Une crise financière interminable

Une crise financière interminable

août 28, 2013 0 Par Michel Santi

Les marchés émergents décrochent avec violence, les indices boursiers asiatiques et sud-américains plongent, la roupie indienne comme la livre turque frôlent leur plus bas niveau historique… Pour défendre sa monnaie nationale, le Brésil a jusque là dépensé 374 milliards de dollars, sachant que les réserves de la banque centrale turque ont diminué de 15% dans le cadre de sa lutte contre l’effondrement de la livre. Mentionnons brièvement l’Equateur qui a utilisé 8% de ses réserves, ce chiffre étant de 6% au Kazakhstan et au Kuwait et de 5.5% en Indonésie… Bref, la croissance de ces régions semble subitement remise en question et devoir brutalement s’inverser. Tout – et tous – accusent la Réserve fédérale américaine sur le point de réduire dès l’automne prochain le rythme de ses baisses de taux quantitatives. Si cette stratégie expansionniste de la Fed – qui consiste à tenter de stimuler l’économie par l’achat de divers actifs-, a un impact évident sur la politique fiscale US, comme sur la confiance de ses intervenants, acteurs, consommateurs et entreprises. Le carnage en cours au sein des nations émergentes démontre (au moins empiriquement) que cette création monétaire US influence – voire conditionne – également de manière déterminante l’allocation d’actifs planétaire des grands investisseurs, des fonds de pension, mais aussi des banques centrales à travers le monde.

 

La conviction, parmi ces intervenants, de l’interruption – même progressive – par la Fed de sa création monétaire (conduite à un rythme intense et sans précédent historique) déclenche donc des réajustements massifs au sein de leurs portefeuilles. Ce qui tend à prouver, en creux, qu’une proportion substantielle de la croissance de ces émergents fut redevable aux baisses de taux quantitatives américaines. Le mécanisme de transmission est aisé à comprendre. Dans le cadre de ses acquisitions de papier-valeurs, la Fed crédite les vendeurs qui procèdent alors à des réinvestissements de ces liquidités fraîches à leur disposition. De proche en proche, ces sommes transitent d’un acheteur à un vendeur – d’action, d’obligation, d’hypothèque, de bons du Trésor, d’un titre quelconque -, qui ont tous en commun le même objectif consistant à rentabiliser leurs placements. La libre circulation des capitaux autorise bien évidemment cette quête du profit au-delà du pays émetteur de ces liquidités, c’est-à-dire hors des frontières américaines, notamment vers des pays émergents offrant un fort potentiel de croissance. Voilà qui explique l’appréciation des valorisations de la quasi-totalité des actifs (aux USA et dans le reste du monde) qui sont donc échangés à une cadence soutenue. Cette progression étant forcément d’une plus grande amplitude au sein des pays émergents, d’une part du fait d’une liquidité moindre, et d’autre part puisque pratiquement tout y est encore à faire.

 

La fièvre saisit donc les acteurs de ces pays – consommateurs, entreprises et même gouvernements – qui bénéficient à la fois d’une chute des coûts de financement induite par un afflux de liquidités, et d’une hausse notoire de leur niveau de vie allant de pair avec l’escalade de l’ensemble des valorisations. Notons là un phénomène similaire avec l’euphorie des pays d’Europe périphérique dès l’introduction de l’euro.  Certes, ces économies émergentes risquent-elles d’être poussées au-delà de leurs capacités. Certes, les pressions inflationnistes risquent-elles de s’y développer. Certes, le risque de formation de bulles spéculatives n’y est-il pas négligeable. Pour autant, les retombées positives des baisses de taux quantitatives sont incontestables tant pour le pays émetteur – les Etats-Unis – qui bénéficient d’une reprise de leur demande agrégée, et d’une diminution de leurs taux d’intérêt réels (car le taux d’inflation y est supérieur au taux d’intérêt officiel). Conséquences favorables également pour les pays émergents qui pourront à leur tour intensifier leurs exportations vers la première puissance économique du monde désormais en mode redémarrage. Pour autant, la menace fondamentale qui pèse sur ces pays ayant vécu au-dessus de leurs moyens, ayant plus importé qu’exporté et ayant emprunté massivement vis-à-vis de l’étranger, se décline en une balance des paiements très nettement déficitaire. Exactement comme les pays d’Europe périphériques entre le lancement de l’euro et la crise de 2007.

 

Aujourd’hui, à mesure que marchés financiers et investisseurs se retirent de ces nations du fait du tarissement du robinet des liquidités américaines, leurs valorisations comme leurs devises s’effondrent, pendant que leurs coûts de financement prennent le sens inverse. La croissance y ralentit inexorablement et, ce, en parallèle avec les effets stimulatoires des baisses de taux quantitatives. C’est à l’évidence (exactement comme en Europe périphérique) les pays subissant d’importants déficits de leur balance des paiements qui seront le plus (et les premiers) atteints. Comme c’est les ménages et les entreprises contraints de refinancer leurs dettes à des taux défavorables qui seront le plus menacés. Et n’évoquons même pas les débiteurs en monnaie étrangère qui sont des morts en sursis du fait de l’effondrement de leur devise nationale. Les prix à l’importation sont donc condamnés à grimper, sachant que l’effondrement de leur monnaie nationale ne profite même pas à des exportateurs qui sont pénalisés par l’escalade de leur facture pétrolière. Le décrochage des actifs, des marchés et des monnaies des émergents est donc aujourd’hui susceptible de se transformer en une perte de confiance généralisée envers ces pays (une fois de plus : comme en Europe périphérique). Autrement dit, ces chutes – certes violentes mais encore contenues – risquent de tourner à la panique.

 

Alors que les baisses de taux quantitatives étaient censées relancer l’économie de l’émetteur et faire en même temps prospérer à l’étranger les émergents à travers le levier de la globalisation. Leur fin annoncée aura l’effet diamétralement inverse, à savoir la déprime – voire la déroute – des nations émergentes et, ce, dans un contexte où les pays occidentaux eux-mêmes ne se sont toujours pas rétablis ! En préparant le monde au retrait graduel des QE, la Réserve fédérale fait parvenir au monde un message inopportun et prématuré. Elle signale en effet à l’investisseur global que les Etats-Unis sont désormais à même de lui offrir des rentabilités supérieures à celles gagnées jusque là dans les émergents. Et, ce, dans un environnement où leur propre reprise économique et surtout la régression de leur chômage sont loin d’être confirmées. Aujourd’hui, la Fed est encore capable de sauver les meubles, voire de casser cette configuration infernale qui se met en place. En annonçant le maintien de sa création monétaire. Pour permettre aux nations émergentes de mettre en place des réformes structurelles vitales, qui leur permettront d’affronter le moment venu l’arrêt de ces QE. C’est-à-dire quand l’économie américaine sera incontestablement en mesure de croître sans ces baisses de taux quantitatives. Chance qui, soit dit en passant, ne fut jamais consentie aux pays d’Europe périphérique qui furent contraints d’imposer des dévaluations internes inhumaines.

 

Notre monde se retrouve donc à la croisée des chemins. Il risque une nouvelle conflagration économique et financière si les banquiers centraux occidentaux prennent les mauvaises décisions, sous l’influence des néo-libéraux qui sont, comme chacun sait, des ennemis irréductibles de la création monétaire.

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