Europe : chroniques d’un fiasco
Le lancement de la monnaie unique fut le point de départ de la formation de déséquilibres et d’écarts de compétitivité désastreux entre nations, ou blocs de nations, membres. Autant de graines de discorde, de bulles spéculatives en gestation et de dysfonctionnements qu’il aurait été aisé de réduire et de réguler par l’entremise d’une politique budgétaire et fiscale commune, harmonieuse et coordonnée. Ce n’est donc pas les excès des PIIGS, ni leur mauvaise gestion, qui ont engendré écarts de compétitivité, déséquilibres et déficits par la suite stigmatisés par le Nord. Non, car ce tout premier choc asymétrique ayant percuté violemment l’euro et ses pays membres est la sécrétion naturelle de la création de l’euro, en tout cas de cet euro-là.
Le cauchemar européen est donc aussi – et en tout premier lieu – le fiasco d’une politique monétaire parfaitement inadaptée. La création de l’euro ne fut-elle en effet pas immédiatement précédée – et suivie – d’une baisse généralisée des taux d’intérêt et de financement des pays périphériques ? L’aujourd’hui tristement fameuse – et déraisonnable – convergence ne put, de fait, avoir lieu sereinement et en douceur qu’à la faveur d’une perception aberrante des marchés financiers, qui considérèrent que le risque afférent aux nations du Sud ne différait pas notablement de celui de l’Allemagne. Dès lors, les liquidités affluèrent en direction de ces nations, qui bénéficièrent de facto d’une politique monétaire largement et généreusement expansionniste. Conditions monétaires qui furent d’autant plus déstabilisantes que ces pays – qui avaient consenti quelques privations pour remettre leur maison en ordre (ou pour certains dans un semblant d’ordre) comme condition à leur intégration – furent graduellement inondés de liquidités selon une amplitude diamétralement opposée, voire inversement proportionnelle, aux conditions ayant régné avant leur intégration dans l’euro.
La réponse des divers gouvernements en charge de ces nouveaux eldorados financiers fut globalement inadaptée puisque, selon les travaux de l’O.C.D.E., la contrainte fiscale y fut à peine plus lourde entre les années 2000 à 2007. Voire plus laxiste dans des pays, comme la Grèce, qui se « lâchèrent » donc à tous les niveaux, c’est-à-dire tant du point de vue de la politique monétaire hyper expansionniste que de la politique fiscale nationale qui devait revenir à ses déficiences ayant précédé son intégration. C’est donc des politiques budgétaires et fiscales fondamentalement contre-cycliques qui auraient dû être mises en place par les nations européennes périphériques, avec pour objectif de contrebalancer les effets pervers de stimuli monétaires massifs. Dans ces conditions, le choc de la demande ayant eu lieu dans ces pays n’a rien d’étonnant : la consommation y ayant proprement explosé, avec le consentement et la bénédiction de l’Allemagne, dont la balance commerciale devait jouir d’excédents quasi surhumains après l’an 2000.
Sans vouloir minimiser les problèmes structurels manifestes inhérents à chacune de ces nations européennes périphériques, c’est la succession et la combinaison de ces chocs – politique monétaire expansionniste, demande agrégée hyperbolique, dans un contexte de contrepoids fiscal largement insuffisant – qui y gonflèrent les salaires proportionnellement à la productivité. Il est très important de dresser d’ores et déjà un constat, à savoir que nombre de pays d’Europe périphériques auraient de toute manière été aujourd’hui en récession, avec ou sans crise de l’euro. Le péché originel de l’Union européenne est donc précisément et nommément ce Pacte de Stabilité, qui a éclipsé toute discipline fiscale. Effectivement, en focalisant toutes leurs attentions et tous leurs efforts à le respecter – ou à tenter de s’en approcher –, les gouvernements successifs sont passés à côté de politiques contre-cycliques précieuses. En axant leur politique et leurs efforts sur la seule lutte contre les déficits publics afin de satisfaire au Pacte, et grâce à des comptes publics excédentaires pour nombre de ces nations du Sud, les dirigeants ont omis de faire usage du levier fiscal qui devait modérer les enthousiasmes, calmer les ardeurs spéculatives et contrôler l’envolée de la consommation.
Du reste, pourquoi ces États auraient-ils mis en place de telles politiques, qui se seraient traduites par un tassement de leur croissance, alors même que leur ratios dettes/ P.I.B. ne faisaient que s’améliorer entre 2000 et 2007 ? Après tout, du fait même de ce Pacte de Stabilité qu’elles respectaient, nulle pression ne s’exerçait sur elles dans le sens d’une mise en place de mesures menant à une contraction de leur économie. Ce Pacte a donc totalement brouillé la vision et le jugement de nos autorités, qui ne juraient plus que par ces critères, et qui jaugèrent l’ensemble des données et des statistiques de leurs économies nationales respectives au prisme de ce Pacte. À l’exclusion de tout esprit critique, de toute analyse qualitative et de toute anticipation macroéconomique aussi élémentaire.
Extraits de : « L’Europe : chroniques d’un fiasco économique et politique », préface de Christine Kerdellant, éd. L’Harmatttan
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