Toutes les dettes ne seront pas payées
L’Histoire est condamnée à se répéter. Depuis la nuit des temps, l’enrichissement des uns s’est toujours pratiqué au détriment des autres. Les inégalités sont souvent décrites comme un effet collatéral quasi-mécanique de la prospérité et des innovations, pourtant censées profiter à la communauté. Ces progrès se matérialisent la plupart du temps au détriment des plus fragilisés. Parmi les leviers activés à travers les âges pour gonfler la fortune d’une infime minorité, la dette bénéficie d’une place de choix. Depuis l’Antiquité, l’incapacité des débiteurs à pouvoir l’assumer fut prétexte à saisir leurs biens, leur habitation, leurs champs, en finalité leur liberté ! David Graeber («Dette, 5000 ans d’histoire») rappelle que le terme de «liberté» fut d’abord «amargi» en sumérien, c’est-à-dire «libéré de la dette».
La mise sous tutelle – parfois l’esclavage pur et simple – de ceux qui, tout au long de l’Histoire humaine, se sont avérés défaillants dans le remboursement de leur dette fut un des plus sûrs moyens – pour d’autres – de construire leurs richesses, de consolider leur pouvoir. Les Etats eux-mêmes durent régulièrement s’incliner – et pas que dans l’Histoire antique! – face à des créanciers inflexibles. Forçant nombre de nations à privatiser leurs biens publics, à étouffer leurs citoyens sous la chape de plomb de l’austérité, dont les effets combinés ont permis l’émergence de fortunes privées démesurées. La masse des endettements confère systématiquement à quelques heureux élus pouvoir et richesse.
Peut-être est-il temps de réintroduire une notion qui terrorise nos sociétés modernes, qui leur est intellectuellement insupportable? L’Histoire des civilisations babylonienne, sumérienne, grecque, romaine nous l’a pourtant enseigné en de multiples reprises. Toutes les dettes ne seront pas payées.
Quatre annulations générales de dette sous le règne d’Hammourabi (1792, 1780, 1771 et 1762 av. J.-C.). Celles ayant même eu lieu, six siècles avant lui, dans la cité de Lagash (Sumer). La trentaine d’annulations générales de dette en Mésopotamie entre 2400 et 1400 av. La Pierre de Rosette comporte un texte écrit en hiéroglyphes, en démotique (écriture cursive de l’égyptien) et en grec dévoile en substance un décret du 27 mars 196 av. J.-C. du pharaon Ptolémée V qui annonce une amnistie pour les débiteurs. L’Histoire du judaïsme proclame régulièrement l’annulation des dettes de certains juifs à l’égard de leurs riches compatriotes. Deutéronome, alinéa 15 : «Tous les sept ans, tu feras relâche. Tout créancier qui aura fait un prêt à son prochain se relâchera de son droit, il ne pressera pas son prochain et son frère pour le paiement de sa dette.» Souvenons-nous à cet égard de la tradition juive qui prônait un Jubilé, autrement dit une année spéciale célébrée tous les 50 ans, marquée par le repos de la terre, la remise des dettes et la libération des esclaves (Lévitique 25). L’Evangile de Luc décrit un Jésus qui, revenant à Nazareth, ouvre le Grand Rouleau d’Isaïe au verset 61 pour annoncer un Jubilé en faveur des pauvres, au grand dam des Pharisiens détenteurs du pouvoir financier à l’époque.
Ces actes concrets soulageaient les populations, autorisaient les princes régnants à raffermir leur position face aux créanciers de l’époque. Qui s’opposaient évidemment par tous les moyens à l’effacement périodique des dettes les empêchant de s’enrichir davantage. Comment se fait-il que la plupart des paraboles de Jésus concernant les dettes ne soient plus enseignées? Pourquoi «dette» fut remplacé par «péché» dans le «Notre père qui êtes au Cieux» ? Dans l’évangile selon Matthieu (6:12), le mot grec original est opheilēmata, et signifie littéralement “dettes”.
Dans le contexte 2025 où la quasi-totalité des dettes est due à moins de 1% de la population mondiale, il n’est vraiment pas surprenant que les épisodes cruciaux d’effacement des dettes ayant jalonné l’Histoire humaine soient évacués, reniés. Il n’est évidemment pas dans l’intérêt de certains d’alléger le fardeau. C’est entendu : le capitalisme ne peut prospérer sans appât du gain. Il va cependant droit vers son auto destruction s’il s’entête à ce que 99% d’entre nous soient ses victimes sacrificielles.
