Léon XIV, Donald Trump et la main invisible

15 mai 1891, Léon XIII : l’Église catholique plonge dans la mêlée économique. Rerum novarum (« Des choses nouvelles ») est un uppercut théologique contre le socialisme, une réponse ardente au séisme de la Révolution industrielle.
Ce pape y fracasse l’idée d’un collectivisme qui piétine la propriété privée, et décrète l’adhésion de l’Église à l’économie de marché.
La propriété privée ? Un droit sacré, fruit du labeur humain, que l’État doit protéger (par. 6).
Le marché ? Une arène où l’initiative peut briller (par. 32).
Un siècle plus tard, ce texte reste la boussole de l’enseignement social catholique, véritable cri pour la liberté économique.
Changement d’époque, mais cohérence avec Jean-Paul II qui, en 1981, persiste et signe avec Laborem exercens (« Par le travail »).
Il y célèbre le travail comme vocation divine :
« Par le travail, l’Homme participe à l’œuvre de son Créateur », tonne-t-il (par. 1),
liant l’effort humain au mandat biblique de « soumettre la terre » (Genèse 1:28, cité par. 4).
Image de Dieu, l’Homme transforme le monde et se transcende lui-même, devenant « plus homme » à chaque sueur versée (par. 4).
Selon cette vision, le marché n’est pas une machine froide : c’est un espace où la créativité humaine peut et doit s’exprimer.
Centesimus annus (« La centième année », 1991) permet à Jean-Paul II de réaffirmer la doctrine énoncée un siècle plus tôt par son illustre prédécesseur Léon XIII.
Il y glorifie la propriété privée, élevant le « savoir-faire, la technologie et les compétences » au rang de nouvelle richesse, plus cruciale que la terre elle-même (par. 32).
« L’initiative économique » ? Une flamme sacrée qui permet de « percevoir et satisfaire les besoins d’autrui » (par. 35).
Les profits ? Pas une idole, mais un signe que « les facteurs productifs ont été correctement utilisés et que les besoins humains ont été satisfaits » (par. 35).
Jean-Paul II ne mâche pas ses mots : le marché libre est une expression de la liberté humaine, un écho de la créativité divine.
Était-il si éloigné de Milton Friedman, gourou du capitalisme débridé, qui, dans Capitalism and Freedom, proclamait :
« La liberté économique est une condition essentielle de la liberté politique » ?
Pour Friedman, le marché libre est un moteur de progrès humain qui libère l’individu des chaînes de l’État.
Son Free to Choose (1980) résonne au diapason de celui de Jean-Paul II :
« Un marché libre permet à des millions de gens de coopérer pacifiquement, chacun poursuivant ses propres intérêts tout en contribuant au bien commun. »
Convergence des luttes avec Jean-Paul II ?
Clin d’œil hérétique entre Vatican et Chicago, qui partageaient alors une même haine contre le communisme ?
Pas si vite !
Car l’avènement du trublion jésuite sèmera le trouble et le vitriol.
Dans Evangelii gaudium (« La joie de l’Évangile », 2013), François se répand :
« Comment se fait-il que ce ne soit pas une nouvelle lorsqu’un vieillard sans-abri meurt de froid, mais que la baisse de deux points à la Bourse en soit une ? » (par. 54)
S’en prenant aux apôtres des « théories du ruissellement », naïfs persuadés que
« la croissance économique, encouragée par un marché libre, produira inévitablement une plus grande justice » (par. 53),
François met en garde contre une illusion de
« confiance grossière et naïve » en un système qui engendre une « économie de l’exclusion » (par. 53).
Digne héritier d’Ignace de Loyola, dont la spiritualité, forgée dans l’ascèse et par la mission, privilégie les marginaux, la sévère analyse du pape François porte la marque des jésuites.
Formé dans les bidonvilles argentins, il est aussi aux premières loges pour constater les ravages du capitalisme sauvage : usines fermées, familles brisées, inégalités choquantes.
