
Echec et mat pour la Russie ?
Le plafonnement des prix du pétrole décidé il y a quelques jours par le G 7 est une mesure originale, inédite, à prendre très au sérieux. Les pays membres de ce club exclusif refuseront donc d’acheter à la Russie son pétrole à un prix qui dépassera un certain niveau qui sera fixé ultérieurement. Certes, la Russie pourrait-elle prendre les devants et refuser de vendre à des nations qu’elle juge hostile. Cette hypothèse est pourtant à écarter immédiatement car les revenus liés au pétrole ont représenté ces dernières années jusqu’à 40% des revenus du Kremlin. Ce pays est donc sous perfusion. Il peut d’autant moins se permettre d’interrompre sa production car ses infrastructures seraient irrémédiablement endommagées par une paralysie qui leur serait fatale durant l’hiver. Un arrêt – même provisoire – de la production de pétrole de la part de la Russie qui aurait comme stratégie de forcer à une remontée des prix (qui lui bénéficierait) du fait d’un approvisionnement déficient la contraindrait par ailleurs à des dépenses gigantesques car il faudrait carrément reconstruire les pipelines qui seraient mis hors service par les rigueurs de l’hiver. C’est donc entendu : en dépit du plafonnement des prix à venir du pétrole, la Russie ne pourra se payer le luxe d’en stopper la production.
Les Etats-Unis et leurs alliés européens n’avaient d’autre choix dans l’adoption de cette mesure drastique car la Russie a largement augmenté depuis l’embargo ses ventes en direction de la Chine, de l’Inde et d’autres pays grâce auxquels elle a pu maintenir le volume de ses exportations à un niveau constant. Les soldes substantielles consenties de l’ordre des 20 dollars le baril pour «motiver» les acheteurs n’ont effectivement entamé en rien ses revenus car l’appréciation des prix pétroliers a largement compensé son manque à gagner. Dans le cadre du plafonnement à venir, ces mêmes pays importateurs de pétrole russe – étant loin d’être philanthropes – ne paieront évidemment pas 1 $ de plus par baril à la Russie que ce qui sera défini par le G 7, et ce en dépit de leurs protestations de forme à l’encontre de ce qu’ils considèrent comme un diktat occidental. En outre, et selon toute vraisemblance, ces mesures seront respectées car – contrairement aux sanctions imposées unilatéralement à l’Iran par les Etats-Unis en 2012 et appliquées à reculons par ses alliés – ce plafonnement du prix de la vente du pétrole russe a été adopté à l’unisson et à l’unanimité par l’ensemble des nations occidentales, ce qui lui confère dès lors une force de frappe et un potentiel d’efficacité redoutables.
Le G 7 et followers a en effet les moyens de contrôler toute la chaîne: depuis le paiement de la facture pétrolière à l’assurance de son transport, au cargo qui le contient comme à son équipage et jusqu’aux courtiers qui en font l’intermédiation… Des sanctions rédhibitoires sont prévues envers tout l’écosystème des contrevenants qui ont un certain laps de temps pour s’y adapter, puisque ces mesures seront appliquées en plusieurs étapes : plafonnement stricto sensu du prix du pétrole russe le 5 décembre 2022 puis des produits raffinés au 5 février 2023. Bref, la Russie est condamnée à engranger à relativement court terme de moins en moins de recettes pétrolières, dans un contexte où ses revenus non pétroliers ont déjà baissé de 15% et où son PIB connaîtra une chute de l’ordre de 5 à 8% en 2022, ne tenant pas encore compte du plafonnement des prix pétroliers.
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Michel
Vous oubliez que la Russie importe beaucoup moins… et n’a donc plus autant besoin de rentrées de devises.
Il convient d’observer la poursuite de cette partie d’échecs entre la Russie et l’OTAN…euh, pardon, peut-être faut-il écrire Russie et Ukraine ? Entendu que par Russie, il convient également d’associer les pays souhaitant sortie de cette domination unilatérale étasunienne (cf. les votes sur les résolutions à l’ONU).
Pour rappel, échec et mat : “Position dans laquelle le roi est en situation d’échec imparable et qui marque la fin de la partie.”
Sur le volet énergétique, la “fin de partie” pour la Russie, et donc la victoire du “G7 et ses followers” (ou plutôt des US en forte perdition sur leur hégémonie mondiale et leurs vassaux européens, mais écrire cela, qui factuellement est manifeste devrait décrédibiliser immédiatement mes propos), ne paraît pas nécessairement évidente au vu des ressources disponibles, de leurs localisations…et des besoins du G7 + followers.
Un article pas inintéressant à ce propos:
https://www.2000watts.org/index.php/home/reflexion/1293-energie-l-europe-a-t-elle-encore-les-moyens-de-bluffer.html
Des prospectivistes écrivent également cela pour présentant le sommaire de leur nouveau numéro:
“Les Etats-Unis déploient tous les trésors d’ingéniosité en leur possession pour maintenir leur logique d’empire. Une Union européenne pieds et poings liés dans cette logique qui l’emmène vers un recroquevillement sur elle-même. En face, le Moyen-Orient apparaît comme la région la plus féconde des développements d’avenir. La Chine qui, après des décennies de développement effréné, cherche son nouveau rythme de croisière (intercontinentale). La Russie, toujours pas à genoux, travaille à la réorganisation de ses flux. L’Afrique dont la résilience constitue son meilleur atout pour le futur. L’Amérique latine qui cherche par tous les moyens possibles à ouvrir une nouvelle page de son Histoire mais reste hantée par ses vieux démons…Toutes tensions que nous nous emploierons à articuler et à projeter dans l’avenir.”
Lorsque la Russie sera dépecée par les US pour placer sous leur coupe ou avec un gouvernement fantoche docile les ressources de ses sol et sous-sol, alors oui, l’échec et mat aura eu lieu.
Merci Yves B. Je ne pense pas que l’ambition US soit de dépecer la Russie comme vous le dites.
En termes de dépeçage territorial, la Russie n’a en effet de leçon de recevoir de personne…