Les tariffs vaudous de Trump

«Ils sont à l’économie ce que le créationnisme est à la biologie et ce que l’astrologie est à l’astronomie», tweet de Larry Summers, ancien Secrétaire d’Etat US au Trésor. Formule qui illustre la fantaisie extrême – voire la débilité profonde – des droits de douane imposés par l’administration Trump.
Pourquoi le Lesotho, une des nations les plus démunies d’Afrique – et donc du monde – au P.I.B. annuel de 2.1 milliards de dollars/an vient-il ainsi de se voir imposer un des «tariffs» les plus élevés au monde, soit 50% ? Le Lesotho pratique-t-il une extorsion quelconque à l’encontre des Etats-Unis, dont l’argument dit et répété est qu’ils ne font qu’appliquer la réciprocité en termes de droits de douane ? Certes membre de l’Union douanière d’Afrique australe qui applique un barème commun, le Lesotho impose les mêmes droits à l’importation de marchandises US que les autres pays auxquels il est associé comme membres de cette Union, à savoir le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie, l’Eswatini. Dès lors, nous comprenons la logique américaine de taxer à l’identique les pays appartenant à une même association douanière.
Pas du tout ! Car ses membres ne sont pas logés à la même enseigne puisqu’ils écopent de respectivement 37, 30, 21 et 10%. Mais que se passe-t-il donc avec le Lesotho, nettement moins bien traité que ses confrères de l’Union ? Eh bien, il exporte annuellement en direction des USA pour environ 240 millions $, principalement en diamants, alors qu’il n’ importe qu’à hauteur de 7 millions de biens US. Ce pays pratique-t-il de quelconques manœuvres déloyales le conduisant à afficher un large excédent commercial avec les Etats-Unis ? En réalité, dans une nation où plus de la moitié de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, et dispose d’un revenu annuel inférieur à 1’000 $, soit moins de 3 $/jour, quasiment personne ne peut se permettre d’acheter un iPhone, encore moins une Tesla.
Ces tariffs américains n’obéissent donc pas à une quelconque logique de réciprocité. Ils ne sont pas une réaction aux droits perçus par un pays tiers sur les exportations américaines. Ils sont basés sur le montant du déficit subi par les Etats-Unis par rapport à chaque pays, qui plus est à l’aide d’une méthode de calcul primitive. Comme les USA entretiennent avec le Lesotho un déficit de quasiment 100%, ils lui appliquent en conséquence un tariff «discounté» de 50%. Mais pourquoi ces pays visés par ces taxes manifestent-ils un tel mécontentement, alors que les USA ne daignent même pas leur imposer la réciprocité, mais se montrent généreux, voire magnanimes, en divisant par deux le tarif qu’ils devraient en théorie appliquer ?
Je ne vois, quant à moi, que deux solutions pour équilibrer le déficit commercial des Etats-Unis avec le Lesotho : que les premiers importent moins de diamants, permettre aux seconds d’accéder à un niveau de vie les autorisant de s’acheter des gadgets américains.
Cette situation surréaliste prévaut également pour St. Pierre et Miquelon (5’819 habitants) contraints de payer 50%, pour exporter principalement de la langouste en direction des Etats-Unis. Pour mémoire, l’algorithme employé par les autorités américaines avait initialement suggéré un tarif de 99% à l’encontre de St. Pierre et Miquelon…
A travers ces exemples, certes extrêmes, plusieurs constatations. Ces tariffs n’amélioreront pas l’industrialisation américaine car pas plus le Lesotho que St.Pierre ne constituent de menace pour les excédents dont ils bénéficient et qui sont de nature structurelle. Ils aggraveront immanquablement la situation déjà désastreuse de ces nations, car leurs citoyens seront encore moins capable de se payer des biens américains dont les prix seront majorés de 50% ! Ces mesures appauvriront davantage les pays défavorisés. Elles sont une volte-face cinglante de la stratégie US qui a enseigné des décennies durant que la pauvreté sera éradiquée grâce aux effets conjugués de soutiens financiers (disparus avec USAID) et du commerce.