Son analyse, couplée à la tradition jésuite du discernement critique, ne peut évidemment pas admettre cette promesse de liberté des marchés libres — piège qui enrichit les puissants et abandonne les faibles.
Quand Jean-Paul II évoquait la créativité du marché, François entend la détresse des exclus.
De retour en 2025, les inconditionnels du marché misent désormais sur le pape Prevost.
Son choix de s’appeler Léon XIV est en effet une affiliation et une revendication de l’héritage de 1891, qui ramène l’Église à la vision de Léon XIII et de Jean-Paul II dans leur défense du marché libre comme moteur de liberté.
Au même moment, un président américain semble décidé à dynamiter cet idéal, car Donald Trump méprise les marchés libres.
Tarifs douaniers massifs, décrets pour museler les prix des médicaments, rhétorique protectionniste : autant de signaux explicites attestant des doutes de Trump.
Décidément, il n’est pas adepte de la main invisible.
Sa croisade interventionniste n’est pas nouvelle, car il vilipende la mondialisation depuis 2018.
Autrement dit, brandissant l’héritage de Rerum novarum, Léon XIV l’américain serait-il sur le point d’entrer en opposition frontale avec le Président des États-Unis ?
Lui rappelant que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle, mais une
« communauté de personnes » (par. 35, Centesimus annus) —
un projet humain où la liberté et la justice se donnent la main ?
L’Histoire nous réserverait-elle un quolibet savoureux, unissant dans un même combat un magnat capitaliste – Trump – et un pape des pauvres – François ?
Deux figures qui ne s’aimaient certes pas, mais qui partagent objectivement un improbable point commun :
Une profonde défiance des marchés libres.
Ce François – qui fustige une « économie qui tue », où la Bourse prime sur les sans-abris (par. 53, Evangelii gaudium) –
Aurait-il, tout compte fait, des points communs avec Trump, lequel considère le commerce mondial comme un complot contre les ouvriers américains ?
François et Trump décèlent-ils un chaos à domestiquer, là où Léon XIII, Jean-Paul II, et aujourd’hui Léon XIV
voient un outil de la dignité humaine ?
avant que vous ne partiez…un extrait de mon livre:
Cette sempiternelle quête d’émotions, de sensations, d’en vouloir plus dans ma vie d’adulte, je la dois à l’intensité de cette période. Précisément. Ces sept ans et demi de ma vie auront été, pour moi, un trésor pour mon futur métier : la finance. L’incertitude est devenue ma meilleure alliée, et j’ai appris à la respecter. Surmonter l’inimaginable, se méfier du formalisme, survivre et même prospérer par temps de grandes volatilités. L’ensemble de ma carrière ayant consisté à maîtriser les tempêtes – voire à en profiter ! – je le dois à ces années de mon adolescence. Il est tellement plus facile de tirer parti du désordre, qui par définition est illimité. Ma créativité, mon inventivité, ma solidité furent décuplées par la prise de conscience de la multiplication des possibilités offertes à ceux qui font le pari de sortir de l’ennui.
L’accélération devint un élément organique dans ma vie. Se laisser aller sur la pente facile et vulgaire de la rassurante prévision est le meilleur moyen de s’enfermer dans un tunnel. L’Homme croit pouvoir reléguer l’incertitude en se persuadant que le risque peut être quantifié, qu’il peut tout mettre en équation. Pour solde, la part de rêve de cet inconnu si craint laisse la place à un monde sans mystère. Cette tranche de ma vie aura été comme un majestueux préambule, comme un éblouissant et époustouflant avant-goût de ce qui m’attendrait par la suite. Vous reconnaîtrez que bien d’existences peuvent sembler mornes après ce que je viens de conter, même si j’ai vécu encore bien plus de choses que ça.
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Merci 🙏 cher Michel, pour cette chronique que je vais considérer comme réponse développée à ma question du 26 avril 2025.
