainsi de manière fort compréhensible les mécanismes de transmission constituant une politique monétaire tout en déstabilisant les réflexes quasi-pavloviens des Banquiers Centraux qui appliquaient de manière routinière – et parfois pantouflarde – cette bonne vieille règle de Taylor.

Les pays de l’OCDE ont en effet subi ces dernières années une escalade périlleuse de leur ratio d’endettement mesuré à leur P.I.B. d’une part du fait de l’allumage des “stabilisateurs automatiques ” (réductions d’impôts et augmentation des dépenses sociales) indispensables en période de ralentissement, ratio aggravé d’autre part tout au long de la crise actuelle par les problèmes du secteur financier ayant nécessité des mesures stimulatoires généreuses. L’aggravation de la dette des pays du G 20 par rapport à leur P.I.B. de 36 points de base entre fin 2007 et 2014 ( selon le F.M.I. ) conjuguée à une augmentation de la Masse Monétaire brouillent tout naturellement la donne en rescussitant un spectre de l’inflation qui suscite à son tour des questions existentielles.

Un certain nombre de variables est ainsi remis en question, ces politiques hyper expansionnistes menées par les Etats pouvant logiquement aboutir à l’abandon par leurs Banques Centrales respectives de leurs objectifs à respecter en matière d’inflation du fait de l’augmentation inéluctable des taux d’intérêts à long terme causée par la recherche frénétique de liquidités. Ces interrogations relatives à une résurgence de l’inflation conduisent en creux à l’évaluation plus générale de la politique macro économique de nos Gouvernements par le biais de la remise en cause de l’opportunité des politiques monétaires non conventionnelles ( baisses quantitatives des taux ).

Un Etat peut faillir à ses obligations autrement que par la manière brutale consistant à ne pas honorer ses paiements grâce à la pilule aigre-douce de l’inflation qui offre souvent un remède bienvenu permettant de sauver la face d’Etats fortement déficitaires. Ce fardeau de la dette du reste peu inquiétant en période de croissance et qui évolue en cancer ravageur dès lors que sévit la récession est au coeur même de la problématique des stimuli adoptés par nos Etats : A l’instar du virus inoculé par l’entremise du vaccin, ces mesures stimulatoires fiscales généreuses de nos Gouvernements et qui grèvent substantiellement leurs déficits ne seraient certes pas adoptées sans leur corollaire souhaité à terme, à savoir l’atténuation de la récession qui réduira à terme l’endettement souverain par l’amélioration des recettes fiscales inhérente à la reprise économique.

Néanmoins, le scénario idéal d’une croissance solide du P.I.B. supérieure à 4% relève aujourd’hui de l’utopie eu égard à l’intensification en cours de la régulation financière et bancaire combinée à l’augmentation prévisible de la taxation des entreprises et des ménages afin de résorber au moins partiellement le gouffre du déficit…En conséquence, la pièce qui se jouera dans les années à venir consistera vraisemblablement en une reprise molle doublée d’un ratio endettement public/ croissance du P.I.B. condamné à se maintenir dans le rouge très vif pendant un certain temps…à moins que l’inflation encore elle ! – ne vienne au secours de nos Gouvernements en amoindrissant le fardeau de leur dette. Pour ce faire, les Etats ont à leur disposition la planche à billets qu’ils font aujourd’hui tourner à outrance et qui se trouve être le moyen idéal – et moralement acceptable puisqu’il permet d’inonder les intervenants de liquidités bienvenues – pour maintenir leur taux d’inflation proche de leur objectif de 2% l’an. Cette politique non conventionnelle permettant au passage de calmer la panique financière fort prompte à s’installer dès lors que la Masse Monétaire se raréfie.

En fait, nous devons fondamentalement à la politique hyper expansionniste de nos Etats de ne pas nous retrouver dans le contexte déflationniste de la Grande Dépression et ce en dépit du revers de la médaille constitué par l’augmentation des liquidités en circulation ainsi que leur conséquence à terme, à savoir l’inflation. C’est précisément dans un environnement troublé et boulversé comme aujourd’hui que l’objectif inflationniste d’une Banque Centrale prend tout son sens: Une Banque Centrale peut effectivement s’aventurer épisodiquement dans des politiques non conventionnelles à connotation fortement inflationniste dès lors que l’hypothèse de l’explosion incontrôlée de cette inflation est moins probable du fait de la vigilance qu’impose ce fameux objectif de la Banque Centrale. De même, un Gouvernement peut-il exceptionnellement se laisser aller à émettre nombre d’emprunts sans provoquer de perte de crédibilité, voire de panique, sur les marchés obligataires si ces derniers estiment que l’inflation n’est pas un danger majeur grâce à ce garde fou qu’est l’objectif inflationniste. C’est à cet objectif d’inflation de nos Banques Centrales que nous devons donc de ne pas sombrer dans une authentique dépression car il réduit le coà»t auquel nos Etats doivent se financer ( par la confiance et la stabilité qu’il implique ), lequel financement autorise les multiples stimuli destinés à relancer nos économies…Cet objectif en matière d’inflation de la Banque Centrale lui permettant de se lancer ponctuellement dans des politiques parfois excentriques sans pour autant perdre sa crédibilité.

Ainsi, dans la conjoncture actuelle o๠les bilans de nos Banques Centrales sont dangereusement atteints d’élasticité, la discipline intellectuelle du respect de l’objectif inflationniste permettra de rentrer dans les clous à mesure de l’assainissement du système financier et du rétablissement économique. Enfin, cet objectif a permis de séparer très sainement la définition de la politique monétaire d’un pays des aléas inhérents au marché de sa dette souveraine.

Pour autant, la tentation est grande auprès de certaines Banques Centrales d’alléger le fardeau de leur dette en usant des pressions inflationnistes. Aux Etats-Unis par exemple, une telle hypothèse précipiterait une descente aux enfers des Bons du Trésor et du billet vert du fait d’investisseurs internationaux qui s’estimeraient à juste titre floués car une augmentation de taux d’intérêts de 2 à 3%, donc de 1%, diminuerait la valorisation d’une obligation d’Etat à 30 ans de 25%! Effondrement du dollar qui provoquerait à son tour une flambée des taux d’intérêts court terme avec les conséquences dramatiques sur la croissance économique que l’on imagine sans peine! Dans le monde réel – et dans nos pays démocratiques -, l’arme de l’inflation est donc à double tranchant car elle réduit de manière fort impopulaire le pouvoir d’achat des électeurs tout en sinistrant et en décourageant les acheteurs de la dette publique.

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