Il va de soi qu’une refondation des alliances au sein des nations africaines, et par-delà dans le monde entier, sera une des conséquences immédiates de ces tariffs américains. L’AFRICOM (United States Africa Command), qui supervise les opérations militaires et la coopération en matière de sécurité en Afrique, a pour objectif de promouvoir la paix, la stabilité et les partenariats sur le continent. Son commandant, le Général Langley, vient de mettre en garde car la Chine tente désormais de répliquer les programmes d’entraides US envers l’Afrique, les «utilisant comme une extension de son Initiative de la Ceinture et de la Route (Belt and Road)».
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Les États-Unis ont déclaré une guerre mondiale “systémique” [économique; monétaire; sociétale; climatique; sécuritaire] à quoi bon finalement de savoir combien de balles le trouffion va-t-il recevoir dans le coffre si au final on sait qu’il y laissera sa peau ou passablement de membres. En Occident, il nous faut rapidement nous réorganiser en créant de nouvelles alliances [même contre nature au premier abord] pour enfin nous affranchir du diktat étasunien sous toutes ses formes. Une vassalisation [essentiellement dogmatique] qui nous a déjà passablement coûté chère ces cinquante dernières années.
Nous ne comptons plus le nombre de génuflextions à l’égard de ce “seigneur et maître” [les États-Unis] ni tous nos bijoux de famille lui étant concédés au fil des ans. Nous avons été jusqu’à spéculer sur son hypothétique protectorat et avons même poussé le bouchon en suivant leurs mantras idéologiques à la lettre, quitte à devoir dévoyer le pluralisme des “sciences économiques” au sein de l’Alma Mater. Autant dire, Oui, extirpé brutalement du syndrome de Stokholm, ça fait mal à présent! Et pourtant, à une certaine époque au sortir de WW2, nous avions le choix de notre destinée sur le Vieux Continent (sans oublier notre Salut aux Etats-Unis) sans devoir nous contraindre ad vitam æternam, surtout que nous n’ignorions rien des pratiques belligérantes américaines sur l’ensemble de la planète, et encore une fois à dessein. Paradoxalement, même l’Empire du Milieu – à sa façon – aura fini par céder à ce chant des sirènes en se calquent à une version hybride de la “Supply-Side Economics”, pariant que le Monde lui offrirait tous les débouchés (loi des débouchés) possibles, alors que [déjà] la demande intérieure chinoise [consommation domestique de biens et services] ne suffisait à absorber raisonnablement la production domestique [rationnellement parlant]. C’est dire !
Est-ce à dire également que depuis des décennies, nous ne comptons plus le nombre de “Prix d’économie” en mémoire d’Alfred Nobel décerné chaque année par la Banque centrale de Suède à des économistes américains.
Mais, en fait, il ne s’agit pas d’un vrai Prix Nobel, étant donné que les membres de l’Académie royale suédoise des sciences (à qui revient la décision de nommer les récipiendaires du Prix de la banque centrale suédoise en la mémoire d’Alfred Nobel) ont toujours refusé de considérer qu’une science sociale, comme l’économie, a «une nature suffisamment “scientifique” pour justifier l’octroi d’un prix de ce type à côté de “sciences exactes” telles que la physique et la chimie» (Lindbeck 1985, p. 38, nous traduisons). Alfred Nobel, lui-même, ne considérait pas l”’économie” comme une discipline scientifique méritant un Prix parmi ceux qu’il institua par son testament de 1895. C’est dire encore ! Ce fut seulement en 1968 que la Banque centrale suédoise (eh oui, une Banque!) décida d’instituer un Prix annuel en mémoire d’Alfred Nobel, lors du 300ème anniversaire de cette autorité monétaire. Cette attitude (en pleine contre révolution des “sciences économiques” lors d’une ère tournée vers la financiarisation de l’économie réelle, chère aux chantres du néo-libéralisme et de l’ultra-libéralisme) a poussé une majorité grandissante d’économistes à se concentrer sur la «mathématisation» de l’analyse économique, afin de «hisser» la science économique au rang des «sciences exactes» dont la physique représente le sommet parmi les sciences naturelles. Cette trajectoire d’évolution de la science économique a toutefois atteint des niveaux extravagants, parce qu’elle a vidé de tout contenu économique les travaux soi-disant «scientifiques» des économistes mathématiques contemporains.