Bien à toi
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Raymond dit : avril 26, 2025 à 6:10 pm
Bonjour mon cher Michel,
Au delà du stoïcisme qu’il me semble percevoir en filigrane de tes quelques lignes de sagesse, imaginons un instant, si tu le veux bien, que je sois agnostique et que le texte ci-dessous en lien avec une “organisation” [religieuse, économique et financière] me soit soumis à lecture. Que devrai-je en conclure sur le plan des “sciences économiques et sociales”; c’est-à-dire sur le plan des “sciences molles” et non de la théologie? Merci d’avance pour ton avis succinct et circonstancié!
La religion peut être incroyablement lucrative parfois, et le meilleur exemple de ça est le Vatican. Plus petite nation souveraine du monde, avec une superficie de seulement 0,44 km², le Vatican se garde bien de mettre en avant sa véritable fortune car qui irait donner de l’argent à l’une des plus riches organisations du monde? D’ailleurs, feu le pape, à l’occasion de la Journée mondiale des pauvres, en 2020, n’affirmait-il pas que « les pauvres sont le trésor de l’Eglise »?
C’est intéressant puisque en 2021, l’Église catholique annonçait être en déficit alors que rien qu’en Australie, par exemple, elle disposait d’un patrimoine de 30 milliards de dollars. On peut s’amuser à faire une estimation très grossière en divisant cette somme par les 5,5 millions de catholiques vivant en Australie pour dire qu’en moyenne l’Église gagne environ 5400$ par fidèle. Sachant qu’il y a 372 millions de catholiques en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie, cela signifierai que l’église catholique a un peu plus de 2000 milliards de dollars de richesse, en prenant en compte uniquement les principaux pays occidentaux.
Mais même sans s’amuser à faire des estimations, le Vatican est un des plus redoutables acteurs économiques qui soit, avec un portefeuille financier totalisant l’équivalent de 5,6 milliards de dollars en 1970 et environ 10 milliards dans les années 80. S’ajoute à cela le fait que l’Église possède énormément de biens immobiliers, dont des églises évidemment, mais aussi des tonnes de propriétés acquises ou reçues (donations) des fidèles au cours des siècles. Étant l’une des institutions les plus stables de l’histoire, l’Église catholique peut alors contracter des prêts à des taux extrêmement favorables en utilisant ces propriétés comme garantie. Cet argent peut à son tour être investi dans un certain nombre de placements qui rapportent suffisamment pour couvrir facilement les intérêts et ainsi faire encore plus d’argent. Et ils ont pu faire ça décennie après décennie, siècle après siècle.
Le Vatican devient naturellement l’organisation ultime qui a résisté à l’épreuve du temps comme aucune autre ! Même si le Vatican a des milliards de dollars aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi. Des siècles avant que l’église catholique ne devienne une holding capitaliste, le Vatican était un empire séculier dont l’existence n’était pas directement liée au catholicisme. Les papes étaient avant tout les rois du Vatican et agissaient également en tant que chefs suprêmes de l’Église romaine en Italie. A l’époque des papes rois, le Vatican contrôlait plus de 39 000 km² de terres en Italie, appelées états pontificaux. Et autant de fidèles [« des serfs »] reçus en héritages. Le fait d’avoir autant de terres aidait grandement à la gestion de l’une des cours les plus luxueuses d’Europe, les impôts des fidèles servant principalement à maintenir le style de vie des rois-papes et de leurs cardinaux.
