
Nous ne serons jamais japonais !
Le Japon est incontestablement le laboratoire du monde, et pas seulement pour son irrésistible et catastrophique déclin démographique. Ce pays moderne prouve aujourd’hui qu’il est possible de vivre – ou à tout le moins de continuer à exister – sans marché obligataire! La troisième puissance économique du monde – du haut de son quadrillion de yens d’obligations émises – en est parvenue à totalement assécher son propre marché de la dette qui se retrouve aujourd’hui de facto nationalisé par sa banque centrale. Dans le cadre de leur combat à mort contre la déflation, les autorités nippones rachètent donc l’ensemble des émissions obligataires, faussant tant et si bien la loi de l’offre et de la demande que les opérateurs classiques se retirent progressivement de cette arène.
Les quelques 100 milliards de dollars rachetés mensuellement par la Banque du Japon figent ainsi littéralement le marché, neutralisant toutes les opportunités et consacrant la domination absolue des pouvoirs publics japonais sur le secteur privé. L’économie devient donc entièrement dépendante de la création monétaire de sa banque centrale. S’il est indéniable que les divers programmes “QE” ont parfaitement bien réussi à l’économie américaine, cette même création monétaire précipite le Japon dans une sorte d’univers parallèle où c’est l’Etat qui crée et qui fait le marché. Pour déterminée que soit l’attitude de ses dirigeants, pour digne de respect que soit leur cause consistant à défaire la déflation, leur expérimentation aux confins de la magie noire risque de se révéler fatale pour leur pays, comme pour le reste du monde. On ne peut, impunément et sans conséquences imprévisibles, nationaliser un marché de la dette publique deux fois et demi plus volumineux que son propre P.I.B….
A la décharge du Japon, c’est l’ensemble de nos repères qui se retrouvent aujourd’hui violentés, bousculés, voire inversés, avec des rendements négatifs régnant sur les obligations de bien de nos nations occidentales. Pour autant, cette confiscation de la quasi-totalité de son marché de la dette par la Banque du Japon – outre son côté nauséabond et malsain – devrait servir d’enseignement suprême aux banques centrales occidentales dans le cadre de leurs programmes respectifs de “Quantitative Easing”. Là aussi, et plus que jamais, le Japon fait figure de pionnier, voire de contre exemple absolu. A qui sert-il en effet de lutter contre un mal (la déflation) si le prix consiste à remettre en cause tout le système ?
La stagnation séculaire dans laquelle sont enfermées nos économies exige certes de promouvoir de nouvelles bulles, ayant pour effet de chasser celles en place, tout en autorisant accessoirement un simulacre de croissance. Pour autant, il ne rentre pas dans les attributions d’une banque centrale d’entretenir et de faire prospérer des pyramides, ni de promettre ou de s’engager à l’impossible. A cet égard, l’épisode récent d’une Banque Nationale Suisse ayant formulé haut et fort des promesses qu’elle n’a pu tenir achève de nous prouver que nos banquiers centraux ne sont pas infaillibles. Voilà pourquoi ils doivent impérativement recevoir le soutien de politiques fiscales et budgétaires adaptées.
A l’heure des “QE” européens, que l’Union regarde le cas du Japon – qui n’a carrément plus de marché obligataire – avec effroi, et qu’une vraie politique de relance vienne seconder un Mario Draghi qui ne peut porter nos destinées sur ses seules épaules.
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Michel