
Etats-Unis : baisse des taux à venir ?
La Réserve fédérale américaine, on le sait, est en plein processus de « normalisation » de sa politique monétaire, c’est-à-dire qu’elle s’est engagée à remonter graduellement ses taux directeurs, après les extrêmes atteintes durant la crise financière ayant abouti aux baisses de taux quantitatives. Après avoir remonté ses taux quatre fois en 2019, elle s’est tout récemment prononcée pour deux ou trois autres hausses cette année en 2019, principalement en regard des excellents chiffres de l’emploi prévalant aux Etats-Unis.
Pourtant, la forte chute des marchés boursiers de ces dernières semaines dont le mois de décembre 2018 fut le plus mauvais depuis 1930, avec par exemple un indice NASDAQ qui a décroché de 17.5% sur le quatrième trimestre 2018, combinée au ralentissement assez conséquent de l’économie chinoise et même mondiale, saupoudrée de tensions commerciales induites par l’administration Trump, constituent autant d’écueils susceptibles de remettre sérieusement en question ce cycle de hausse. En réalité, si ces facteurs devaient s’intensifier, non seulement la Fed l’interrompra-t-elle, mais elle sera également prompte à l’inverser, c’est-à-dire à entamer un cycle de baisses de ses taux directeurs !
Toute l’Histoire de la Réserve Fédérale américaine et de ses décisions plaide, en fait, en ce sens, car elle est jalonnée de volte faces abruptes et souvent spectaculaires d’inversion radicale de sa politique monétaire initiées de manière énergique et déterminée. Ainsi, est-elle passée d’une hausse des taux d’intérêt à une baisse -en quelques mois seulement – entre mars et juillet 1995, entre juin et septembre 1998, puis entre novembre 2000 et janvier 2001. Par ailleurs, comment oublier ce mois d’août 2007 où elle émettait de réelles craintes sur la reprises des pressions inflationnistes … pour baisser ses taux – et de 50 points de base ! – le mois suivant, en septembre 2007 ? Il ne lui fallut en effet qu’un seul mois pour passer d’un cycle de hausse à un cycle de baisse, et ce jusqu’au zéro absolu couronné d’un programme d’injections de liquidités ayant progressivement gonflé son bilan jusqu’à 4’500 milliards de dollars ! Non sans passer par une période intermédiaire où, à l’été 2008, elle se mit en mode « hausse de taux » pour changer -et de façon dramatique- son fusil d’épaule à l’automne de cette même année, à la faveur d’une crise du crédit sans précédent provoquée par la faillite de Lehmann…
Ne nous fions donc pas outre mesure aux déclarations et autres Procès-verbaux de la Réserve fédérale américaine car ils ne sont pas gravés dans le marbre. Elle serait, une fois de plus, susceptible de surprendre ceux qui anticipent une série de hausses de ses taux d’intérêt cette année. C’est, du reste, cette proactivité et cet esprit d’adaptation qui en font la banque centrale la plus efficace au monde. A cet égard, n’oublions jamais l’apathie et l’absence criante de flexibilité démontrée par la Banque Centrale Européenne qui, sous Trichet, montait ses taux de 0.25% en juillet 2011, en pleine crise financière européenne. Contre-exemple absolu effrayant.
Bonjour Michel,
S’il ne fait aucun doute que la FED mène une politique à géométrie variable, je trouve que le qualificatif de “banque centrale la plus efficace au monde” demeure quelque peu présomptueux.
Si tout le monde semble fier d’annoncer un chômage américain tombé à 3,9% (U3 – BLS- december 2018), ce même monde oublie de préciser que ce taux (U3) est calculé sur moins de personnes actives, sachant que les chômeurs découragés à long terme ne sont plus inclus dans les statistiques depuis 1994. Et si on les réintégrait, le taux actuel serait de 21,4 % en décembre 2018.
Chiffres U3 du Bureau of Labor Statistics (BLS) – December 2018
https://www.bls.gov/news.release/empsit.t15.htm
The ShadowStats Alternate Unemployment Rate for December 2018 is 21.4%.
