Banques : le scénario de la nationalisation

mars 9, 2009 0 Par Michel Santi

Faut-il nationaliser les banques pour les sauver de la faillite et permettre au système de crédit de fonctionner à nouveau ? L’urgence de la crise a déjà tranché en partie le débat, d’abord avec la nationalisation-sauvetage, en février 2008, de la banque Northern Rock au Royaume-Uni, puis la participation de la puissance publique à la recapitalisation d’établissements bancaires : l’Etat britannique est en passe de détenir 75 % des droits de vote de la Royal Bank of Scotland (RBS) ; 36 % de Citigroup appartiennent désormais à l’Etat américain. En Allemagne, un quart de la Commerzbank est passé sous contrôle de l’Etat, qui envisage des nationalisations forcées de banques en difficulté. En France, il montera à 20 % du nouvel ensemble Caisses d’épargne-Banques populaires…Les Etats-Unis et les Etats européens ont déjà apporté quelque 400 milliards de dollars (316 milliards d’euros) d’argent public au capital des banques, en grande partie sous forme de capital “dormant” : actions sans droits de vote ou titres de “quasi-fonds propres” rémunérés. La puissance publique a aussi engagé de nombreuses autres mesures de soutien : garanties massives sur les dépôts, les financements ou les actifs bancaires ; mise à disposition par les banques centrales d’énormes montants de liquidités, en échange de titres de plus en plus risqués. Mais il va falloir aux établissements encore plus d’argent. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que les banques américaines et européennes auront besoin en 2009 et en 2010 d'”au moins 500 milliards de dollars” supplémentaires, “juste pour éviter que leurs fonds propres ne se détériorent davantage”, dans son rapport sur la stabilité financière dans le monde du 28 janvier. Quitte à payer et à garantir, la puissance publique ne devrait-elle pas choisir de prendre ouvertement le pouvoir et d’imposer une nationalisation à 100 % ? Et il faudra encore plus d’argent pour nettoyer les bilans. Selon Barclays Capital, les banques américaines et européennes sont lestées de 2 000 milliards à 3 000 milliards de dollars de titres “illiquides” – pour lesquels il n’existe plus de marché -, très difficiles à évaluer.
Comment cantonner ces actifs compromis afin de les liquider peu à peu ? Qui devra payer pour ces pertes ? “On ne peut pas isoler les engagements risqués des banques dans des structures de défaisance (“bad banks”) sans les avoir valorisés. Or valoriser les actifs compromis est extrêmement difficile aujourd’hui. En les surévaluant, on améliore la valeur de l’actif détenu par les actionnaires des banques, mais c’est au détriment des contribuables”, explique Agnès Bénassy-Quéré, directrice du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). C’est pourquoi elle recommande de prendre pour modèle le sauvetage des banques suédoises dans les années 1990, lorsque l’Etat avait pris le contrôle des établissements pour les restructurer et les revendre, l’opération ayant été in fine peu douloureuse pour les finances publiques : “Une fois qu’une banque a été nationalisée, l’actif et le passif sont tous les deux entre les mains de l’Etat, et donc la valorisation des actifs douteux a moins d’importance. L’Etat peut créer plus vite une structure de défaisance pour que la partie saine de la banque – la “good bank” – reparte plus vite, finance rapidement l’économie et qu’il puisse mieux la revendre”, explique-t-elle.

PARTENARIAT PUBLIC-PRIVà‰ POUR METTRE EN PLACE DES STRUCTURES DE Dà‰FAISANCE
Nationaliser revient non seulement à injecter du capital, mais aussi à accorder une garantie publique implicite sur le passif de l’établissement – faisant momentanément augmenter les indicateurs de dette publique. Mais Mme Bénassy-Quéré plaide pour cette issue décisive, moins chère qu’une succession de plans qui ne régleraient pas le problème, comme on l’observe aujourd’hui. Dans l’idéal, les créanciers des banques devraient aussi être associés à leur restructuration, afin de répartir les pertes éventuelles entre actionnaires, contribuables et détenteurs d’obligations bancaires. Mais ce scénario risquerait de mettre en péril, par effet domino, d’autres établissements…Même si la nationalisation totale n’est pas la solution retenue, il existe des variantes. Benoà®t Cougnaud, PDG d’Azurris, conseil en risques financiers, suggère par exemple que l’Etat acquière jusqu’à 80 % du capital des établissements financiers en difficulté – afin de garder une pluralité de représentation de l’actionnariat au conseil d’administration -, et qu’il reste ensuite au capital “jusqu’à ce qu’il obtienne des plus-values substantielles lors de la revente”, mais en conservant un solde de 20 % pour bénéficier de dividendes, au besoin majorés, pour gratifier la prise de risque qu’il a consentie : “Les Etats interviennent au pire moment, il est normal que le contribuable puisse en attendre un gain. C’est une question de justice sociale.”

Mais l’idée de nationaliser suscite des réserves, aux Etats-Unis notamment. L’économiste Michel Santi évoque “un blocage d’abord idéologique”. L’administration Obama a donc proposé un partenariat public-privé pour mettre en place des structures de défaisance et “tente de trouver une voie moyenne qui serait de prêter de l’argent aux banques qui devraient à leur tour trouver des solutions pour se tirer d’affaire”.

“Le retour à un système financier quasi administré et rigidifié ne manquerait pas d’avoir sur la durée un coà»t important pour l’économie dans son ensemble”, prévient M. Cougnaud. “Le métier de l’Etat n’est pas de faire des prêts au secteur privé”, ajoute Laurence Boone, chef économiste de Barclays Capital en France, pour qui le risque serait de prêter à des projets peu rentables ou à des clients insolvables. L’introduction d’un “biais politique” dans la distribution de crédits n’est cependant pas trop redoutée par John Wilcox, spécialiste de la gouvernance d’entreprise pour le fonds de retraite des enseignants américains TIAA-CREF et président de Sodali, conseil en relations avec les actionnaires : “Les périodes exceptionnelles requièrent des mesures exceptionnelles. Nous n’avons pas le choix.” Mme Bénassy-Quéré rappelle de plus que “le secteur privé lui-même n’a pas montré un grand doigté dans la gestion de ces établissements”…
“Quand la Suède a nationalisé, c’était pour agir très vite en isolant les mauvais actifs et en retrouvant une activité d’intermédiation financière normale. Est-il nécessaire pour autant de nationaliser totalement pour y parvenir ? Si tous les Etats occidentaux faisaient la même chose en même temps, cela compliquerait la revente ultérieure des banques”, explique Mme Boone. En revanche, elle met en avant le système “assurantiel” retenu par le Royaume-Uni pour plafonner les pertes des banques sur leurs actifs compromis. L’Etat apporte sa garantie en échange d’une cotisation – éventuellement payée par la banque en actions -, augmentée d’une franchise et d’une participation de 10 % aux pertes. Cela n’a d’ailleurs pas empêché l’Etat britannique de monter au capital des banques. L’important est que l’intervention de l’Etat ne se solde pas par une socialisation des pertes et une privatisation des profits.

Adrien de Tricornot

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