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Le Techno-féodalisme a supplanté le capitalisme et la France d’aujourd’hui est son illustration.
L’Histoire nous rappelle ô combien un régime d'”économie politique” [Dominium] aura permis “un pouvoir fort à la fois sur les hommes de jadis et sur la terre”. Autrefois, le paysan est attaché à “la glèbe”, à la terre de son maître-protecteur, y vit, y travaille, mais ne peut la quitter; en revanche son maître-protecteur peut le chasser. Son maître-protecteur, en échange du labeur effectué [le servage] sur ses propres terres, prélévera à ce serf [gueux; sans-dents; indigent..]une partie de la production paysanne: la dîme.
Effectivement, en sus du labeur, les serfs seront contraints d’effectuer aussi des “corvées” – une période baignée par l’obscurantisme où les jours fériés ne se révéleront vraiment qu’à l’aube du siècle des Lumières – donc un travail gratuit durant certains cycles de l’année en faveur de leur maître-protecteur. “Dans ce système, les serviteurs et les travailleurs de rangs variables payaient pour le privilège de ne rien posséder et de travailler sur un territoire entièrement contrôlé par une personne ou une entité qui disposait d’un pouvoir absolu [divin] sur les résidents et ne rendait pas ou peu de comptes à qui que ce soit”
Pas d’opposition !!!
A différents niveaux, au sein de ce régime d'”économie politique” [par abus de langage], on observe une logique d’appropriation résolument différente de la logique Capitaliste selon les pères fondateurs qui, si elle n’exclut pas l’exploitation, l’extorsion de la plus-value prend cependant une forme contractuelle, en ce sens qu’à défaut de pouvoir échapper à l’exploitation, le travailleur peut circuler et choisir son propre exploiteur [*]. Nous l’avons bien compris, l'”économie féodale” d’antan se caractérisait par l’absence d’investissements productifs majeurs, car les ressources prélevées seront d’abord dilapidées pour festoyer dans l’entre-soi et consumées pour la guerre que se livreront les maîtres-protecteurs [des seigneurs, du Clergé jusqu’aux chevaliers du Temple].
Tandis que le solde des richesses [et des patrimoines] pillées par des seigneurs et chevaliers partis se battre en Terre Sainte – dont il fallait préalablement assurer succession de leur fief [et patrimoines] à leur descendance – trouver “des gardiens” dignes de confiance était une mission de tous les instants. C’est ainsi qu’apparu la première fois un procédé juridique, ancêtre du trust, appelé “use”. Le chevalier [ou le seigneur] dispose ainsi d’un droit sur le fief, appellé le “feofor”. Il confie son fief à un ou plusieurs amis, dits “feofees”, avec pour consigne de l’entretenir et de le transmettre à l’héritier majeur, appelé le “cestui que use”. L’habitude se prend alors d’employer ce procédé afin d’effectuer des donations et ce faisant contourner l’imposition [déjà!].
Le manque à gagner était alors important pour le trésor royal, ce qui fit que Henri VIII finira par interdire les “uses” en 1535. Mais les juristes [déjà] anglais échafaudèrent alors un mécanisme similaire dénommé “Trust” [toujours d’actualité en 2025, bien évidemment]. Dans ce système, un “settlor” cède alors ses droits à des “trustees” au bénéfice d’un “beneficiary”. Au 17ème siècle les “Rules of Perpetuity” exigent que les “beneficiaries” soient des personnes vivantes ou susceptibles de naître rapidement et fixent la durée d’un “trust” à deux générations maximum. Cette limite sera supprimée en 1601 par la reine Élisabeth Ière pour les trusts charitables, comme par exemple le “National Trust”, équivalent britannique des “Monuments nationaux”.
