
Si seulement nous étions tous japonais !
Les économistes et banquiers de ma génération avaient l’habitude plaisanter en subdivisant le monde selon quatre type d’économies : développées, en voie de développement, l’Argentine et le Japon. Il convient, cependant, de mettre à jour cette blague quelque peu simpliste et caricaturale en supprimant le Japon de la liste des aberrations économiques. Il revient pourtant de loin.
De manière tout à fait invraisemblable, le marché immobilier japonais – dont la valeur fut multipliée par 6 en une décennie – valait à lui seul en 1990 le double de l’ensemble du marché immobilier américain ! L’indice boursier Nikkei, quant à lui, devait flamber de 40’000 % entre 1949 et 1989. C’est simple : les capitalisations nippones valaient elles aussi le double des capitalisations US à la fin des années 1980…avant de s’effondrer de 80% pour atteindre le fond des abîmes en 2003. L’immobilier (principalement commercial) implosa pour perdre progressivement pas moins de 90% de sa valeur, entraînant avec lui et en toute logique le secteur bancaire dont les portefeuilles hypothécaires étaient massifs. Les industries japonaises, elles aussi friandes d’investissements immobiliers, furent sévèrement affectées. Si bien que l’effet combiné de la liquéfaction immobilière, des pertes bancaires pharaoniques et substantielles du secteur industriel provoquèrent l’implosion boursière accompagnée d’une crise économique et financière sans précédent dans l’Histoire mondiale.
Ces épisodes dramatiques appartiennent néanmoins au passé grâce à un homme, Shinzo Abe, qui se trouve être le Premier Ministre ayant le plus longtemps été en poste au Japon. Son exceptionnel volontarisme et son programme original fondé sur les « 3 flèches » a enfin permis au pays de se sortir par le haut de sa double décennie perdue, de rompre la spirale déflationniste, de renouer avec la croissance, de stabiliser le ratio dette publique / P.I.B. Il n’a pas inventé la poudre Abe, mais a eu le courage d’appliquer un programme fondamentalement keynésien consistant à augmenter la dépense publique, à maintenir (par sa banque centrale interposée) une politique monétaire hyper laxiste, tout en mettant énergiquement en branle des réformes structurelles autorisant l’assainissement à long terme de son économie.
Un des piliers de ces réformes de structure étant sa détermination à mettre les japonaises au travail – qui en étaient largement exclues jusque-là – tant et si bien que la participation des femmes au marché du travail est aujourd’hui plus importante au Japon qu’aux Etats-Unis ! L’autre pilier ayant été le prolongement de la durée du travail des seniors allant de pair avec l’amélioration de l’espérance et de la qualité de vie. Le résultat est éloquent car le quart des plus de 65 ans est toujours actif actuellement au Japon, contre à peine 5% des plus de 65 ans ayant encore un emploi en France…Le Japon est donc un pionnier : il a fait confiance à son peuple qui le lui a rendu, et son exemple devrait inspirer nombre de nations développées.
Sa banque centrale n’a pas hésité à s’aventurer en territoire inconnu en rendant ses taux directeurs négatifs, et même à acheter des actions cotées en bourse afin de soutenir son économie et maîtriser ses taux longs. Le pouvoir d’achat des japonais ne cesse pas de croître, permettant du même coup de résorber les inégalités. Tandis que l’Europe ressemble de plus en plus au Japon des années 1990, que ses dirigeants daignent seulement s’intéresser à ce qu’à accompli Shinzo Abe en moins d’un septennat.
Oui…mais le problème fondamental du Japon est le manque de main d’oeuvre avec la chute démographique . Faire travailler les femmes et les vieux est un pis-aller, non ? Rien de comparable en France.
