
Mon Interview dans L’Express – France
Un calme très précaire semble être revenu sur les marchés financiers après le sauvetage de la banque helvète Crédit suisse par son concurrent UBS, donnant ainsi naissance à un géant bancaire… aux pieds d’argile. Si les autorités ont pris les choses très au sérieux et poussé à ce rachat, cet épisode révèle les défauts de surveillance du système bancaire par la Banque centrale suisse, soutient l’économiste et investisseur suisse Michel Santi qui publie le 24 mars prochain un essai aux éditions Favre BNS, rien ne va plus. Il y dénonce le comportement malsain d’une banque centrale métamorphosée en “hedge fund”. Interview.
L’Express : Les autorités suisses ont agi très vite et en un week-end ont organisé le rachat du Crédit Suisse par UBS. Le pire est-il derrière nous et la menace de contagion aux autres banques européenne est-elle écartée ?
Michel Santi : Effectivement à court terme, le sauvetage du Crédit Suisse par UBS est une bonne nouvelle. Car le risque systémique était considérable. Or nous traversons déjà depuis deux semaines une période extrême de stress bancaire depuis la faillite de la Silicon Valley Bank. Aux Etats-Unis, on voit bien que le sauvetage d’une autre banque régionale First Republic n’est pas acquis. Comme d’habitude, dans ces périodes de très fortes inquiétudes, tous les regards se portent sur les établissements les plus fragiles et les moins sains. A ce titre, Crédit suisse était une belle proie. Depuis des années, cette banque marchait hors des clous. Elle avait écopé de plusieurs milliards d’amendes pour avoir violé différentes lois dans différents pays. Elle s’était lancée à corps perdu – je dirai même à bilan perdu ! – dans les opérations les plus spéculatives et avait investi dans les fonds les plus risqués comme Archegos.
Ses pertes étaient considérables et elle devait être sauvée. Pour autant, les autorités suisses auraient pu et auraient dû d’un point de vue technique faire les choses différemment. C’est-à-dire conserver l’existence du Crédit suisse en tant que société indépendante en créant une structure de défaisance dans laquelle toutes les créances douteuses de la banque auraient été logées avec la garantie de l’Etat. En poussant UBS à racheter sa rivale, la Confédération helvétique se livre pieds et poings liés à ce nouveau géant bancaire en lui accordant un quasi-monopole très malsain assorti d’un blanc-seing. UBS va pouvoir agir en toute impunité car elle aura largement dépassé le stade du « too big to fail ». Sa taille de mastodonte fait que les autorités suisses la sauveront quoi qu’il arrive parce que sa faillite entraînerait avec elle non seulement le système bancaire helvétique dans sa totalité mais quasiment tout l’Etat fédéral ! C’est un problème moral majeur…
Les banques suisses ont longtemps été vues comme insubmersibles. Cette affaire révèle-t-elle un défaut majeur dans la surveillance du système bancaire par la banque centrale ?
Evidemment ! Les autorités de régulation ont depuis des années été bien trop tolérantes. Le Crédit suisse a commis toutes sortes d’abus : soyons réalistes, c’était une banque “pourrie” par ces agissements condamnables et qui ont été d’ailleurs condamnés… ailleurs qu’en Suisse. Le système bancaire suisse s’est transformé en un gigantesque casino à ciel ouvert dont la banque centrale en a été le croupier !
Vous dites que la Banque Centrale Suisse (BNS) a dévié de son objectif d’assurer la stabilité financière du pays…
Depuis des années, elle n’a qu’un objectif : Limiter à tout prix l’appréciation de la devise pour préserver la compétitivité du pays. Pour cela, elle a créé beaucoup de Francs Suisses qu’elle a vendu sur les marchés financiers en achetant des titres en dollars. Mais au lieu d’acheter de manière traditionnelle des bons du Trésor américain qui sont quand même les actifs les plus liquides au monde, elle a commencé à se prendre au jeu de la spéculation. Elle s’est peu à peu métamorphosée en une sorte de « Hedge fund », se gorgeant de titres sur le Nasdaq, le secteur pétrolier et le gaz de schiste. Pour en avoir la preuve, j’ai épluché tous les documents disponibles auprès du gendarme boursier américain car la BNS ne publie pas le détail de ces investissements.
Elle a voulu faire d’une pierre deux coups : affaiblir le franc suisse mais aussi se faire un maximum d’argent pour pouvoir ensuite redistribuer ces profits au pouvoir fédéral et aux cantons comme ses statuts le lui permettent. Le problème, c’est qu’elle a perdu beaucoup d’argent : en 2022, ces pertes se sont montées à 130 milliards de francs suisses – grosso modo l’équivalent de 130 milliards d’euros -. C’est inédit : jamais une banque centrale n’a perdu autant d’argent. Cette perte équivaut quasiment à 20 % du PIB de la Confédération helvétique. C’est énorme !
Mais la banque centrale suisse peut-elle faire faillite ?
Par nature, une banque centrale ne peut jamais faire faillite. De manière indirecte, le citoyen suisse sera touché car il n’y aura pas de redistribution de bénéfices en 2022. Mais il y a plus gravissime et je fais le parallèle avec l’affaire du Crédit Suisse : la confiance dans l’ingénierie et l’ingéniosité légendaires Suisses sont sacrément remis en question.
En termes d’images, les conséquences sont catastrophiques. Or, en matière bancaire, la confiance est le maître mot. Enfin, politiquement, il y a un vrai souci. Dans un pays de démocratie directe comme la Suisse, ne pas avoir de transparence sur les investissements de la banque centrale est un scandale !
Banque Nationale Suisse : Rien ne va plus !
Mon nouveau livre à paraître le 24 mars.
Précommande : https://www.editionsfavre.com/livres/bns-rien-ne-va-plus/
[…] Mon Interview dans L’Express – France […]