La machine à exclure de l’Union Européenne
Le couperet est tombé car le jugement rendu par les sages hiératiques et incorruptibles de Francfort est sans équivoque : les critères d’admission à l’Union Européenne des nouveaux membres ne seront pas assouplis. Pour autant, ce rappel formulé par les chantres de l’orthodoxie monétaire et économique mettant en demeure les mauvais élèves candidats à l’adhésion de se conformer aux standards Européens stricts et inflexibles est en complète contradiction avec l’assouplissement – voire la violation – de ces mêmes règles lors de l’examen de passage des actuels membres de l’Union en 1998! Une bonne moitié de ces Etats, aujourd’hui fiers membres de l’Union, auraient effectivement été recalés si ces critères avaient été respectés.
C’est ainsi que sept des douze membres initiaux n’étaient pas en conformité avec un critère essentiel selon lequel la dette publique des adhérents ne pouvait dépasser 60% de leur P.I.B. l’année précédent leur adhésion. Nonobstant la souplesse relative du Traité qui prévoyait que les pays dont ce ratio excédait 60% devaient par la suite se rapprocher de ce seuil le plus rapidement possible, trois nations n’ont toutefois pas été en mesure de s’y conformer, à savoir l’Allemagne, l’Autriche et la Grèce. Ces trois pays ayant effectivement connu des déficits de respectivement 60.3%, 64.3% et 113.2% l’année ayant suivi leur adhésion…
Il serait certes déplacé aujourd’hui de jeter la pierre à l’Allemagne et à l’Autriche en stigmatisant des déficits publics effectivement tout proches des critères définis par le Traité. Pour autant, le refus de l’intégration Lithuanienne voilà deux ans à cause d’un taux d’inflation supérieur aux règles du Traité de 0.2% ne relève-t-il pas de la même attitude dogmatique émanant des gardiens du Temple Francfortien? Comment comprendre dès lors le laxisme démontré vis-à -vis de la Belgique et de l’Italie qui, non contentes d’adhérer en dépit de déficits supérieurs aux 60% de leur P.I.B., ne se sont par la suite en rien rapprochées de cet objectif ” le plus rapidement possible “, et pour cause puisque leurs déficits respectifs s’aggravaient respectivement à 88 et à 105% de leur P.I.B. 10 ans plus tard, c’est-à -dire en 2008! Pourtant, une simple extrapolation à la portée d’un étudiant en Sciences Economiques aurait indiqué en 1998 qu’à l’allure o๠ces deux pays assainissaient leurs dettes, ils ne satisferaient au critère des 60% que sur une période de 20 ou de 30 ans…
Quant au critère selon lequel le déficit budgétaire du pays candidat ne pouvait dépasser le seuil de référence des 3% l’année précédent son intégration, il ne fut pas plus respecté en son temps par l’Espagne ni par la Grèce. Le Traité stipulant toutefois que les pays ne répondant pas à cette règle devaient par la suite démontrer que leurs déficits budgétaires régressaient régulièrement pour ne plus dépasser ce niveau des 3% que de manière “exceptionnelle”… Doit-on rappeler que la Grèce n’a jamais pu se conformer – ni même se rapprocher – de ce critère depuis son entrée dans l’Union?
Souvenons-nous du scandale des fraudes Grecques ou des manipulations comptables Belges ou Italiennes ! Ces deux derniers pays ayant jonglé avec les caisses de retraites publiques, affectant les sommes en question sur le revenu de l’Etat en négligeant de les imputer en contrepartie au poste des montants dus par l’Etat dans le but de diminuer artificiellement leur déficit budgétaire. Par ailleurs, hormis le fait que l’Italie ne satisfaisait pas non plus à l’époque un autre critère selon lequel tout Etat membre devait démontrer deux ans d’ancienneté dans le Système Monétaire Européen, le critère de l’inflation ne fut pas plus respecté après l’intégration des douze dont les taux respectifs d’inflation divergèrent systématiquement par la suite, aboutissant ainsi à défavoriser certaines nations devenues dès lors moins compétitives. L’interprétation littérale des décideurs Francfortiens aurait donc dà» écarter l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Autriche et la Grèce de l’adhésion à l’Union.
En réalité, ces transgressions manifestes des critères de convergence en faveur du noyau dur des membres originels de l’Union et cet intégrisme dogmatique vis-à -vis de l’écrasante majorité des candidats ultérieurs relèvent bien plus du calcul politique que du souci de bonne gouvernance économique. Ainsi devenait-il évident à l’approche de la date butoir de 1999 qu’un certain nombre de pays sur le point de constituer le socle de l’Union Européenne n’obéiraient pas aux critères économiques, menaçant ainsi d’hypothéquer l’engagement politique d’Etats qui avaient planché de nombreuses années pour réaliser cette Union. En définitive, et comme seul un petit nombre de pays satisferaient à des critères de convergence qui se révèleront ultérieurement impossibles à tenir, décision politique fut prise d’adapter – en réalité de faire abstraction – de l’encombrant Traité de Maastricht.
Démarche tout aussi politique qui motive aujourd’hui certains pays membres de l’Union à refuser l’entrée de nouveaux pays, prétextant fort opportunément la non conformité à des critères économiques qu’eux-mêmes n’avaient pas pu respecter! Seuils économiques qui doivent de nos jours être méticuleusement atteints afin de retarder au possible les nouveaux arrivants…Qui prétendra que les chiffres ne sont pas des instruments politiques aux mains des Etats ?
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