
La crise financière n’aura pas lieu
Ce phénomène se produit assez rarement, toujours en cas de crises de liquidité, c’est-à-dire en période de grands stress financiers comme en 2008 ou au début de la crise de la Covid. Il se traduit par un appétit glouton envers le dollar américain recherché par la planète entière cat il vient cruellement à manquer. C’est bien-sûr les plus fragiles qui trinquent d’abord, à l’image de ce qui se déroule en ce tout début d’année en Egypte où quasiment plus un seul dollar ne circule plus. Il faut dire que 2’200 milliards de ces dollars ont été retirés des marchés, et donc des trésors des Etats, des comptes des entreprises et des privés ces 20 derniers mois par la Réserve Fédérale US ayant fait de la lutte contre l’inflation sa priorité absolue. Comme elle est seule à pouvoir émettre ce billet vert si convoité, le monde entier tente de lui en emprunter.
En réalité, c’est une banque centrale américaine à deux vitesses – quelque peu schizophrène – que les experts voient naître sous leurs yeux à la faveur des crises répétitives. Cette dichotomie inavouable ne put se manifester au grand jour qu’à la faveur de la remontée très énergétique de ses taux d’intérêt ces mois derniers. En effet, tandis qu’elle raidit sa politique monétaire dans le seul et unique objectif de casser la croissance en ralentissant la consommation afin de mater l’inflation. Au même moment et en parallèle, elle poursuivit sa mission de grande pourvoyeuse de liquidités afin de contenir la volatilité sur les sacrosaints marchés financiers. Souvenons-nous des trillions déversés dans le système lors de la panique due à la crise du crédit de 2008 ou de la Covid en mars 2020 : ils eurent pour conséquence immédiate de faire baisser de plus d’un cran les déroutes en gestation et d’atténuer considérablement les hystéries.
Il y a donc une contradiction incontestable entre une politique monétaire qui, d’une part, se durcit dans une lutte à mort contre l’inflation, et d’autre part, une générosité sans limite qui cherche à amortir les chocs aux entreprises et aux banques. Eh oui, la Fed est pertinemment consciente de l’extrême complexité que sont devenus aujourd’hui les produits financiers dont certains sont affublés de l’appellation rêveuse d’«exotiques», susceptibles par une nuit sans lune de contaminer dans un premier temps l’ensemble des rouages avant de les faire imploser, en l’absence de ses vitales liquidités. Elle n’a donc plus le choix que par cette fuite en avant qui permet (pour le moment) au quadrillion de dérivés de continuer à s’échanger. De banque centrale traditionnelle ayant pour mission de lutter contre l’inflation – ce qu’elle fait en remontant énergiquement ses taux qui ont pour conséquence de ralentir l’économie réelle -, la Réserve Fédérale américaine joue désormais également le rôle crucial de pompier envers l’économie virtuelle : celle de grande pacificatrice, en neutralisant toute velléité de volatilité dont ont une sainte horreur les marchés.
Cette deuxième attribution de celle qui reste la plus puissante des banques centrales par la grâce de l’impérium de sa monnaie arbitre universel prend à présent nettement le pas sur la première (lutte contre les pressions inflationnistes). Si bien que les jeunes générations d’analystes – n’ayant pas vécu les flambées inflationnistes des années 70 et 80 – sont aujourd’hui persuadés que ces injections massives de liquidités dans le système visant à le refinancer éternellement constituent la mission normale et conventionnelle d’une banque centrale. La liquidité à tout prix est donc devenue aujourd’hui la drogue dure du marché, des entreprises et même des ménages qui furent tous aux premières loges pour en bénéficier lors de la crise de la Covid.
De la Fed en passant par la Banque du Japon et jusqu’à la BCE, l’imbrication de nos banques centrales dans le système financier est désormais intense, consanguine.
La crise financière n’aura pas lieu? Deux poids, deux mesures pourtant!
Pour le professeur d’économie et de sciences politiques à Harvard, Kenneth Rogoff, “le fait que le monde n’ait pas connu de crise financière systémique en 2022 tient du miracle”; ajoutant que si “jusqu’ici l’économie mondiale a résisté sans heurts majeurs à la flambée des prix d’une part et à la remontée des taux d’autre part, la récession ne sera pas du même ordre et sera accompagnée (ou non) d’une crise financière”. Quel scoup!