Toutefois, plus récemment dans l’Histoire, le glissement sémantique du “trust”, de mécanisme juridique à celui de montage économique et financier est dû à l’américain John D. Rockfeller. L’idée du fondateur de la “Standard Oil Company” fut de s’adresser directement aux petits actionnaires des sociétés concurrentes, en leur proposant de lui céder leur droit de vote. En tant que bénéficiaires, ils continuaient de toucher les dividendes ; et en tant que “trustee”, c’est Rockfeller qui en assurait la gestion. Dès lors, le trust est devenu synonyme de regroupement de sociétés. Dans le but de lutter contre les pratiques nuisant à la libre concurrence, le Congrès américain votera en 1890 le “Sherman Anti-Trust Act”, interdisant notamment les monopoles. Une importante campagne de presse sera montée par des exploitants ruinés pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation de la “Standard Oil”, enregistrant alors un chiffre d’affaire annuel de plus de 1 000 milliards de dollars au cours actuel. Le Département d’État engagera en 1911 des poursuites contre la société de Rockfeller. Sans annihiler toutefois la mécanique infernale des trusts sur les fonds publics, ou autres mécanismes visant à spolier les deniers publics [donc les prérogatives de l’État]. Eh oui, rien à véritablement évolué depuis, si ce n’est l’évolution des pratiques controversées [plus conventionnelles] vers le statut de la “Holding”. En plus clair, c’est-à-dire en pillant l’Intérêt général et le bien commun en contrepartie d’un océan de dettes comme héritage transmis à tout un océan de serfs!
[*] Il s’agit là d’un euphémisme puisqu’à l’ère de la digitalisation, du numérique, de l’IA et des monnaies numériques de banques centrales [“Cashless”] le Capitalisme a été supplanté au profit d’un nouveau modèle d'”économie et de politique” : Le Techno-féodalisme.
Un modèle qui n’aurait d’ailleurs pu voir le jour sans la trahison “des Clercs et des Homo-politicus”. Mais bien évidemment, entre la politique “buy back” contre-productive des sociétés et l’affaire “CumEx”, ou encore le système abusif du “Crédit Impôt Recherche” ou de l’administration douteuse de “la politique des prix de transfert”, la bureaucratie inefficiente de la France n’aurait, soit-disant, “jamais réussi” à anticiper le vent du boulet en temps opportun 🙈🙉🙊
https://www.actu-juridique.fr/fiscalite/fiscal-finances/fin-de-partie-pour-la-fraude-cumcum/
Lorsqu’on a les moyens de se rendre au “casino” ou à l’”hippodrome” et que systématiquement on emporte [ou systématiquement on perd] la mise, on se dit tout naturellement que quelque chose cloche.
https://bilello.blog/wp-content/uploads/2025/07/SP-growth-of-1-with-negative-events-updated-july-2025.png
Sans museler sérieusement “la bête immonde”, nous amplifierons le déclin de nos civilisations !
https://www.oftwominds.com/photos2024/non-bank-assets10-24a.png
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Poursuivre aveuglément les mantras des théoriciens de l'”économie de l’offre” [loi des débouchés – respectivement de Say] quant aux prospectives économiques et aux choix publics – en lieu et place de la loi fondamentale en l’offre/demande – et la loi du plus fort [sélection darwinienne] aura définitivement raison des classes moyennes. Par effet de manche, des fonds publics également [après le détricotement du bien commun] !
https://www.justfacts.com/images/nationaldebt/publicly_held_1940-2080-full.png
Dixit Julien Chevalier 21.07.2025 [“…Le monde pourrait alors se réveiller en découvrant que les Etats-Unis refusent tout simplement d’honorer leurs engagements, décidant d’annuler leur dette d’un simple trait de plume, comme cela se pratiquait régulièrement dans l’Antiquité.
A moyen terme, plusieurs scénarios de défaut sont déjà envisageables : les élections de mi-mandat de 2026 pourraient aboutir à un Congrès divisé, incapable d’autoriser un relèvement du plafond de la dette. Parallèlement, la dépréciation continue du dollar pourrait finir par anéantir définitivement la confiance dans la monnaie américaine, et avec elle, sa valeur…”]
https://la-chronique-agora.com/accident-monetaire-taux-rupture/
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Raymond dit : octobre 20, 2024 à 10:52 pm
(…) Dans l’ère du temps des “dettes odieuses” * (double sens) j’estime que ces prochaines décennies vont nous dévoiler le véritable visage des États-Unis vs l’Occident. Répudiation de tranches de dettes contractées en $ – “haircut” – et/ou des batailles juridiciaires avec de nouvelles doctrines à l’échelle globale sur le front des éventuelles “dettes odieuses”. Voilà qui promet un “supramonde” à notre “monde (actuel) d’Après” déjà palpitant.
(*) Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse… si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit : « On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
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Tiens donc, on se demande bien pourquoi la Chine continue de se débarrasser de la dette US 🙈🙉🙊
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