http://www.shadowstats.com/alternate_data/unemployment-charts
Avant la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 (politique monétariste et régulation financière absolument lacunaire) – alors que la Fed s’est ensuite lancée dans une politique monétaire non conventionnelle, totalement décomplexée et axée sur un modèle hybride en citant Keynes comme alibi (mais inflatant au passage et considérablement les actifs financiers), les conséquences sociales peuvent aussi se mesurer – à ce jour – à l’aune des (seulement?) 42 millions d’amériains à la soupe populaire (SNAP – Current name for the former U.S. Food Stamp Program) depuis septembre 2008. Euh, mince alors, mais où sont donc passés les effets de la « trickle down theory » ? Pour ce qui a trait à présent, cher Michel, de la proactivité et de cet esprit d’adaptation qui font de la Fed la banque centrale la plus efficace au monde, vous semblez juste oublier un passage de l’histoire : Alan Greenspan (dont Milton Friedman, père du monétarisme, le considérait comme le meilleur gouverneur de la Fed) a tout de même fait chavirer le taux directeur de la Fed ancré à 6.5 % en 2000 jusqu’à 1 % le 25 juin 2003 ; puis le taux directeur est passé de 1% – ce 25 juin 2003 – à 5,25 % (le plafond) le 29 juin 2006. Or, le 29 juin 2006 marque le début véritable de la crise systémique dont les effets induis pèsent encore très lourd dans nos économies globalisées. Ainsi, « The maestro »), président de la Réserve fédérale jusqu’en 2006, avant sa succession par Ben Bernanke (néo-keynésien), a fait passer le taux directeur de la Fed à 4,5 % le jour de son départ, le 31 janvier 2006. Or, dans le cadre des prêts « subprime » des « NINJA » (no income, no job, no asset), l’envolée de ce taux a provoqué une augmentation drastique des mensualités des crédits immobiliers toxiques adossés au taux directeur de la Fed. Et la suite, on l’a connaît.
Concernant Jerome Hayden Powell – nommé à la présidence de la Fed le 5 février 2018 – faut-il le rappeler ? est un juriste ayant exercé une trentaine d’années dans le secteur financier et dont les connaissances approfondies de l’analyse et de l’histoire de la pensée économique restent encore à démontrer, bien qu’il demeure épaulé dans les décisions monétaires par un comité formé par onze autres personnes. Faut-il aussi rappeler que la Fed a proposé le mercredi 30 mai 2018 d’assouplir l’une des principales règles qui avaient été adoptées pour empêcher les banques de prendre des risques boursiers trop importants ? La Banque centrale américaine souhaite ainsi s’attaquer à la règle Volcker qui interdit aux banques de détails de faire des paris boursiers pour leur compte avec l’argent des déposants. La nouvelle mouture du texte viendrait « simplifier » la mesure pour la rendre « plus efficace », d’après Powell. La règle Volcker 2.0, voulue par la Fed, limiterait les contrôles auxquels sont soumises les banques. Ces dernières auraient aussi moins de preuves à fournir pour établir la légitimité d’une opération boursière. C’est donc un assouplissement en bonne et due forme des règles de régulation bancaire qui est proposé par la Fed.
https://www.wsj.com/articles/fed-floats-changes-to-volcker-rule-on-big-bank-trading-restrictions-1527705603
On se souvient aussi que le Congrès américain a voté, le 22 mai 2018, une annulation partielle de la réforme bancaire 2010. Cette autre victoire pour Wall Street prévoit qu’il n’y aura plus désormais qu’une dizaine de très grandes banques qui seront soumises à l’intégralité des contrôles.
https://www.nytimes.com/2018/05/22/business/congress-passes-dodd-frank-rollback-for-smaller-banks.html
Quant à Jean-Claude Trichet – « le manager de la désinflation compétitive » – faut-il être étonné de son apathie et de son absence de flexibilité eu égard – dans un premier temps – aux statuts de la BCE en matière de politique monétaire ? La première exigeance correspondant à l’objectif de stabilité des prix des biens et services, c’est-à-dire, à prioriser la lutte contre l’inflation. D’autre part, Trichet demeure non seulement le digne héritier de la « désinflation compétitive » qui a été au coeur de la stratégie de stabilisation monétaire menée en Europe depuis trente ans, mais aussi le digne héritier de la doxa monétariste (Milton Friedman) qui repose sur deux croyances. « L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire », et donc que la politique monétaire doit être l’instrument principal de lutte contre l’inflation. Le deuxième postulat de la philosophie friedmanienne est que seule une économie de marché fondée sur la libre entreprise est susceptible de favoriser la croissance économique, l’emploi et la stabilité financière. C’est donc précisément cette adhésion aux thèses monétaristes qui a conduit Jean-Claude Trichet à commettre des erreurs de diagnostic à l’occasion de la crise. Si les banques centrales ont renoncé à se fixer un objectif de progression de la masse monétaire, ayant constaté l’absence de corrélation entre l’évolution des prix et celle de la masse monétaire, ce qui constitue un accroc à la doctrine de Friedman issue de la théorie quantitative de la monnaie, en plus de la politisation de la BCE (entre-autre dans le contexte du SME), le conservatisme monétaire a amené Jean-Claude Trichet à prendre des décisions contestables.