En 2022, les banques centrales auront acheté la plus grande quantité d’or de l’histoire récente. Selon le World Gold Council , les achats d’or des banques centrales ont atteint un niveau jamais vu depuis 1967. Les banques centrales du monde ont acheté 673 tonnes en un mois, et au troisième trimestre 2022, le chiffre a même atteint 400 tonnes. C’est intéressant car le flux des banques centrales depuis 2020 avait été éminemment des ventes nettes. Mais pourquoi une telle razzia sur “la relique barbare”? Tout d’abord, le pourcentage le plus important des réserves de la plupart des banques centrales est constitué de dollars américains, qui se présentent généralement sous la forme de bons du Trésor américain. Il serait donc logique que certaines banques centrales, notamment la Chine, décident de moins dépendre de l’hégémonie du dollar sur le fond d’une “guerre économique mondiale”, doublé d’une “crise financière systémique”, comme je l’ai déjà analysé et partagé lors de différents posts courant en 2020/2021/2022. Également partagé l’année dernière, les banques centrales ont évoqué (et testé) l’idée d’émettre une “monnaie numérique de banque centrale”, ce qui changerait complètement le fonctionnement de l’argent aujourd’hui. En émettant une “monnaie numérique” directement sur le compte d’un citoyen à la banque centrale, l’institution financière aurait non seulement accès aux informations des épargnants, mais plus important encore, elle serait en mesure d’accélérer le mécanisme de transmission de la politique monétaire tout en favorisant le phénomène de destruction du pouvoir d’achat des monnaies observé au cours des cinquante dernières années. Dans un tel environnement, le statut de la “relique barbare” en tant que réserve de valeur serait alors inégalé. Quant au marché des crypto-actifs privés (“crypto-monnaies”) non régulé, il a prouvé que la liquidité était leur talon d’Achille. Quelques hausses de taux par la Fed ont rapidement démenti cette vue de l’esprit consistant à faire croire que les monnaies numériques privées (crypto-actifs) ne pouvaient que prendre de la valeur.
Et enfin, les banques centrales ont besoin de cette “relique barbare” car elles se préparent peut-être à une période de dévastation monétaire sans précédent, comme l’a entre-autre souligné le Financial Times. “Les banques centrales subissent déjà des pertes importantes en raison de la baisse de la valeur des obligations qu’elles détiennent dans leurs bilans. À la fin du deuxième trimestre 2022, la Réserve fédérale avait perdu 720 milliards de dollars tandis que la Banque d’Angleterre avait perdu 200 milliards de livres sterling. La Banque centrale européenne fait actuellement réviser ses finances et il est prévu qu’elle subira également des pertes importantes. La Banque centrale européenne, la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale australienne et la Banque nationale suisse font désormais face à des pertes possibles de plus de 1 000 milliards de dollars au total, alors que des obligations autrefois rentables se transforment aujourd’hui en passifs”, comme les RMBS par exemple. Certes, si une banque centrale subit une perte, elle peut combler le vide en utilisant les réserves disponibles des années précédentes ou en demandant l’aide d’autres banques centrales. Néanmoins, à l’instar d’une banque commerciale, elle peut rencontrer des difficultés importantes, ce qui peut amener une banque centrale à cette possibilité de se tourner vers les gouvernements en dernier ressort. Cela implique que le trou sera payé d’une manière ou l’autre par les contribuables et les coûts seront astronomiques.
Autant dire que le mécanisme de fonctionnement atypique du “fond alternatif BNS” (Banque nationale suisse) risque de montrer ses limites à l’avenir, au grand damne des cantons, des épargnants, des fonds de pension et des fonds SUVA et AVS.
2023 – Message d’espoir adressé à notre monde bipolaire.
Le professeur à Sciences Po, Jacques Généreux, auteur de l’ouvrage “La déconomie”, nous a déjà formulé une critique constructive doublée d’une solution, à savoir que “la connerie économique, c’est aussi la maladie d’une société dont toutes les sphères sont contaminées par le virus de la compétition (la politique, l’usine, le bureau, l’école, la recherche, les médias). Un virus qui stimule la bêtise et pervertit la démocratie en piège à cons”. Un des antidotes existe, dit-il: “L’intelligence collective qui peut surgir de la délibération citoyenne. Sans installation de cette dernière au pouvoir, la meilleure des reconstruction sociales pourra toujours être anéantie par une prochaine génération d’abrutis”.