Tout est relatif. Le World Happiness Report 2019 classe le Japon au 58e rang des pays les plus heureux du monde. Et avec une pension moyenne de 500 € pour 40 ans de cotisation pour la tranche des seniors employés dans le secteur privé – induisant une précarité galopante – le Premier ministre Shinzo ABE a bien annoncé de nombreuses mesures politiques pour faire face au problème du vieillissement de la population avec notamment la promesse d’investir plus de 16 milliards d’euros mais sans que l’on sache exactement quelles formes prendront ces investissements. Toutefois, une des mesures prises récemment par le gouvernement ABE est, sur la base du « volontariat » de partir à la retraite jusqu’à 80 ans pour les fonctionnaires avec la promesse d’une pension plus élevée qu’en partant à 70 ans (qui est l’âge maximum actuel). Nous sommes donc bien loin de « la robotisation heureuse » ou du « facteur travail comme valeur périmée »!
https://worldhappiness.report/ed/2019/
Les abenomics ne sont donc pas exactement ce qui était affiché. C’est une politique plus orthodoxe qu’on ne le dit : un peu d’austérité budgétaire compensée par une politique monétaire expansionniste (qui a bénéficié aux exportations en faisant baisser le yen) joint à un peu de réformes structurelles. Si vous lisiez un manuel d’économie complètement orthodoxe, c’est exactement ce que vous y trouveriez comme préconisation.
https://blog.francetvinfo.fr/classe-eco/2018/03/08/peut-on-sinspirer-du-succes-japonais.html
Ce que vous dîtes est très juste dans l’ensemble, et va avec les événements que le Japon a vécu en cette période charnière que furent les années 1980 et l’explosion de la crise immobilière et financière du Japon au début des années 1990.
Vous dîtes « provoquèrent l’implosion boursière accompagnée d’une crise économique et financière sans précédent dans l’Histoire mondiale. » Je regrette de vous contredire mais la crise japonaise suivie de la dépression économique qui a duré a un précédent, la crise financière américaine de 1929 et la dépression des années 1930. C’est un peu le cas du Japon, ce qui explique les difficultés auxquelles il a fait face et continue encore aujourd’hui.
Quant à « Son exceptionnel volontarisme et son programme original fondé sur les « 3 flèches » a enfin permis au pays de se sortir par le haut de sa double décennie perdue, de rompre la spirale déflationniste, de renouer avec la croissance, de stabiliser le ratio dette publique / P.I.B. Il n’a pas inventé la poudre Abe, mais a eu le courage d’appliquer un programme fondamentalement keynésien consistant à augmenter la dépense publique, à maintenir (par sa banque centrale interposée) une politique monétaire hyper laxiste, tout en mettant énergiquement en branle des réformes structurelles autorisant l’assainissement à long terme de son économie. », vous ne mentionnez pas d’où vient la politique monétaire hyper laxiste. Parce que si c’était le cas, on aurait un yen qui aurait fortement dévissé, par exemple, par rapport au dollar.
Or, si on regarde l’historique du taux de change dollar/yen, on voit qu’au contraire il ne dévisse pas, bien au contraire, il s’apprécie. Le taux de change dollar/yen passe de près de 120 yens, en 2014, à près de 109 yens, en 2019. Il y a donc un non-sens dans ce que vous dîtes de politique hyper laxiste. Cela ne signifie que c’est faux ce que vous dîtes est faux, bien au contraire, c’est très juste, mais vous n’expliquez pas le paradoxe entre une politique hyper laxiste menée par la Banque du Japon et le raffermissement du yen depuis quatre ans, i.e. 2015-2019.
Vous dîtes encore « Le Japon est donc un pionnier : il a fait confiance à son peuple qui le lui a rendu, et son exemple devrait inspirer nombre de nations développées.