Cette dérive de la «science» économique fut déjà responsable, en dernière analyse, de la crise systémique éclatée en 2008 au plan global. Or, les économistes qui continuent toujours de prolonger celle-ci par leurs contributions à celle-là sont également à l’origine d’un phénomène alarmant pour la pluralité scientifique, nécessaire au progrès des connaissances et à la solution des problèmes contemporains. En France, par exemple, une analyse statistique a montré que seuls 6 professeurs sur les 120 nommés durant la période 2005 – 2011 ne furent pas issus du courant dominant (qu’il est coutume d’appeler «mainstream» en langue française). On mesure également les résultats en 2025 ! Cette absence de pluralisme devait déjà interpeler – post “Grande Récession” de 2008 – ceux qui s’intéressent au bien commun et à la cohésion sociale. Les politiciens et les instances académiques ont (avaient) les compétences pour empêcher la fin du pluralisme en économie (et pourtant!) afin que celle-ci (re)devienne une science qui se préoccupe des questions d’ordre économique au lieu de s’occuper de la résolution de problèmes mathématiques. C’est dire encore et encore… Dans le cas contraire, l’évidence empirique continuera à montrer de manière implacable que, en économie comme en nature, «seuls les poissons morts suivent le courant [dominant]» (proverbe chinois).
Enfin, si initialement plusieurs économistes de taille furent récompensés par le Prix de la Banque centrale suédoise, à partir de la fin des années 1980 (post 1971 – fin des Accord de Bretton Woods et post 1980 – libéralisation des taux d’intérêt avec l’ère de la financiarisation) on constate une baisse considérable du niveau scientifique des travaux récompensés par ce soi-disant Prix Nobel. En 2021, par exemple, ce Prix a été attribué à un économiste qui a découvert l’eau chaude (pour utiliser un euphémisme) et à deux autres chercheurs qui considèrent l’économie comme une science exacte à l’instar de la physique ou des mathématiques. L’assimilation de l’analyse économique à une science pure et dure comme la physique – qui a des lois immuables dans le temps et dans l’espace – est une hérésie car il s’agit d’une faute méthodologique très grave, parce qu’elle dénature l’approche qu’il faut utiliser et conduit à des choix de politique économique fondamentalement erronés, qui dès lors ne peuvent aucunement résoudre les problèmes économiques du monde réel, bien plus complexe que ce que les modèles mathématiques les plus sophistiqués peuvent représenter.
De quoi conduire à des scénarii aussi débiles que ceux poursuivis à présent par l’administration Trump and Co !
Ce n’est non plus, et certainement pas aussi, à travers la récolte de données suite à des sondages auprès d’un échantillon (bien que «représentatif») de la population qu’il est logiquement possible d’arriver à des conclusions d’ordre macroéconomique, entendez qui concernent l’ensemble des agents au sein du système économique considéré. Or, la «science économique» contemporaine est établie sur la base des données qui, suivant des méthodologies parascientifiques, sont récoltées sur le terrain, avec la prétention que les données ne mentent jamais. Une autre hérésie, car en réalité, bien des économistes académiciens partent des conclusions qu’ils veulent obtenir, afin de définir le périmètre des données à récolter et la méthodologie à utiliser pour «démontrer» leurs propres hypothèses, ne serait-ce que pour obtenir un soi-disant Prix Nobel.
Alfred Nobel est sans doute en train de se retourner dans sa tombe, certes. Et ce n’est pas uniquement à partir de 2025 – investiture Trump – que les États-Unis ont planifié une guerre mondiale à dessein, sauf qu’aujourd’hui ils ont levé le voile !