Au fil du temps, les impôts ne suffisaient plus à financer le style de vie somptueux auquel les responsables de l’Église s’étaient habitués mais le pape imposait déjà les états pontificaux en prélevant des taxes pour le commerce et vendait la plupart de la production régionale. Il fallait donc trouver un nouveau moyen de gagner de l’argent rapidement. C’est là que les dirigeants du Vatican auront un éclair de génie. Ils remarquent que la plupart des ressources naturelles vendues sont limités en quantité [des économistes et financiers dans l’âme avec la bénédiction des fidèles ayant un amour inconditionnel à cette forme de servitude]. Le concept économique était donc simple puisque le pape était le représentant de Dieu sur terre et qu’il avait des milliers de fidèles. Il peut leur vendre un moyen de réduire les punitions qu’ils recevraient pour leurs péchés. Après tout, des années de pénitence et de peur du purgatoire avaient rendu les gens terrifiés par la colère de Dieu [gouverner par la peur] alors payer quelques sous pour ne pas brûler en enfer éternellement était une excellente affaire. L’Église a donc commencé à vendre des indulgences, des sortes de garanties qui feraient que Dieu ne punirait pas trop ceux qui les achètent. Le commerce des indulgences a permis au Vatican de réaliser des profits encore jamais vu auparavant, et de les maintenir pendant plus de 1000 ans jusqu’à ce que la révolution française de 1789 ne vienne tout chambouler. D’ailleurs, Napoléon exigera un énorme tribut de la part du Vatican chaque année avant que d’autres dirigeants européens ne commencent à faire de même. Plus les états européens demandaient d’argent au Vatican, plus les taxes sur les états papaux ne cessaient d’augmenter, avant que le Vatican ne trouve une solution, le peuple s’est rebellé.
En 1848, une foule s’est massée dans la ville du Vatican et a assassiné le premier ministre papal. Le peuple des États pontificaux en a assez d’être traité comme une réserve d’argent et le Vatican s’endette massivement. Désespéré, le pape doit prendre une décision difficile et va demander de l’aide à une famille de banquiers [accord d’un prêt qui servira à couvrir le budget du Vatican pendant une année entière] mais en 1870, les Italiens envahiront Rome et mettront fin au contrôle du Vatican sur les États pontificaux. Les 39 000 km² contrôlés par le Vatican seront réduits à un ridicule 0,44 km². Les milliers de sujets que le Vatican pouvait imposer ne sont désormais plus qu’environ 700. L’immense empire papal était tombé et était devenu la ville du Vatican que nous connaissons aujourd’hui. Pendant un certain temps, les investissements du Vatican ont été couronnés de succès mais en 1887, le marché de l’immobilier s’effondre et le Vatican revient à la case départ. A ce moment là, l’Église décide d’investir plus que jamais. Puis, la première guerre mondiale [WW1] éclate et les principes moraux seront à nouveau supplantés par les principes économiques, dont les investissements par l’Église dans les fabriques d’armements au grand dam des fidèles. En 1933, le Vatican perdait à lors environ 100 millions de lires par an et, pour éviter la faillite, le pape finira par engager un conseiller financier qui l’aidera à réaliser des investissements plus diversifiés. C’est ainsi que débutera une nouvelle période de prospérité [quant à l’origine des flux financiers] pour l’Église, ainsi que toutes « relations politiques incestueuses » [durant WW2] qui lui seront prêtées.
À juste titre car le conseiller financier du pape fera une proposition financière à l’époque. Construire une banque au Vatican ! Après tout, le Vatican est son propre pays, alors pourquoi n’aurait-il pas une banque nationale ? Cette banque, ne figurant sur aucune liste noire, n’était donc pas soumise aux réglementations de guerre et pouvait opérer partout dans le monde sans afficher ses bénéfices, ses bilans ou justifier la provenance de son argent. De plus, elle n’avait qu’un seul actionnaire : le pape. Désormais, le Vatican pouvait accepter tout l’argent possible « les yeux fermés ». Au milieu des années 50, l’Église comptait 600 millions de membres et dépendait principalement des dons pour fonctionner et investir et ça continue toujours aujourd’hui – après avoir quasiment triplé le nombre de fidèles des années 50 – alors même que l’archevêque actuel de New York serait à lui seul le plus grand propriétaire foncier de Manhattan.
Aujourd’hui, l’État du Vatican peut être considérer comme « la combinaison parfaite entre une banque centrale, un fond offshore et un fond spéculatif ».
Bien à toi
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