Sa banque centrale n’a pas hésité à s’aventurer en territoire inconnu en rendant ses taux directeurs négatifs, et même à acheter des actions cotées en bourse afin de soutenir son économie et maîtriser ses taux longs. Le pouvoir d’achat des japonais ne cesse pas de croître, permettant du même coup de résorber les inégalités. Tandis que l’Europe ressemble de plus en plus au Japon des années 1990, que ses dirigeants daignent seulement s’intéresser à ce qu’à accompli Shinzo Abe en moins d’un septennat. »
D’accord avec vous pour le Japon. Mais êtes-vous sûr que l’Eurozone ne fait pas la même chose que le Japon ? Et peut-être que vous ne voyez pas ce que fait l’Europe sur le plan monétaire ? J’espère que mon analyse va certainement vous faire réfléchir, et peut-être que vous n’avez pas raison. Comme, par exemple, le paradoxe du yen qui normalement doit se déprécier alors qu’il s’apprécie.
Cordialement
Je vous remercie de votre réponse argumentée et construite.
Bien-sûr que l’Europe fait pareil!
Quant au Yen, il représente une valeur refuge sur les marchés et évolue (un peu comme le franc suisse) au gré des aléas.
Je reviens encore sur cette politique hyper laxiste du Japon qui est comme vous dîtes n’est pas l’apanage du seul Japon. Oui, l’Europe fait pareil, ce qui signifie la BCE et aussi la BoE. Et bien sûr la Fed qui est en quelque sorte le chef d’orchestre de l’ordre monétaire mondial.
On peut joindre la Chine, mais à mon sens, c’est trop tôt tant que le yuan ne flotte pas librement sur les marchés monétaires. Bien sûr la Chine est devenue véritablement un péril ou à défaut un gêneur réel dans les manipulations monétaires occidentales. Cependant les grandes Banques centrales ne se gênent pas pour imposer leur diktat. D’ailleurs, un diktat qui s’assimile plus comme « autodéfense » que diktat. Il y a véritablement une « guerre monétaire » dans le monde qui a commencé depuis la double crise immobilière devenue financière de 2007 à 2008, et qui n’est pas très perceptible. Mais elle commence à faire des ravages doucement mais sûrement à moins que des événements à venir n’en changent les donnes.
Et comme vous dîtes « Shinzo Abe, qui se trouve être le Premier Ministre ayant le plus longtemps été en poste au Japon. Son exceptionnel volontarisme et son programme original fondé sur les « 3 flèches » a enfin permis au pays de se sortir par le haut de sa double décennie perdue, de rompre la spirale déflationniste, de renouer avec la croissance, de stabiliser le ratio dette publique / P.I.B. Il n’a pas inventé la poudre Abe, mais a eu le courage d’appliquer un programme fondamentalement keynésien consistant à augmenter la dépense publique, à maintenir (par sa banque centrale interposée) une politique monétaire hyper laxiste, tout en mettant énergiquement en branle des réformes structurelles autorisant l’assainissement à long terme de son économie. »
Je veux simplement corriger et permettez-moi de vous contredire encore, que c’est vrai que « le Yen constitue une valeur refuge sur les marchés », il demeure cependant qu’il est loin de charrier tant d’investisseurs internationaux au point qu’il vient barrer la route à l’inflation que susciterait inévitablement la politique monétaire hyper laxiste du Japon.
D’autant plus que la dette du japon est détenue essentiellement par des nationaux, et d’après les chiffres officiels, les détenteurs étrangers comptent pour environ 6 % de la dette publique. Et le premier détenteur de la dette du Japon est la Banque du Japon. Comme il en va de même pour les Banques centrales américaine et européennes.
Sauf que tout ce processus revient à la formidable politique monétaire non conventionnelle, menée depuis 2008. Et c’est précisément les quantitative easing qui permettent ce paradoxe injecter des liquidités massives sans pour cela affaiblir le yen. Bien plus, il s’apprécie. Je pense que vous comprenez bien que le Japon n’agit pas seul sur le plan monétaire mais en concertation avec les trois autres Banques centrales occidentales, y compris la Banque de Suisse.
Et c’est pour cela que vous dîtes, je suppose, que « Abe n’a pas inventé la poudre ».
Voilà, je ne sais si ma vision rejoint la vôtre. Merci pour votre réponse